Ile Maurice: Avinash Ramtohul, ministre de la Technologie - «Je souhaite instaurer un véritable mode de vie numérique pour les Mauriciens»

14 Décembre 2024
interview

Avinash Ramtohul, élu député dans la circonscription n°10 (Montagne-Blanche-Grande-Rivière-Sud-Est), évoque ses priorités en tant que ministre de la Technologie. Il souhaite introduire plusieurs projets ambitieux pour moderniser le pays, notamment l'amélioration de l'interaction numérique entre le gouvernement et les citoyens, et réussir l'intégration de l'intelligence artificielle. Le ministre Ramtohul fait aussi état des dossiers brûlants tels que l'affaire Missie Moustache, les écoutes téléphoniques et le réenregistrement des cartes SIM.

Vous participez pour la première fois à une élection et vous voilà ministre. Comment le vivez-vous ?

Nous étions à un carrefour : soit nous allions continuer avec le statu quo et la même équipe sans avenir, soit nous allions emprunter une nouvelle voie. Je suis très heureux et reconnaissant envers le peuple mauricien pour avoir pris son destin en main et avoir fait le choix nécessaire pour son pays, sa démocratie et les générations futures.

Pour nous, il s'agissait davantage des générations à venir que des élections, davantage de notre dignité et de notre démocratie que de l'argent. Je tiens à remercier le Premier ministre, le Dr Navin Ramgoolam, et les autres leaders des partis de l'Alliance du changement, pour la confiance placée en moi.

Je suis très reconnaissant de cette opportunité et conscient de la responsabilité qui l'accompagne, ainsi que des attentes et de l'obligation de rendre des comptes. Il y a beaucoup à faire. J'ai travaillé auparavant pour State Informatics Limited et pour le National Computer Board. Aujourd'hui, je suis ici dans un contexte différent, avec de nouvelles responsabilités mais la mission reste d'aider le pays et de mener à bien sa transformation numérique.

Quels seront vos principaux objectifs pour le développement technologique à Maurice ?

La technologie n'existe pas pour elle-même. Elle est là pour améliorer et simplifier la vie des gens, résoudre les problèmes sociaux et aider les industries à croître, contribuant ainsi au Produit Intérieur Brut et à une économie saine et résiliente. Par exemple, l'intelligence artificielle (IA) est déjà intégrée à nos vies quotidiennes, que ce soit via Google, Netflix ou dans des processus administratifs. Toutefois, pour exploiter pleinement l'IA, le gouvernement doit devenir une entité axée sur les données. Il est essentiel de collecter, de partager et d'analyser les données afin d'extraire des informations pertinentes pour une prise de décision éclairée.

Votre premier constat en arrivant au ministère ?

Maurice est descendu dans le classement de confiance des gens dans l'adoption des technologies de l'information. Bien que nous soyons en tête en Afrique, selon certains indices, ces résultats doivent être interprétés avec prudence. L'adoption de services numériques efficaces, que ce soit pour le gouvernement, les entreprises ou les citoyens, reste insuffisante. Par exemple, obtenir un permis de conduire en ligne prend trop de temps.

Certains services, comme la déclaration fiscale en ligne, fonctionnent bien, mais d'autres services nécessitent des améliorations en termes de convivialité, de processus et de rapidité. De nombreux systèmes gouvernementaux sont dispersés et doivent être regroupés sous une même plateforme e-gouvernementale. De plus, les interactions avec les parties prenantes doivent être revues pour mieux utiliser les technologies de l'information et accroître la productivité des employés.

Il y a des institutions qui ne sont pas forcément sous votre ministère comme l'ICTA ou le Data Protection Office, entre autres, mais qui sont étroitement liées à la technologie. Ces instances ont vivement été critiquées dans le passé pour leur inertie ou leurs décisions controversées. Comment allez-vous y remédier ?

