La société d'événementiel Unique Exclusive Events, fondée et dirigée par Marie-Christine Giblot-Ducray, a organisé, lundi, une soirée exceptionnelle, non seulement de par la finesse du dîner proposé à la Mon Choisy Heritage Zone que de par la particularité de son intervenant, soit Stephen Mc Gown, un Sud-Africain naturalisé Britannique, qui a été pendant six ans l'otage des terroristes d'Al-Quaida dans le désert du Sahara au Mali. Pour l'express, Stephen Mc Gown raconte sa détention et évoque l'impact qu'elle a eu sur lui.
Ce qui surprend avec Stephen Mc Gown, 49 ans, c'est son calme olympien. Il raconte cet épisode, qui a pourtant bouleversé son existence, sans jamais élever la voix. Il est vrai que sept ans se sont écoulés depuis sa libération et que depuis, il parcourt le monde pour raconter ses 2160 jours de captivité. Mais ce qui est clair c'est qu'il n'en est pas ressorti traumatisé.
D'ailleurs, il n'a suivi que trois séances de psychothérapie, estimant que cela lui suffisait. Par contre, il avoue toujours sursauter quand il entend prononcer le mot «Britannique» car au cours de sa première année de captivité et avant qu'il ne se convertisse à l'islam dans l'espoir de se faire accepter et d'adoucir sa vie, ses ravisseurs lui avaient donné un nom. Il en était de même aux deux autres otages enlevés en même temps que lui. Lui, ils l'appelaient «Britannia» en raison de son passeport britannique...
Avant le 25 novembre 2011, jour de son enlèvement, ce Sud-Africain, qui a grandi sur une ferme et qui aimait la vie en plein air, avait entamé une carrière de sept ans en banque à Johannesburg avant d'accepter un emploi similaire dans une banque londonienne. Comme son rêve de toujours avait été de traverser l'Afrique à moto, avant de quitter Londres pour regagner définitivement son pays natal, il s'est dit que c'était maintenant ou jamais de faire ce rêve se matérialiser. Son épouse lui a accordé six mois pour le faire et il a convenu de même avec ses parents.
Stephen Mc Gown après qu'il se soit converti à l'islam.
Avant de s'embarquer dans ce périple, il a appelé plusieurs ambassades dont celle du Maroc pour savoir s'il pouvait se rendre au Mali sans risque. Il s'était entendu répliquer qu'il fallait qu'il évite l'Est du pays où il pourrait rencontrer des problèmes. Lorsqu'il a passé l'immigration au Mali, il a posé la même question au préposé et celui-ci lui a donné l'assurance qu'il pouvait sillonner le pays en toute sécurité. Il a donc entamé son périple à moto, se liant d'amitié avec d'autres motards.
Repérage
Alors qu'il était attablé sur la terrasse d'une auberge à Tombouctou vers les 15 heures et qu'il planifiait le reste de sa traversée africaine en compagnie de quatre personnes dont un Allemand, un Suédois et un Hollandais, la femme qui était en leur compagnie s'est subitement mise à hurler. Il s'est retourné et a juste eu le temps de voir un homme propre sur lui et rasé de près se diriger vers eux. Il était talonné par trois hommes en haillons, la tête presque entièrement recouverte d'un keffieh, avec des Kalashnikov AK-47entre les mains.
«C'était comme dans un film. Je présume que le gars qui les devançait repérait des cibles. En deux temps, trois mouvements, ils sont montés sur la table, pointant leurs fusils d'assaut vers nous. L'un d'eux avait enlevé sa ceinture et frappait deux d'entre nous. S'exprimant en arabe et baragouinant un peu de français, ils nous ont obligés à sortir de l'auberge et à nous rendre sur la route, un à un, laissant la femme derrière. Là, nous avons été forcés de grimper dans le caisson d'une camionnette.» L'Allemand a sans doute fait le récalcitrant car ils ont entendu une détonation et ont compris que leur camarade avait été tué.
