Contraint de fermer son écurie au début de 2015, suite à la prise de pouvoir du Mouvement socialiste militant (MSM) alors qu'il venait pourtant de remporter le titre de champion quelques mois auparavant, Paul Foo Kune compte reprendre une écurie à son compte avec le retour du Mauritius Turf Club (MTC), l'année prochaine.
Dans l'entretien qu'il nous a accordé à son bureau à Moka durant la semaine écoulée, l'homme d'affaires, qui semble s'être assagi avec l'âge, est revenu longuement sur les représailles et les misères qu'il a subies sous le régime MSM. Tout en fustigeant Pravind Jugnauth qui a, selon lui, «creusé sa propre tombe en écoutant aveuglement Jean Michel Lee Shim et Dev Beekharry», le patron de la société florissante Fashion Heights envisage désormais l'avenir avec beaucoup plus de sérénité. Et il est visiblement déterminé à apporter tout son soutien au MTC afin de faire revivre les courses d'antan.
Avec le retour du MTC suite à l'élection de l'Alliance du changement, il se dit dans divers milieux que vous comptez prendre une écurie à votre compte en 2025. Qu'est-ce qui motive le grand retour de l'écurie Foo Kune dans le paysage hippique?
Pour tout vous dire, il y a trois raisons qui me poussent à reprendre une écurie. Tout d'abord, je suis un grand passionné de courses et en tant que tel, je suis disposé à offrir tout mon soutien au MTC pour qu'il puisse redonner ses lettres de noblesses au sport hippique, qui se trouve dans un état lamentable depuis quelques années. À l'image de bon nombre de turfistes, je veux revivre les courses d'antan.
Ensuite, vous n'êtes pas sans savoir que sous le règne du MSM, j'ai été victime d'un harcèlement permanent. Quelques mois seulement après que mon écurie a remporté le titre de champion en 2014, le gouvernement MSM, qui venait de prendre le pouvoir, a changé la loi sur les conseils d'une personne, pour faire en sorte que je ne puisse plus être à la tête d'un établissement. Comme si cela ne suffisait pas, on m'a ensuite interdit d'être propriétaire. Toutes mes demandes éventuelles pour obtenir une Personal Management Licence (PML) sont restées sans réponse. Expliquez-moi comment je pouvais être propriétaire en Afrique du Sud et à Singapour mais pas dans mon pays natal ? Je n'ai jamais digéré cette mise à l'écart.
Finalement, depuis les résultats des dernières élections et la victoire de l'Alliance du changement, partout où je passe, beaucoup de personnes, dont certaines que je ne connais pas nécessairement, m'approchent pour me demander si l'écurie Foo Kune sera de retour. Je dois vous avouer que ma femme n'est pas trop keen pour que je reprenne une écurie mais la volonté de retrouver le statut qu'on m'a usurpé, l'enthousiasme palpable des turfistes à l'annonce du retour en piste de mon écurie et surtout mon sens de solidarité à l'égard du MTC, m'ont finalement poussé à aller de l'avant avec cette démarche.
Pouvez-vous nous dévoiler l'identité de cette personne qui voulait vous nuire sous le règne du MSM ?
Ce n'est un secret pour personne que c'est Jean Michel Lee Shim qui voulait ma peau dans le giron hippique. J'avais déjà plusieurs contentieux avec lui depuis des années et grâce à ses connexions avec le MSM, il a tout fait pour me mettre des bâtons dans les roues.
À vous entendre, vous paraissez convaincu que la fermeture de l'écurie Foo Kune, quelques mois seulement après son sacre en 2014, était une décision qui était «politically motivated».
Il n'y a pas le moindre doute là-dessus et j'en ai eu la confirmation quelques mois plus tard. Vous n'êtes pas sans savoir que Roshi Bhadain est mon ami. À l'époque, il était encore au gouvernement et il avait eu une réunion avec un haut officiel du MTC en présence de Prakash Maunthrooa pour essayer de comprendre pourquoi on me persécutait. Il m'a confié que l'officiel du MTC lui avait alors expliqué que c'était un dossier très sensible et que Dev Beekharry, qui conseillait Pravind Jugnauth en matière hippique, et qui est parallèlement très proche de Lee Shim, avait donné des consignes strictes pour qu'on me mette à l'ombre.