Concernant l'ICTA, l'un des défis majeurs était la proposition de surveillance des réseaux sociaux, il y deux ans, et qui a rapidement été abandonnée face à l'opposition des citoyens et du secteur privé. Cela reflète un problème lié aux droits constitutionnels, notamment la liberté d'expression et la confidentialité des communications. Ce projet manquait de consultation réelle et allait être imposé à la population comme un fait accompli.

De plus, le réenregistrement des cartes SIM, censé lutter contre le trafic de drogue, a suscité des controverses. D'autres solutions technologiques, comme l'utilisation de l'IA pour analyser le style de vie et les revenus déclarés, pourraient être envisagées pour traiter ce problème de manière plus efficace.

Par rapport au réenregistrement des cartes SIM, la décision de la justice se fait toujours attendre. L'opposition d'alors, qui est aujourd'hui au gouvernement, était très critique envers cette démarche. Envisagez-vous d'aller de l'avant avec ce projet de réenregistrement des cartes SIM ?

Des discussions sont en cours pour définir les prochaines étapes. L'ICTA, une institution respectable, opérera dans le cadre de son mandat. Les détails seront communiqués une fois qu'une direction claire aura été définie.

Votre prédécesseur avait parlé de «laptop eklate» en faisant référence au scandale de sniffing. Vous êtes maintenant au ministère. Vous avez pu voir un peu plus clair dans cette affaire et consulter les différents rapports ?

Il est crucial de restaurer la confiance dans la gestion des données et les réseaux de télécommunications. Le pays a les lois nécessaires telles que le Data Protection Act et le Cybercrime and Cybersecurity Act pour punir les actes répréhensibles. Dans un état démocratique, les actions doivent être proportionnelles aux actes répréhensibles. Toute atteinte à l'intégrité d'un réseau, qui pourrait nuire à la confiance des investisseurs, exige des mesures sérieuses. En cas de menace à la sécurité nationale, la Constitution prévoit des actions spécifiques, toujours dans le respect du principe de proportionnalité.

Venons-en aux bandes sonores de «Missie Moustass». Votre avis en tant que ministre sur le procédé d'obtention de ces bandes sonores ?

Nous nous dissocions totalement des bandes sonores de «Missie Moustass», comme les gens l'appellent. Je n'ai aucune idée de la manière dont ces bandes sonores ont été réalisées. Tout ce que je sais à ce propos, c'est ce qui a été répercuté dans les médias.

Pensez-vous que ces enregistrements sonores étaient véridiques ?

L'IA peut-elle être utilisée pour manipuler des voix ? À ma connaissance, l'IA n'est pas encore capable de parler en créole. De plus, elle n'a pas atteint un niveau où elle peut exprimer des émotions fortes comme le rire. Certaines technologies permettent des expressions émotionnelles limitées comme froncer les sourcils ou sourire mais cela reste basique. Je ne crois pas que l'IA puisse produire ce type de contenu vocal à ce jour.

Vous avez mentionné votre intention de restaurer la confiance des gens envers les réseaux sociaux. Comment comptez-vous y parvenir ?

En tant que gouvernement, nous respectons la Constitution, notamment la liberté d'expression et la confidentialité des communications. Nous condamnons fermement toute forme de surveillance des médias sociaux. Cependant, nous devons trouver un équilibre. Il est nécessaire d'analyser certains types de conversations pour limiter les préjudices en ligne comme la radicalisation ou les activités antisociales, qui pourraient menacer l'harmonie nationale. D'autres pays, comme ceux de l'Union européenne et le Royaume-Uni, ont adopté des lois similaires. Nous avons la responsabilité d'offrir à la population un environnement sûr, tout en respectant ses droits fondamentaux.

Avez-vous déjà songé à la façon dont votre ministère peut aider des instances comme la National Land Transport Authority (NTLA) ou les hôpitaux à devenir plus efficaces ?

Pour la NLTA, une des périodes critiques est la fin du mois où beaucoup de gens se rendent dans leurs bureaux pour s'acquitter du paiement des redevances de leurs véhicules. Un système en ligne existe déjà mais son utilisation reste faible. Cela nécessite une sensibilisation accrue des citoyens et une amélioration de l'interface utilisateur pour la rendre plus intuitive et accessible.

