Le Central Electricity Board (CEB), la Central Water Authority et la Wastewater Management Authority sont tous financièrement dans le rouge. De plus, alors que la pression de la demande en énergie s'accentue sur le CEB, rien n'a été fait dans les années précédentes pour augmenter la production. Quant à l'eau 24/7, le chantier reste entier. Patrick Assirvaden, ministre de l'Énergie et des Services publics, revient sur l'état de son ministère, les dangers qui le guettent et son plan d'action.
Avez-vous eu le temps de faire un état des lieux de votre ministère ?
Un état des lieux d'un tel ministère ne se fait pas en deux semaines, ni même un mois. À mon avis, cela prendra plusieurs mois pour entrer dans les méandres du ministère. Nous parlons quand même de trois instances essentielles, l'électricité, l'eau et la gestion des eaux usées. Ce sont trois choses qui touchent à la vie de tous les Mauriciens et pratiquement tous les secteurs économiques. Le CEB et la CWA ne font pas qu'offrir des services, ils ont aussi un rôle de facilitateur. Le jour où un facilitateur ne donne pas le service approprié, l'économie est à l'arrêt. Prenons l'exemple du CEB. Sans électricité, les usines ne tournent pas, il n'y a pas d'exportations. L'aéroport et le port seront à l'arrêt. Les prisons et les hôpitaux ne fonctionneront plus. C'est la même chose avec la CWA.
Pour en revenir à votre question, l'état des lieux se poursuit. J'ai eu trois rencontres en deux semaines avec le top management de ces corps paraétatiques pour poser des questions et comprendre la situation afin qu'à partir de janvier, nous puissions commencer à redéfinir les grandes lignes du ministère. Il faudra totalement repenser l'électricité, l'eau et la gestion des eaux usées, garder ce qui a été bien fait, améliorer ce qui a été moins bien fait et mettre un terme à ce qui a été mal fait. En parallèle, il y a d'autres urgences, comme la sécheresse et la transition vers les énergies renouvelables.
Les instances qui tombent sous votre ministère sont sans le sou. Comment allez-vous fonctionner ?
Prenons l'exemple du CEB. Il y a quelque temps, il avait un surplus de Rs 4 milliards. Aujourd'hui, il est déficitaire d'environ Rs 5,5 Mds. J'avais avancé le chiffre de Rs 4,9 Mds au Parlement, mais c'est Rs 5,5 Mds. Le Premier ministre l'a dit. Le CEB roule à découvert et il est au bord de la banqueroute. Il y a eu une gestion catastrophique qui frôle l'irresponsabilité.
Vous aviez parlé du désastre de CEB Green, CEB Facilities et CEB Fibernet. Quel est votre constat de cette affaire en tant que ministre ?
Ivan Collendavelloo avait lancé ces trois subsidiaires avec un investissement de Rs 1,2 Mds. Je précise que le CEB Fibernet avait installé des câbles pour l'Internet alors que ce n'est pas sa vocation. CEB Green devait se focaliser sur l'énergie renouvelable et CEB Facilities faisait l'élagage des arbres, gérait les centres d'appel, s'occupait du nettoyage et de la sécurité. Des dizaines de millions de roupies ont été investies dans les équipements. Lorsque Joe Lesjongard a pris les rênes, il a tout démantelé.
L'investissement est perdu. Cela fait huit ans que CEB Fibernet avait commencé ses opérations. Jusqu'à présent, je ne vois rien de profitable qui se profile malgré l'argent qui y a été investi. Tôt ou tard, je vais devoir en parler au Conseil des ministres pour voir si on va continuer à injecter des fonds dans une compagnie sur laquelle on n'a aucune visibilité, ou accepter de perdre le Rs 1,2 Md. Je ne vous ai donné qu'un seul exemple. Il y a trois instances comme ça. Puis, il y a la gestion même de ces corps paraétatiques. Les boards et les directeurs ont été à la dérive sous le MSM...
Justement, vous aviez parlé du General Manager (GM) qui a été en poste un seul jour...
Selon moi, c'était un complot ! La séquence des événements n'aurait pas pu avoir lieu s'il n'y avait pas eu des arrangements et complicités préalables. Le 2 avril, un chef de département avec 35 ans de service est promu GM. Son salaire est doublé. Le 3 avril, il va travailler. Le lendemain, il demande sa mise à la retraite et le board accepte. Il a donc une pension et un lump sum de GM alors qu'il n'a occupé ce poste que pendant un seul jour. Le 5 avril, le même board lui offre un contrat de deux ans. Comment voulez-vous pas que le fonds de pension n'explose pas ? Un homme qui a travaillé comme chef de département part avec une pension de GM alors qu'il n'a travaillé qu'un seul jour ? Pour moi, c'est du vol. Il y a eu un complot.