Au-delà de votre antagonisme vis-à-vis de Lee Shim, ne pensez-vous pas plutôt que le gouvernement d'alors n'avait fait qu'appliquer les recommandations du rapport Parry, qui, pour rappel, vous avait sévèrement égratigné à l'époque ?
Excusez-moi mais vous faites fausse route. En ce qui me concerne, le rapport Parry était un véritable joke. Certes, le rapport intérimaire m'avait incriminé mais allez vérifier, mon nom ne figurait nulle part dans le rapport final. Pour résumer, c'était comme si un match de football se terminait par 0-0 alors qu'à la mi-temps le score était de 1-0. Comment est-ce possible ? Où est la logique ?
Je dois, par ailleurs, vous rappeler que j'ai contesté par voie de révision judiciaire en Cour suprême le fait que mon nom soit mentionné dans les conclusions de ce rapport intérimaire. J'étais défendu par Me Gavin Glover et les juges Nirmala Devat et Iqbal Maghooa m'ont donné gain de cause en février 2021. Je laisse au grand public le soin de tirer ses propres conclusions.
Êtes-vous conscient que dans la conjoncture actuelle, vous n'êtes toujours pas éligible pour détenir une écurie sous votre nom car vous n'êtes pas entraîneur (Ndlr : en vertu de la GRA Act, seul un entraîneur peut détenir une écurie sous son nom). A moins que vous soyez dans le secret des dieux et que vous ayez des informations dont nous ne disposons pas à ce stade ?
Je n'ai pas plus d'informations que vous mais dans la logique des choses, je pense que normalement, si le MTC veut se relancer et mettre tous les atouts de son côté, le gouvernement en place aura intérêt à abolir cette législation absurde dans les plus brefs délais. Maintenant, dans l'éventualité où il n'y aurait pas de développements à ce niveau, je n'aurais d'autre choix que de passer mon diplôme d'entraîneur.... (rires) Attendons voir.
Qu'en est-il des rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux faisant état de négociations entre vous et l'ancien entraîneur de l'écurie Rousset, Soodesh Seessurrun ?
J'ai effectivement eu une réunion avec Soodesh Seessurrun mais je n'ai pas encore pris de décision à ce stade. J'ai été approché par au moins trois entraîneurs mauriciens mais je suis également en présence de quelques offres d'entraîneurs étrangers. Le comble est qu'un entraîneur, qui était très en vue au sein de la People's Turf (PTP), a également essayé de me contacter... (rires).
Compte tenu de votre ressenti pour le MSM, on peut conclure que vous n'aurez probablement pas effectué une demande pour reprendre une écurie si Pravind Jugnauth était encore au pouvoir. Du coup, on peut se permettre de vous demander si vous avez soutenu l'Alliance du changement au cours des dernières élections ?
En toute sincérité, je dois vous avouer que j'ai de bons amis qui sont de tous bords politiques. Pour répondre à votre question, je n'ai pas soutenu financièrement l'Alliance du changement mais en tant que citoyen, j'ai voté pour cette Alliance lors du dernier scrutin. Cela dit, je ne vous cache pas que j'étais beaucoup moins impliqué par rapport aux précédentes campagnes électorales. D'ailleurs, je n'ai assisté en tout et pour tout qu'à un seul meeting, celui de l'Alliance du changement à Plaine-Verte, endroit où j'ai grandi.
En 2017, dans un entretien que vous aviez accordé à l'express, vous reprochiez à Pravind Jugnauth, que vous considériez alors comme un ami à travers vos relations avec Roshi Bhadain, d'avoir jeté votre nom en pâture au Parlement. Avec recul, comment analysez-vous sa cuisante défaite au cours des dernières élections ?