Concernant le secteur de la santé, beaucoup de patients se déplacent encore pour prendre des rendez-vous. La prise de rendez-vous en ligne, notamment pour des spécialistes, pourrait être une solution efficace. Pourtant, bien que les Mauriciens soient très actifs sur les réseaux sociaux (Facebook, YouTube etc.), ils n'utilisent pas aussi facilement les services en ligne. Cela met en lumière des problèmes d'ergonomie et de conception des interfaces.

L'IA dans la santé pourrait être utile, par exemple, pour analyser rapidement des électrocardiogrammes ou pour effectuer un tri des patients grâce à des dossiers médicaux centralisés. De plus, des chatbots peuvent fournir des conseils de santé. Toutefois, il est crucial de garantir la protection des données et de veiller à ce que ces outils soient utilisés sous supervision médicale.

Et pour d'autres problèmes sociaux tels que la gestion des déchets ?

Dans certains pays, l'Internet des Objets (IoT) est utilisé pour optimiser la collecte des déchets. Par exemple, des capteurs placés dans des bennes à ordures peuvent envoyer un signal lorsqu'elles sont pleines, ce qui permet de mobiliser les camions uniquement au moment opportun. Cela réduit les coûts, le temps et les ressources.

Pour aller plus loin, il est essentiel de collecter des données sur les volumes de déchets, les zones où le recyclage est le plus pratiqué et les types de matériaux recyclés. Ces données permettraient de concevoir des politiques adaptées et de rendre les services plus efficaces.

Bien que les indicateurs internationaux puissent montrer de bons résultats pour Maurice grâce à sa petite population, ces statistiques ne reflètent pas nécessairement la qualité des services fournis localement. Les interactions entre le gouvernement et les citoyens (G2C), ainsi que les services aux entreprises (G2B), doivent encore être largement développés.

L'accès gratuit à Internet pour chaque famille est une initiative ambitieuse. Comment allez-vous la mettre en place ?

Le ministère reconnaît que l'accès à Internet est devenu une nécessité essentielle, non seulement sur le plan technologique, mais aussi pour de nombreux aspects de la vie quotidienne. Cette initiative vise à offrir un accès gratuit à toutes les familles. Cependant, le projet en est encore à l'étape d'analyse. Les détails techniques et organisationnels de son application devront être définis à travers des discussions et des consultations approfondies. Pour l'instant, il s'agit d'un principe et d'une intention clairement affichée.

Vous avez annoncé la création d'une plateforme en ligne, destinée à recueillir les opinions des jeunes sur l'Internet du futur. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet et sur ses objectifs ?

Le projet a pour ambition de recueillir les attentes et les besoins des différents acteurs concernés. Cela inclut à la fois les entreprises du secteur technologique, les administrations internes, les opérateurs télécoms et la société civile. Une consultation a déjà été entamée avec les départements internes du ministère et d'autres discussions sont prévues avec des chefs d'entreprise et des acteurs du secteur académique.

Ce dialogue vise à comprendre les besoins spécifiques de chaque génération, notamment ceux des jeunes, pour ajuster les services publics et les infrastructures numériques. Une plateforme en ligne sera mise en place pour permettre à la population, et plus particulièrement aux jeunes, d'exprimer leurs attentes et leurs idées concernant l'Internet de demain. Cette plateforme s'appuiera sur des outils existants, comme des chatbots, pour faciliter la participation et l'engagement.

Par rapport aux écoutes téléphoniques, le Premier ministre Navin Ramgoolam a annoncé son intention d'introduire une loi pour encadrer cette pratique. Avez-vous déjà commencé à travailler sur ce dossier ?

Cette annonce a effectivement été faite et nous avons plusieurs projets importants à mener à bien. Nous travaillerons sur ce dossier en temps voulu. Des discussions et des consultations auront lieu lorsque le moment sera approprié.

Que pensez-vous de la décision de l'Australie d'interdire l'accès des réseaux sociaux aux enfants de moins de 16 ans ?