Par la suite, lorsque j'ai été nommé ministre, j'ai fait appeler le GM en poste, qui avait déjà soumis sa démission avec un mois de préavis. Comme il était the accountable person, je devais examiner l'état du CEB avec lui. Il a envoyé un certificat médical couvrant son mois de préavis. Je n'arrive donc pas à avoir les détails de sa gestion. J'ai dû chercher son assistant et nommer deux acting officers-in-charge pour faire tourner le CEB. Tout ceci pour vous dire que le CEB est au bord de la faillite. Je suis inquiet.
Pourrez-vous le sauver ?
Ce n'est pas un choix ! Nous sommes obligés de le faire. Il n'est pas possible de ne pas avoir de CEB. Il doit y avoir de l'argent pour la maintenance du réseau, pour payer le charbon et l'huile lourde et payer les travailleurs. La maintenance ne peut pas être stoppé, et les dépenses dessus ne peuvent pas être minimisées. Sinon, nous irons vers le délestage et un black-out.
Vous aviez dit que vous alliez tirer au clair toute l'affaire CorexSolar une fois au pouvoir. Avez-vous pu le faire ?
J'ai posé quelques questions et j'attends les réponses. Je ne sais pas si la compagnie respecte toutes les conditions imposées pour l'installation des panneaux solaires. Le cahier des charges est précis et devra être respecté. Là, le projet est toujours au stade d'obtention de permissions. J'apprends aussi qu'il y a un retard. Si c'est le cas et qu'elle ne peut pas mener à bien le projet, des actions seront prises dans le sens qu'il faut. Je dois préciser que je ne suis pas venu ici pour résilier le contrat de qui que ce soit de façon arbitraire. Loin de là. Je vais m'assurer qu'il n'y a aucune faveur. Tout devra se faire dans la transparence.
Une des promesses électorales était de redéfinir les grandes lignes du CEB pour faire baisser le prix de l'électricité. Cette promesse tient toujours ?
Nous avons un bouquet énergétique. La production du CEB est faite à partir de charbon, d'huile lourde. Il y a aussi l'énergie hydroélectrique, le solaire et l'éolienne. L'ancien gouvernement avait pour but d'atteindre 60 % d'énergie verte en 2030. De 2014 à ce jour, notre part d'énergie verte a baissé de 23 % à 17,5 %. Donc, 60 % en 2030 paraît utopique. Quant au 35 % pour l'année prochaine, c'est un rêve qui a été vendue à la population.
La réalité énergétique du CEB est qu'il faut avoir une baseload, soit l'énergie en continu. C'est ce qu'on appelle, dans le jargon, le firm power. Cela permet de répondre à la demande. Les chiffres sont inquiétants. Il n'y a aucune installation pour le firm power depuis six ans, alors que la demande croît de 5 % tous les ans. Comment allons-nous répondre à cette demande ? L'énergie renouvelable est un bonus, mais elle est intermittente. Là, nous misons sur les batteries. Mais est-ce que leur efficience est prouvée ? Je ne peux pas répondre à cette question. Il faut attendre pour voir si ces batteries pourraient répondre aux demandes.
Paul Bérenger a souvent parlé de risque de black-out. Ce risque est donc réel ?
Si nous ne prenons aucune décision, si nous ne gérons pas l'exportation de l'électricité sur notre réseau, le délestage guette à nos portes. Nous avons certes une réserve, mais cette réserve doit pouvoir nous permettre de résister à tous les scénarios. Parfois, un moteur peut tomber en panne. En même temps, il y a une hausse dans la demande, et en même temps, un autre moteur tombe en panne... Puis, il y a des maintenances des moteurs dans l'année qui doivent impérativement être respectées.
Donc, l'électricien du CEB a des exigences. Il doit danser sur plusieurs plans pour s'assurer que l'électricité est fournie. Il doit également s'assurer que les machines ne tombent pas en panne, qu'il n'y a pas de breakdown, que la demande n'augmente pas. J'avais demandé, au Parlement, les prévisions pour subvenir aux demandes en 2030 alors que le charbon est en suppression progressive. La réponse était les batteries. Parlons du cas de la batterie installée à Henrietta. Elle a commencé à fonctionner correctement il y a environ deux semaines.
Je vous donne un autre exemple. On a frôlé le blackout à Rodrigues il y a un mois. Il y a des moteurs d'une capacité de 11,5 MW. La pointe tourne autour de 8,5 MW ; donc, on a une réserve. Un moteur est tombé en panne depuis plus de deux mois. On a donc dû faire appel à des moteurs qui avaient déjà été parked car ils avaient fait leur temps. On a tous entendu parler de la pénurie de diesel là-bas ! Aujourd'hui, nous nous retrouvons dans une situation où nous devons jouer au pompier, nous devons nous atteler au plus pressé.