Au cours de sa première année en captivité, il est constamment menotté.
Les ravisseurs les ont forcés à s'allonger dans le caisson, les couvrant d'une couverture de laine et arrimant un filet de chargement par-dessus. Un des ravisseurs a grimpé dans le caisson avec eux, leur demandant non sans fierté s'ils avaient entendu parler d'Al-Quaida, de l'attaque du World Trade Centre et des Twin Towers, tout en leur intimant de se taire. «Nous étions terrifiés et l'homme à mes côtés a commencé à faire de l'hyperventilation. J'ai dû lui montrer un trou dans la couverture de laine pour qu'il puisse respirer et se calmer. Je crois qu'ils avaient arrimé le filet de chargement pour que des hélicoptères ou des avions qui auraient éventuellement survolé la région ne voient pas leur cargaison humaine.»
Pendant les prochaines 15 heures, la camionnette roule dans le désert du Sahara, épousant le relief tantôt plat tantôt dénivelé. «J'étais obligé de mettre ma main sous ma tête pour la protéger des soubresauts de la camionnette et parer aux chocs. C'était impossible de dormir.» Ce jour-là, ils n'ont eu droit qu'à deux haltes, leurs ravisseurs évitant tout village et prenant la direction opposée dès qu'ils apercevaient un véhicule.
Les terroristes d'Al-Quaida marchant dans le désert.
C'est ainsi qu'ils ont été acheminés de campement en campement gardés par des terroristes d'Al-Quaida, certains hommes armés étant à peine pubères. Alors qu'il se demandait à quoi ressemblaient les campements d'Al-Quaida, il a réalisé que c'était des campements en plein air. «It was a giant camping tripet comme dormir à la belle étoile sur la plage, sauf que là, c'était dans le désert du Sahara», précise Stephen Mc Gown.
Alimentation basique
Toutes sortes de questions lui passent par la tête. Connaissant les méthodes et les exécutions sommaires d'Al-Quaida et sachant que son passeport britannique fait de lui la cible no. 1 pour être exécuté, il se demande s'il reverra un jour sa femme, qui lui a donné six mois pour son tour d'Afrique à moto, sa famille, ses amis. L'eau est rationnée car les ravisseurs ne veulent pas s'arrêter aux puits. Parfois, elle leur est fournie dans un bidon d'essence vide, qui n'a pas été préalablement lavé et le goût de cette eau contaminée au pétrole est abominable.
On leur donne tantôt de l'agneau, tantôt du bouc, du chameau, des galettes de farine, des pâtes, à manger. Mais parfois, ils doivent se rabattre sur de gros lézards du désert ou des rats. «C'était frustrant car il n'y avait jamais de légume ni de fruit et donc, pas de vitamines. It was survival. You become very functionnal when you are in the desert. You simply have to adapt». Par exemple, il collecte 16 sacs vides en jute et les noue ensemble pour en faire un pare-soleil.
Lui et les deux autres otages ne sont jamais battus. «Nous n'étions pas traités comme des esclaves mais comme des prisonniers de guerre. C'était une torture mentale et émotionnelle.» Ils sont menottés et ont parfois les pieds enchaînés. Les équipes de terroristes changent régulièrement. «Certains avaient une haine en eux et hurlaient des ordres en arabe. Vous compreniez alors qu'ils étaient en colère mais vous ne pouviez savoir pourquoi. Plusieurs fois, j'ai cru qu'ils allaient me tuer.»
Les plus cruels sont les adolescents armés qui s'amusent à faire cliquer les menottes afin de les resserrer autour de leurs poignets, histoire de faire le métal entailler leur chair. «Vous avez peur et vous devez plaider pour votre vie.»