Chaque pays agit en fonction de son propre contexte. L'Australie a pris cette décision pour répondre à ses défis spécifiques, notamment en matière de dangers en ligne. À Maurice, notre réalité est différente.

Nous cherchons avant tout à offrir un environnement où les droits fondamentaux de nos citoyens sont respectés. Nous voulons également favoriser l'innovation, notamment en matière de technologies numériques, qui s'adressent à l'ensemble de la population. Cela dit, nous sommes attentifs aux bonnes pratiques internationales, notamment en Europe.

Avez-vous un projet spécifique, quelque chose qui vous tienne à coeur, que vous aimeriez développer durant votre mandat ?

Ce qui me tient vraiment à coeur, c'est d'aider à instaurer un véritable mode de vie numérique pour les Mauriciens. Cela concerne notamment l'interaction entre le gouvernement et les citoyens. Ce n'est pas un seul projet mais plusieurs projets que nous mettons ensemble, ayant principalement une dimension sociale. Par exemple, dans notre système de transport public, l'information devrait être accessible non seulement par des panneaux d'indication mais aussi via une application mobile.

Un autre projet pourrait être l'utilisation de l'Internet des Objets (IOT) dans les champs agricoles pour surveiller la qualité du sol, détecter les ravageurs et envoyer ces informations vers le cloud, ce qui permettrait d'agir rapidement pour garantir la sécurité alimentaire, en ligne avec les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies.

Je pense aussi aux besoins quotidiens de la ménagère, qu'elle soit en zone urbaine ou rurale. Si elle a besoin d'un plombier ou d'un électricien, elle pourrait utiliser une application pour trouver ces services, connaître la localisation en temps réel du professionnel, consulter les avis des clients et les tarifs. Cela faciliterait grandement la vie des gens, tout en aidant ces professionnels à trouver plus de clients. De même, en cas de panne de voiture, une application pourrait localiser les mécaniciens à proximité.

D'autres projets incluent l'amélioration du système de parking avec une technologie qui détecte automatiquement l'entrée et la sortie d'un véhicule et débite directement le compte bancaire lié à l'application, rendant le processus beaucoup plus pratique. Il ne s'agit pas simplement de faire une chose mais d'avoir une série de projets pour améliorer la vie des Mauriciens.

Nous devons aussi apprendre des pays comme l'Estonie et renforcer notre législation sur l'IA car il n'existe actuellement aucune réglementation spécifique en la matière. Une partie peut être couverte par la loi sur la protection des données et la cybersécurité mais il y a de nombreux autres aspects à réglementer.

Nous devons aussi envisager des discussions au sein de la Communauté de développement pour l'Afrique australe (SADC) pour partager et apprendre ensemble. En parallèle, nous devons également réfléchir à la protection des Mauriciens contre les arnaques en ligne et à la possibilité de créer un entrepôt à Maurice pour desservir à la fois le marché local et africain.

La protection des données personnelles est-elle importante pour vous ?

La protection de nos données personnelles est essentielle. Le Data Protection Office a été mis en place et il est crucial que toutes les organisations respectent la législation y relative. Les organismes responsables de l'audit des pratiques de protection des données doivent être tenus responsables de leur rôle. Je prends la protection des données très au sérieux et j'ai déjà initié des actions au sein de nos départements internes. Il est également important de rappeler au public que leurs données sont leurs droits. Nous devons les sensibiliser à leurs droits car la loi sur la protection des données confère des droits aux individus.

J'ai aussi l'intention de mettre en place, en collaboration avec le ministère de l'Éducation, une plateforme pour permettre à nos étudiants de suivre des cours en ligne. Il s'agira d'une vraie plateforme interactive, contrairement à celle qui est utilisée actuellement à travers la MBC et qui n'est pas fonctionnelle. Si les écoles devaient rester fermées en raison de conditions météorologiques, nous devons disposer d'un système fiable pour que les cours puissent continuer. C'est une responsabilité que nous avons envers nos étudiants.

AllAfrica publie environ 500 articles par jour provenant de plus de 110 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.