Ce problème est présent à Maurice aussi. Nous avons des moteurs à Fort-George et St-Louis qui ont 35 ou 37 ans d'existence, qui ne sont plus utilisés ailleurs, mais qui doivent être maintenus en opération. Il y a un moteur fissuré et on est toujours en train de l'utiliser. Vous ne voyez pas qu'on joue avec le feu ? C'est pour cela que, dans les mois à venir, il faudra prendre des décisions pour revoir nos priorités. Par la suite, nous pourrons nous atteler au long terme. Là, nous devons régler le problème du court terme avant d'aller vers le moyen terme et le long terme.
Un autre projet que vous devrez mener est l'eau 24/7. Est-ce possible en cinq ans
Plus de 60 % de l'eau se perdent dans le réseau de distribution. C'était la première question que j'avais posée lors d'un management committee de la CWA. Les tuyaux ont été changés et cela a été entaché d'un scandale. Le ministère des Finances avait donné des milliards en grant pour remplacer des tuyaux. Les contrats ont été éclatés dans le but de faire profiter des ti kopin. Une compagnie a obtenu 11 contrats de la CWA et les downpayments ont été faits. Je vous parle de centaines de millions. Six contrats ont dû être repris car la compagnie ne pouvait pas les honorer.
La compagnie a été supprimée de la liste des contracteurs de la CWA. Maintenant, on découvre qu'elle a bénéficié de Rs 150 M de la MIC. Kot nou pe ale ? Souvenez-vous que la Chief Internal Auditor de la CWA a dû démissionner. D'ailleurs, j'ai un rendez-vous avec la dame dans la semaine (NdlR : l'interview a eu lieu mercredi) pour l'écouter et savoir dans quelles conditions elle a dû démissionner. Il y a quelqu'un, quelque part, qui doit répondre. Puis, avez-vous vu que dans quelques endroits, les tuyaux ne sont plus sous terre ? Tous ces tuyaux sont à risque. Cela a été fait lorsque Prakash Maunthrooa était le GM de la CWA. J'ai l'impression que le ministre Lesjongard ne pouvait rien dire.
Donc en 10 ans, le problème de distribution d'eau est resté entier ?
L'eau 24/7 a été la plus grande escroquerie politique des dix dernières années. C'était la promesse électorale phare de l'Alliance Lepep en 2014. Quelle amélioration avezvous constaté ? La CWA ne gère pas nos réservoirs, elle gère le traitement et la distribution. Pouvez-vous me dire quel plan d'action, à part le changement de tuyaux entaché de scandales, a été mis en place ? La Water Resources Commission (WRC) gère elle nos réservoirs. Il n'y a rien eu pour améliorer cette gestion. Est-ce que la CWA ou la WRC se sont penchées sur la question de savoir si le pays serait mieux desservi par de petits réservoirs régionaux ? La distance que l'eau devra parcourir sera moindre, donc il y aurait moins de pertes. Donc, pourquoi ne pas en faire 20 ?
Revenons à l'énergie verte. Quel est votre plan de transition ?
Maurice est condamné à réussir sa transition énergétique, qui est une priorité sur l'agenda du gouvernement. Aujourd'hui, nous devons accepter que cette transition se fera de manière plus difficile qu'on ne l'imaginait. La raison est que nous avons un bouquet énergétique. Mais je suis convaincu que la biomasse doit être le point central de notre transition. Le point noir de notre bouquet énergétique est le charbon. Si nous arrivons à remplacer le charbon par une biomasse acceptable, 50 % du travail sera accompli. Il y avait un Biomass Framework qui avait été préparé dans le temps. Alteo a déjà commencé à en utiliser. Terra aussi. Ils utilisent le charbon et des copeaux de bois. Ces copeaux peuvent être produits en partie à Maurice et une autre est importée.
Dans ma vision, la biomasse a un rôle primordial à jouer. Il y aura certes l'éolienne, l'énergie solaire et la batterie, mais il nous faudra toujours le bouquet énergétique. Et il ne faut pas oublier que le CEB devra toujours avoir un plan B de firm power, car que se passe-t-il si un jour, on n'a pas de soleil ? J'aurais souhaité que le Dr Ramgoolam revienne avec son projet de Maurice Ile Durable. Ce projet était chapeauté par le Pr Joel de Rosnay, un scientifique reconnu. C'était un projet cohérent. Il était question de biomasse, de photovoltaïque, d'éolienne, de traitement des déchets, de waste to energy et de gas to energy. Aujourd'hui, cet ensemble sous un seul projet n'existe pas.