Il y a plusieurs raisons qui ont contribué à sa déroute. À mon niveau, je reste néanmoins persuadé qu'il a sous-estimé, dans une grande mesure, la fronde de la communauté hippique à l'égard du gouvernement. À vouloir trop écouter Jean Michel Lee Shim et Dev Beekharry, il s'est mis à dos la majorité des turfistes. Il faut réaliser que le sport hippique est le sport roi à Maurice et qu'il fait quelque part partie du patrimoine de notre pays. C'est une des rares activités locales, qui est suivie, chaque semaine, par au moins 250 000 à 350 000 personnes, issues de toutes les communautés et provenant de divers échelons de la société.
À mon avis, le gouvernement MSM n'a pas réalisé que les courses n'étaient pas seulement l'affaire de quelques «zougadères» mais qu'il y avait également beaucoup de personnes, qui ne sont pas parieurs à la base, qui les suivent aussi chaque semaine. Les gens ne sont pas dupes et je persiste à croire qu'en favorisant à outrance la People's Turf aux dépens de l'organisateur traditionnel, le MTC, qui avait visiblement la sympathie du grand public, Pravind Jugnauth a fini par creuser sa tombe.
Vous avez été longtemps parmi un des 'major stakeholders' de l'industrie hippique. Quel regard jetez-vous sur les courses organisées par la PTP ?
Les courses sous la PTP étaient une farce et vous êtes bien placé pour le savoir..... ! Non franchement, quand un jockey se permet de se jeter d'un cheval, lancé à vive allure en ligne droite, cela démontre à quel point les courses étaient truquées. C'était du jamais vu.... Comment peut-on être à la fois organisateur de courses, bookmaker, propriétaire de chevaux et employeur de la plupart des jockeys et entraîneurs ?
Cela n'a pas de sens ! Cela fait plus de 40 ans que je suis les courses et j'étais tellement écoeuré par cette situation, l'année dernière, que je n'ai pas acheté un magazine spécialisé pour consulter un programme pendant toute la saison !
Mais vos chevaux ont bel et bien couru sous la PTP. Vous avez même remporté la première épreuve classique de la PTP (The Anjalay Coopen Cup) avec Xavion en 2023 et vous l'avez même ramené en vainqueur dans le paddock ?
Oui, c'est vrai que quelques-uns de mes chevaux - pas tous - ont couru en fin de saison mais il y a une raison à cela. Ces chevaux n'avaient pas couru pendant longtemps et après consultation avec mon entraîneur Preetam Daby, on a pris la décision de les faire courir pour éviter qu'ils se blessent dans leurs boxes. Il fallait faire un choix et je l'ai fait dans un souci de sécurité pour mes chevaux. Pour ce qui est de Xavion, j'étais effectivement parti voir la course au Champ de Mars ce jour-là et après la victoire, la foule enthousiaste, ainsi qu'un préposé de la sécurité de la PTP, m'ont entraîné à lead in le cheval. Dans l'euphorie, je me suis prêté au jeu.
Suite à cela, une personne proche de Lee Shim a demandé à mon fils Joey s'il voulait qu'à l'avenir, une table me soit réservée dans le lounge de la PTP. J'ai fermement décliné cette proposition car je ne souhaitais, en aucun cas, qu'on puisse imaginer qu'il y avait eu un rapprochement entre moi et Lee Shim.
Si l'on peut comprendre votre amertume vis-à-vis du MSM et de Lee Shim et consorts, en revanche, on a du mal à assimiler votre soudaine compassion pour le MTC. Le MTC ne vous a également pas fait de cadeau au cours de la dernière décennie ? (Ndlr : en 2018, il avait contesté en cour la décision du MTC de ne pas l'autoriser à agir comme propriétaire).
C'est vrai que je n'ai pas toujours été dans les good books au MTC mais il ne faut pas oublier non plus que c'est également sous le règne du MTC que mes couleurs ont brillé de mille feux et que mon établissement a été sacré champion en 2014. Dans un autre ordre d'idées, avec recul, j'ai réalisé que le MTC avait les mains liées car ce club subissait une pression énorme de la part des autorités et de Lee Shim et de ses acolytes. Dans ces circonstances, ce serait injuste de ma part de jeter tout le blâme sur le MTC.