Ils sont régulièrement obligés d'enregistrer des vidéos. «En six ans, nous avons dû en faire une vingtaine mais je ne suis pas sûr que toutes aient été diffusées». Au départ, Stephen Mc Gown a peur qu'on lui tire une balle dans la tête lors d'un de ces enregistrements mais il finit par les apprécier car c'est le seul moyen d'obtenir des bribes d'informations sur le monde extérieur. «Ils n'arrêtaient pas de me demander pourquoi mon gouvernement ne les prenait pas au sérieux. Cela m'a fait me dire qu'ils devaient chercher à obtenir une rançon du gouvernement anglais.» À un autre moment, lors d'un de ces enregistrements, il apprend que les ravisseurs ont demandé trois millions d'euros pour qu'il soit libéré.
En route pour un des campements d'Al-Quaida
Objectif précis
Son objectif est de se faire apprécier des terroristes afin de pouvoir rester en vie. Et bien qu'étant catholique non-pratiquant, il réalise que ses geôliers s'excitent et s'adoucissent en leur parlant de l'islam. Dès la première année de captivité, il décide de se convertir à l'islam et ils lui donnent le nom de Lot. «Le Suédois aussi s'est converti à l'islam. It was not forced on us but if you think that you are going to die and you see that when you speak about conversion, they get excited and friendly, you just do it.»
Il finit par sympathiser avec certains de ces terroristes. «Autant certains nourrissent une haine pour l'Occident et ont rejoint Al-Quaida pour tuer les Occidentaux, autant d'autres ont intégré ce mouvement parce qu'ils voulaient être pris en charge. Or because their governments had screwed up. Pour ces derniers, rejoindre Al-Quaida était comme intégrer un club de football, like an interest group, with different set of rules.»
Aurait-il développé le syndrome de Stockholm ? «Pas du tout. Je comptais les jours tout le temps. J'ai maintes fois pensé à m'enfuir mais pour aller où ? Je ne voulais pas mourir de soif dans le désert.I did not care about them but developed an interest in them. As humans we are made to get along with people. My strategy was to be liked by them, to win them over. Je me suis rendu compte que certains étaient intelligents.They are skilled to their environment. I realised that I was more privileged than them. J'avais fréquenté des écoles d'élite en Afrique du Sud et je me disais que s'ils avaient eu la même chance que moi, ils auraient pu devenir Einstein.»
Une fois leur conversion à l'islam faite, les ravisseurs leur ont confié des tâches. «We could hang out with them. We wanted duties to fill the time with something to do.»
Vivre comme un autochtone
En six ans de captivité, il a vu certains de ses geôliers quitter l'adolescence et devenir des adultes baraqués et de plus haute taille que lui. À commencer par leur chef Yahia, qui signifie Jean. «During these six years with Al-Quaida, I grew from a Londoner to a Sarahoui. At the end of the day, you realise that you do not need air-condition.»
Ce qu'il trouvait insupportable, c'était les orages qui les trempaient jusqu'aux os et qui transportent avec eux les grains de sable du désert. «Il pleut pendant trois heures d'affilées et le vent est glacial. Il fait nuit noire. Comme vous n'avez pas de vêtement de rechange, vous vous recroquevillez en position foetale et attendez que ça passe. Et quand les vêtements commencent à sécher, le sable vous colle à la peau.»
Il développe une grippe à plusieurs reprises et les médicaments que ses geôliers lui donnent alors sont sommaires, soit du paracétamol. «Je me parlais à moi-même dans ces moments-là, espérant que je n'allais pas mourir là, dans le désert. Je n'arrêtais pas de me dire: let me get through this. At this point, you take each day at a time. I was constantly on survival mode.»
Leur libération s'est faite par étape. «Le Hollandais a été séparé de nous. His camp was found and he was rescued. Je ne l'ai appris que bien plus tard. Un mois avant ma libération, une voiture est venue et a emporté le Suédois. Je trouvais ça étrange car connaissant comment les hommes d'Al-Quaida opèrent et à quel point, ils aiment la publicité et qu'on parle d'eux, je m'attendais à un échange pour faire l'Occident comprendre qu'ils avaient gagné.»