L'autre avantage que nous avons en ce moment est que la plupart des contrats des Independent Power Producers (IPP) arrive à terme. C'est le moment idéal pour cette transition. On ne peut pas rater ce train car il ne repassera que dans 20 ans. Il y a un contrat qui arrive à terme le 31 décembre, un autre en juin 2025 et encore un autre en septembre 2025. C'est le moment de renouveler dans la transition. Évidemment, il faudra avoir des conditions. Pa kapav atas lame lipie leta ankor. Je vais être exigeant dans ces négociations.
J'ai aussi demandé que la Mauritius Renewable Energy Agency (Marena) et l'IMO mettent l'accent sur l'efficience énergétique ou ce que nous appelons les «MW non-utilisés». Le concept est simple. Kan ou pa dan enn lasam, teign lalimier la. Lorsque vous n'utilisez pas cette électricité, il n'y a pas besoin de charbon pour le produire. Cette efficience énergétique a été le parent pauvre du précédent gouvernement. Cette sensibilisation se fait dans les écoles. La MARENA et l'IMO doivent aller dans cette direction. Il y a aussi le tri des déchets. Cela permettra d'utiliser les déchets pour produire de l'électricité. Ici ce n'est pas possible car tout est mélangé. On ne peut pas aller vers le waste to energy project. Tout cela est dans ma vision pour la transition.
** Parlons politique. Vous vous êtes remis du 60-0 ?**
Je sentais qu'il y avait un mécontentement généralisé. La masse silencieuse attendait l'heure, mais je ne m'attendais pas à ce que la population soit aussi sévère. Le précédent gouvernement avait dépassé les bornes dans tous les sens. Il y a eu l'assassinat de Soopramanien Kistnen, l'interdiction des réseaux sociaux, entre autres. Dans les Moustass Leaks, nous avons vu des personnes qui n'avaient rien à faire avec le gouvernement décider des affaires du gouvernement. C'est le 60-0 le plus sévère de l'histoire. J'ai battu un adversaire par 23 000 voix ! Ce n'est pas de l'arrogance, mais un fait. Cependant, un 60-0 de cette ampleur est accompagné de beaucoup de responsabilités et d'attentes.
Justement, on ne voit venir aucun changement.
Le changement est déjà là ! Déjà, les gens respirent. La population peut s'exprimer, donner son opinion, ne pas être d'accord sans risquer de voir des policiers de la SST débarquer chez elle. Concernant les nominations, on prend notre temps. Ne me dites pas que la nomination de Rama Sithanen à la BoM n'est pas une bonne chose ! Nous parlons d'un homme qui est respecté dans le domaine. Il n'a pas été nommé parce qu'on le connaît, mais parce qu'il est compétent. Le changement est déjà là.
Oui, mais malgré ce qui a été dit par vos collègues, le poste de vice-président est toujours là.
En 2019, nous avions effectivement dit que ce poste pouvait être aboli. Là, je vais vous donner mon opinion personnelle. Je n'ai jamais été vraiment d'accord avec cette position. Nous sommes dans un pays arc-en-ciel. Ou kontan ou pa kontan, il y a des réalités à respecter. Il doit y avoir la séparation des pouvoirs entre le chef de l'exécutif et le chef du judiciaire. Certes, on peut voir le problème à travers le prisme des fonds publics, mais dans certains pays, pour garder l'équilibre, il y a un prix à payer.
Quel est l'état d'esprit des «backbenchers» ?
J'ai toujours encouragé les backbenchers à poser des questions. Les ministres sont là pour répondre et doivent le faire. Ils sont payés pour donner des éclaircissements. Maintenant, chacun a son style. Par exemple, Anabelle Savabaddy a dit que mes réponses n'étaient pas satisfaisantes. Peut-être qu'elle a raison... Moi, j'ai donné des réponses que j'ai considéré devoir et pouvoir donner. Je comprends son impatience. Il y a eu, dans sa circonscription, comme dans d'autres, un laisser-aller en termes de distribution d'eau et de tout. Le reste des circonscriptions ont 10 ans de retard. En tant que ministre, je promets des choses que je peux faire. Je prends l'engagement là où je peux.
Notre plus grand danger et qu'il n'y a pas d'opposition comme tel. On doit faire très attention à cela. Je ne demande pas aux backbenchers de jouer le rôle de l'opposition, je dis simplement que lorsqu'on n'a pas d'opposition solide en face, il faut que les backbenchers viennent toutes les semaines avec des questions solides. Si j'ai le double de ces questions chaque semaine, cela m'arrange. De nature, j'aime éclaircir les choses. J'ai un caractère propre à moi. J'aime le ton qu'il y a eu au Parlement, avec la présidente de l'Assemblée et avec la députée du no 4. Je suis prêt à donner des renseignements et des solutions.