Dakar — L'historien Mamadou Fall a préconisé la production d'archives vivantes, appelant à "se départir" des documents administratifs coloniaux qui "ne permettent pas de changer d'échelle pour sous-tendre un nouveau narratif" national et africain sur le massacre des tirailleurs sénégalais perpétré le 1er décembre 1944 à Thiaroye, dans la banlieue dakaroise.
"Il faut se départir des documents administratifs, car ces derniers restent une production coloniale et ne permettent donc pas de changer d'échelle pour sous-tendre un nouveau narratif qui soit national et africain", a soutenu, samedi, l'historien.
Il s'exprimait lors d'une table ronde organisée par le Musée des civilisations noires dans le cadre des commémorations du 80-ème anniversaire du massacre de Thiaroye en 1944. M. Fall milite pour des archives plus vivantes, susceptibles de contourner définitivement le narratif déjà puissant de la France et de l'Occident de manière générale.
"Si on arrive à regrouper des milliers de noms de Sénégalais, de Baoulés (de Côte d'Ivoire), des milliers de noms d'Africains, qui ont été les acteurs principaux de ce massacre colonial qu'on a vécu à la fin des années 40, je crois que pour la première fois, nous pouvons non seulement produire des archives vivantes, mais créer une nouvelle histoire", a déclaré M. Fall.
Il affirme qu"'on en est arrivé à un moment où, maintenant, nous pouvons faire l'histoire du tirailleur, non pas à travers le prisme étroit des archives, mais on peut désormais faire l'histoire du tirailleur à partir d'une archive globale, qui a un narratif, qui a un texte, qui a une voix".
Pour une documentation plus exhaustive du massacre de Thiaroye, le comité de commémoration de ce massacre estime qu'il est aujourd'hui "crucial de croiser les données recueillies au Sénégal et en Afrique aux données présentes en France".
"Cela passe, entre autres, à travers des sources documentaires, à savoir le témoignage des fouilles archéologiques ou même des travaux académiques relatifs à Thiaroye 44 soutenus au Sénégal et à l'échelle de l'Afrique", souligne l'archiviste Thierno Kandji.
Kandji est le président de l'Association sénégalaise des bibliothécaires, archivistes et documentalistes, et membre du comité de commémoration du massacre.
Le directeur du patrimoine culturel, Oumar Badiane, précise qu'aucun livre ni document, ni article ne renvoient au massacre de 1944.
"Tout ce que l'on a sur les tirailleurs, c'est une fiche qui présente les cimetières, des tirailleurs. Une fiche, qu'il faut documenter davantage", suggère-t-il.
Cette rencontre qui a réuni des intellectuels de différentes disciplines a permis de discuter sur des stratégies, en vue d'accompagner la politique mémorielle du Sénégal dans l'écriture de l'histoire de ce massacre.
Selon les organisateurs, l'objectif est de rendre compte du travail déjà accompli par les bibliothécaires et archivistes et d'évaluer l'apport des sources documentaires dans la compréhension du massacre de Thiaroye.
Il s'agit aussi, ajoutent-t-ils, d'aborder de manière critique la question de la mémoire et des politiques nationales relatives au patrimoine documentaire de manière plus large et enfin de définir des stratégies pour soutenir les politiques mémorielles.