Un système inapproprié a été mis en place depuis une décennie, ce qui a considérablement compliqué la tâche de l'exploitation des biens confisqués du RCD dissous.
Le processus de confiscation des biens du Rassemblement constitutionnel démocratique dissous a été freiné par plusieurs facteurs, principalement la complexité des procédures d'expropriation et un cadre juridique peu favorable au travail de la Commission de confiscation, créée par le décret-loi n°13 de 2011. À cela s'ajoute l'instabilité politique qui a prévalu dans le pays depuis la chute de l'ancien régime. Il y a eu des avancées certes, mais les défis et les obstacles persistent toujours, causant un grand retard au niveau de la récupération et de l'exploitation de ces biens.
Des biens immobiliers sous l'occupation des squatteurs
C'est dans ce cadre que s'est tenu un Conseil ministériel restreint en novembre dernier, sous la présidence du Chef du gouvernement, Kamel Maddouri, et qui a été consacré au suivi de la gestion des biens et propriétés confisqués ou devant être rétrocédés par l'État. Allant tout droit au but, le locataire de La Kasbah a recommandé de procéder à un «inventaire complet et précis» de tous les biens confisqués et de les classer en vue de les céder ou de les valoriser pour consolider les ressources de l'État.
À cette fin, un nouveau texte juridique devrait voir le jour en vue de faire face aux divers problèmes qui ont entravé la gestion des biens confisqués, dont les biens immobiliers qui sont toujours occupés par des squatteurs. Le Chef du gouvernement a recommandé, à ce titre, la mise en place d'une base de données actualisée de tous les biens confisqués, en vue de prendre les décisions appropriées. D'autant que l'État a déjà mis beaucoup de retard au niveau de l'exploitation de ces biens, dont certains ont été très vite récupérés par des squatteurs.
A titre d'exemple, dans la ville du Kram (banlieue de Tunis), environ sept familles occupent illégalement le premier étage d'un immeuble appartenant auparavant au RCD dissous, situé à l'avenue principale Habib-Bourguiba, nous fait savoir un responsable local. La bâtisse délabrée se dresse aujourd'hui comme un vestige du passé, avec des murs écaillés, des fenêtres brisées, aux contours noircis par l'humidité.
«L'étage en question risque de s'effondrer à tout moment en raison de l'absence totale d'entretien», souligne l'un des habitants de la place. Non loin de ce lieu, et plus précisément à Kheireddine, relevant de la municipalité de La Goulette (banlieue de Tunis), le local du RCD dissous s'est métamorphosé en un logement insalubre habité par un couple de personnes, sous le regard impuissant des autorités locales.
La faute n'incombe pas aux autorités locales, ni même aux responsables du ministère des Domaines de l'État et des Affaires foncières, mais plutôt à un système inapproprié instauré depuis une décennie, qui a considérablement compliqué la tâche de récupération et d'exploitation des biens immobiliers du RCD dissous.
C'est d'ailleurs pour cette raison que le CMR tenu en novembre a aussi recommandé de «raffermir la coordination et l'intégration entre tous les acteurs impliqués dans le processus de confiscation et de recouvrement afin de réaliser des revenus supplémentaires pour l'État et de contribuer à la dynamisation du circuit économique». De leur côté, les ministres ayant pris part à ce Conseil (Justice, Finances, Domaines de l'État et des Affaires foncières) ont souligné la nécessité et l'urgence d'améliorer les méthodes et les mécanismes de cession au niveau de la rentabilité et de la gestion, afin de garantir le droit de l'État à récupérer ces biens ou à les céder ultérieurement.
En finir le plus rapidement possible avec ce dossier
Suite à ce CMR, les choses ont commencé à bouger. Du moins, on l'espère. À ce propos, le ministre des Domaines de l'État et des Affaires foncières, a présidé, quelques jours après le CMR en question, une réunion avec la Commission de confiscation qui a passé en revue un rapport détaillant tous les biens confisqués. Pour éviter le chevauchement des tâches, l'accent a été mis sur l'importance de la coordination et de la complémentarité entre les différentes entités intervenant dans le processus de confiscation.
Selon le ministre des Domaines de l'État et des Affaires foncières, M. Wajdi Hedhili, le programme d'inventaire et d'évaluation des immobilisations corporelles de l'État a permis l'inventaire de 7.736 biens immobiliers, comprenant des terrains agricoles, des propriétés non agricoles, ainsi que des bâtiments et logements administratifs, parmi lesquels figurent bien évidemment les biens confisqués du RCD dissous. Le ministre a souligné l'importance d'effectuer un inventaire complet des biens immobiliers de l'État et de mettre à jour leurs registres pour garantir leur protection et leur bonne gestion.
Cela traduit bien une triste réalité qu'il ne faut pas occulter et qui est la suivante : peu d'efforts consentis durant la dernière décennie, notamment sur le plan structurel, pour mener à bien cette mission. Pire, on n'a fait que créer des commissions qui se sont tellement empêtrées dans les dédales des procédures administratives qu'elles ont été incapables même de répertorier tous les biens confisqués. Les travaux de ces commissions maquent terriblement de visibilité au point qu'on ignore à cette date la liste, même exhaustive, des biens confisqués depuis la chute de l'ancien régime.
Pour rappel, en décembre 2019, le ministre par intérim des Domaines de l'État et des Affaires foncières avait dévoilé que la Commission de liquidation a confisqué 411 titres immobiliers, 18 yachts et 237 voitures de luxe, ainsi que des comptes bancaires et des avoirs en liquide d'une valeur de 390 MD. Une année après, et plus précisément en juin 2020, ce nombre a considérablement augmenté avec la confiscation de 2.340 biens appartenant au RCD dissous. Aujourd'hui, et après la tenue du Conseil ministériel restreint et de la réunion de la Commission de confiscation, veiller à la bonne gestion de ces biens de manière rapide s'avère une priorité.