Force est de constater que le MTC ne dispose pas de beaucoup de moyens actuellement. On a déjà fixé la journée inaugurale pour la première semaine de juin 2025. Etes-vous confiant que le club va pouvoir relever le défi ?
Oui, je ne me fais pas de soucis de ce côté-là. Il y a beaucoup de personnes de bonne volonté, qui font de leur mieux pour que le club puisse relever la tête et avec l'aide du gouvernement, je pense que c'est tout à fait réalisable. On a déjà constaté l'engouement des propriétaires mauriciens sur le marché des chevaux en Afrique du Sud. C'est un signe qui ne trompe pas.
Justement, vous étiez en Afrique du Sud, la semaine dernière, et vous en avez certainement profité pour acquérir quelques chevaux, n'est-ce pas ?
Tout à fait. Je compte débuter la saison avec un effectif d'au moins 20 chevaux. Je possède actuellement huit chevaux à Maurice. Je viens d'acquérir huit nouveaux récemment et je vais probablement en acheter encore quelques-uns dans les mois à venir. Même si vous avez des moyens financiers, ce n'est pas facile de trouver de bons chevaux actuellement en Afrique du Sud.
L'écurie Gujadhur, qui effectuera son grand retour à la compétition, semble également très ambitieuse et c'est de bon augure car la compétition sera nettement plus attrayante. Je dois concéder que mon objectif à long terme est de pouvoir reconquérir le titre de champion dans trois ans. J'ai déjà été contacté par quelques jockeys, qui ont manifesté leur intérêt à venir défendre mes couleurs mais à ce stade, je peux vous dire que je vais probablement privilégier un ancien jockey champion.
S'il est désormais clair que les autorités vous ont mené la vie dure au Champ de Mars, en revanche, on constate que vos affaires ont paradoxalement bien prospéré sous le règne du MSM au cours de la dernière décennie...
Non sérieusement, vous croyez que c'est à cause du MSM que mes affaires ont prospéré ?! (Ndlr : le ton ferme) Détrompez-vous, car j'ai également subi pas mal de représailles au niveau de mon business. À ce propos, le contenu d'un des enregistrements de «Missie Moustass» dans lequel la voix attribuée à Rakesh Gooljaury s'entretenant avec celle attribuée à Pravind Jugnauth à mon sujet, est très révélateur. Je détiens des informations à l'effet que Gooljaury est intervenu personnellement plusieurs fois pour bloquer certains de mes permis.
Pour vous donner une idée, ma société de paris sur le football, Play On Line, possède actuellement dix outlets alors qu'elle est normalement éligible à 20 outlets à travers le pays. Toutes nos demandes pour avoir des outlets supplémentaires n'ont jamais été entretenues par le précédent régime. Heureusement que la plupart de mes affaires ne dépendent pas du gouvernement.
Initialement, Play on Line était notre core business mais avec le temps, on a su diversifier nos activités. J'ai fondé Fashion Heights en 2016 et aujourd'hui, je peux dire qu'on est devenu un acteur de premier plan dans le domaine de la mode et de la vente au détail à travers nos 40 magasins pour des franchises de renom telles que Mango, Mango Man, Esprit, Celio, DCM Jennyfer, Etam, Xti, Mia, Bizou, Zippy et Undiz.
On a aussi fait une percée dans le domaine informatique à travers APEX, qui est le seul Apple Premium Reseller (APR) à Maurice. On s'est également lancé dans la restauration avec nos restaurants Côté Sushi, qui allie cuisines japonaise et péruvienne et dernièrement, on a commercialisé Gong Cha Bubble Tea, qui est le leader mondial dans son domaine.
Vous employez plusieurs centaines de personnes à travers vos différentes sociétés. Quel est votre avis sur le 14e mois proposé par le gouvernement sortant et repris par l'Alliance du changement au cours de la dernière campagne électorale ?
Je pense qu'il est important d'être réaliste. Il faut regarder la situation dans sa globalité. Il y a beaucoup d'entrepreneurs, à l'image des petites et moyennes entreprises, qui ne disposent pas suffisament de moyens pour tenir le coup. Dans cette optique, je dirai que je ne suis pas contre l'idée d'un ciblage pour le 14e mois.