Or, le 25 juillet 2017, un terroriste lui dit simplement qu'il est libre. «Une voiture est arrivée. Elle était conduite par un intermédiaire. Je m'y suis engouffré et j'ai été emmené à Bamako. Après avoir été interrogé par le gouvernement pendant quatre jours, j'ai pris l'avion pour l'Afrique du Sud.»
Il apprend avec stupeur et chagrin que sa mère est morte deux mois avant sa libération. Son système immunitaire a pris un coup et il tombe malade. À l'hôpital où son père insiste pour l'emmener et a gain de cause, on lui découvre une encéphalite et une méningite, qui sont traitées. On lui fait aussi des tonnes d'examens. À sa sortie, l'établissement refuse de lui donner de facture. Et pas de bol pour lui, il contracte le Covid-19 à au moins cinq reprises. «J'ai vraiment cru que j'allais mourir avant mes 50 ans.»
Retour à l'essentiel
Son existence avait été si simple dans le désert qu'il n'a aucun mal à reprendre sa vie d'avant car il croit pouvoir s'accommoder de tout. «Everything was easy. But there were challenges which I did not see as challenges.» Par exemple, il ne pouvait plus entendre les gens rire bruyamment. «Dans l'Islam, il est dit que ceux qui rient à gorge déployée sont des ânes. Tout est intériorisé dans cette religion. Je sentais que mes niveaux d'énergie n'étaient plus ceux de mes amis. Unless you are hungry, thirsty, dying, everything is futile.»
Il ne comprend pas comment d'anonyme qu'il était, il est devenu célèbre. «I battle to understand the celebrity. A lot of people knew who I was. The support from journalists and from people was incredible. People were hugging me, be it White, Black, Indian.»
Stephen Mc Gown a raconté son histoire dans un livre intitulé «Six years with Al-Qaeda» et pour lequel il a obtenu le SA Book Award dans la catégorie Adult non-fiction en 2021. La version internationale s'intitule «Six years an hostage». «Comme il y avait un ou deux mots différent en anglais dans la version sud-africaine, l'éditeur international a préféré modifier le titre. Mais le contenu est identique.»
Ce qu'il ne supporte plus, ce sont les personnes négatives, qui passent leur temps à se plaindre de leur sort, «people who cannot see the better of themselves. Never say to me 'I cannot help it'. Only one person can change himself/herself.» Il déteste également les réseaux sociaux et les téléphones portables, qui rendent les gens insociables et qui selon lui, détruisent des relations. «They are Satan's toys.»
Rétrospectivement, ces six ans entre les mains des terroristes d'Al-Quaida lui ont fait découvrir qu'il n'était pas fait pour la finance et le secteur bancaire. Ensuite, précise-t-il, «I am more myself, more a free thinker. I am my boss. Everyone should be true to themselves.»
Pratique-t-il encore l'Islam ? «I was not a believer. Then I converted. Now, I am in between religions. I believe in God but I battle with religion. I am non practicing.»
Si depuis sa libération, il donne des conférences à travers le monde, ses audiences sont surprises quand il dit qu'il ne voue aucune haine à ses ravisseurs. «Life is a journey and one should try to see the best in others and not to hate people. One should be objective. People think that six years of my life have been stolen. I do not see it that way. It was my sabbatical, a Master's degree in self-awareness.»
Les personnes de foi islamique l'approchent et lui disent qu'elles sont désolées que des musulmans l'aient traité ainsi et qu'il doit sûrement les détester. «I do not hate Muslims. A Muslim lady told me that I was a chosen one. Maybe there is a bigger thing at play here. I do not know.»
À l'avenir, il pense devenir coach en santé mentale et connaissance de soi pour adultes comme pour enfants. Le message que Stephen Mc Gown veut transmettre aujourd'hui est que «life is too good to be wasted. Stop comparing yourself with anyone. Use your skills and just try to be like a better version of yourself...»