La situation de l'épidémie du VIH faisait ressortir une prévalence de 0,6 %, dont 0,7 % chez les femmes et 0,4 % chez les hommes. Le nombre de personnes vivant avec le VIH est estimé à 95 000 adultes, dont 55 000 femmes, 31 000 hommes, et 9 500 enfants de moins de 14 ans. Les nouvelles infections chez les adultes et les enfants étaient au nombre de 1 900, les décès liés au VIH sont estimés à 2 600 et les orphelins dus au VIH étaient au nombre de 86 000.
Quels sont les principaux modes de transmission du VIH chez l'enfant ?
Chez l'enfant on distingue trois voies de transmission du VIH. La transmission mère - enfant ou verticale qui constitue la principale voie de transmission chez l'enfant. Cette voie de transmission concerne la majorité des enfants infectés par le VIH. Par cette voie, l'enfant peut être contaminé pendant la grossesse, l'accouchement ou l'allaitement. Les autres voies sont rares chez l'enfant : il s'agit de la voie sexuelle lors des agressions sexuelles, des mariages précoces, etc. et la voie sanguine par la transfusion sanguine par exemple ou en utilisant les objets souillés lors de gestes comme l'excision, la scarification, l'injection des drogues.
Quand est-ce qu'un dépistage est demandé chez un enfant ?
La connaissance de son statut VIH est un objectif majeur pour mettre fin à cette pandémie. Or le dépistage chez l'enfant au Burkina Faso reste très faible et souvent très tardif. Le diagnostic précoce de l'infection permet une prise en charge rapide et une réduction très significative de la mortalité. Il y a encore beaucoup d'enfants dans la communauté dont on ignore le statut VIH.
L'offre de dépistage VIH doit être systématique à chaque point de contact avec un enfant malade dans une structure de santé. Nous insistons particulièrement sur le dépistage de tous les enfants hospitalisés pour malnutrition aiguë sévère, infections sévères ou récurrentes, tuberculose, retard de croissance et de développement psychomoteur, enfants nés de mères séropositives et la fratrie des enfants infectés par le VIH.
Quelles sont les principales étapes de leur prise en charge ?
Dès que le diagnostic est confirmé, il faut annoncer le diagnostic aux parents. Il faut expliquer les possibilités thérapeutiques, revenir sur les modes de transmission et les mesures préventives ; l'importance d'une bonne observance thérapeutique ; et le suivi à long terme. Il faut s'assurer de la disponibilité d'un adulte pour administrer les médicaments et accompagner l'enfant dans le suivi. La prise en charge comporte plusieurs volets : administration des médicaments qui permettent de ralentir la multiplication du virus (antirétroviraux), administration des médicaments pour traiter ou prévenir les infections concomitantes ; l'accompagnement psychosocial, la prise en charge nutritionnelle, sans oublier les examens biologiques réguliers indispensables pour évaluer l'efficacité du traitement et dépister précocement les effets secondaires
Quels sont les défis rencontrés dans la gestion de ces effets secondaires ?
Les effets secondaires sont devenus rares chez l'enfant avec les traitements actuels moins toxiques, plus efficaces et plus adaptés à l'enfant. Les défis, c'est peut-être le diagnostic de certains effets secondaires nécessitant des examens paracliniques pointus (troubles métaboliques divers) et la prise en charge de certains effets secondaires sévères mettant en jeu le pronostic vital. L'exemple type d'un effet secondaire est une prise de poids excessive au cours du traitement mais qui peut être aussi liée à la physiologie même de l'enfant à un certain moment de sa vie. Pendant l'adolescence, les filles ont tendance à prendre du poids sans que cela soit en lien direct avec les médicaments administrés.
Est-ce que les enfants bénéficient du même traitement que les adolescents ?
Ce sont pratiquement les mêmes traitements sauf que chez l'enfant, plus jeune en fonction de l'âge, du poids et de la capacité à avaler les comprimés et des effets secondaires potentiels, certaines formulations des médicaments sont plus à privilégier que d'autres.
Comment se fait le suivi médical ?
Il faut d'abord insister sur le fait que cette prise en charge est holistique et multidisciplinaire. Ce suivi nécessite une étroite collaboration entre la famille de l'enfant et les médecins, infirmiers, agents de l'action sociale, agents communautaires, biologistes, pharmaciens etc.). Le suivi médical est bien codifié selon le protocole national de la prise en charge des enfants et comporte plusieurs aspects sur lesquels il faut bien insister auprès des parents. Ce suivi consiste à évaluer régulièrement l'état clinique de l'enfant, chercher les effets secondaires, apprécier le développement psychomoteur et la croissance. Généralement il y a un ralentissement de la croissance chez les enfants infectés par le VIH. Il faut apprécier aussi l'efficacité du traitement par la réalisation de la charge virale et éventuellement du taux de CD4. L'environnement autour de l'enfant doit être évalué régulièrement à la recherche de troubles d'observance thérapeutique; la maltraitance; les troubles psychologiques, les comportements à risques ; les grossesses précoces chez les filles.
Comment définissez-vous la charge virale ?
La charge virale est la quantité de virus (copies) contenue dans une quantité de sang définie chez une personne infectée par le VIH. Cette charge virale est très élevée chez les enfants infectés par le VIH qui ne sont pas sous traitement antiviral (dans l'ordre de plusieurs millions de virus par ml de sang). Un des objectifs du traitement antiviral est de ralentir la réplication du virus car ce virus se réplique très rapidement ce qui entraine un affaiblissement rapide du système immunitaire. L'objectif est donc d'arriver à un niveau très faible de la charge virale c'est-à-dire à un niveau indétectable par les appareils de mesure de la charge virale, ce qui permet au porteur de rester en bonne santé et de réduire le risque de transmission du virus. La charge virale est dite supprimée lorsqu'elle est détectable mais à moins de 1000 copies de virus /ml. La charge virale est l'examen biologique clé pour évaluer l'efficacité du traitement antiviral.
Quelles sont les stratégies mises en place pour améliorer l'observance thérapeutique ?
C'est un grand défi de maintenir l'observance du traitement chez l'enfant. Ce traitement doit être pris tous les jours par l'enfant ; à un moment l'enfant est fatigué, il se pose beaucoup de questions surtout s'il ne sait pas pourquoi il prend ces médicaments. Donc il est très important d'insister sur l'observance. Pour les accompagner nous organisons de séances d'éducation thérapeutique et de groupes de parole animés par les soignants et les pairs éducateurs. Pendant ces séances, l'enfant apprend progressivement à vivre avec sa maladie et les parents sont outillés à accompagner leurs enfants. Il y a aussi les visites à domicile qui sont organisées pour les patients en grande détresse psychosociale comme les orphelins. Ces activités nécessitent souvent des moyens financiers d'où des difficultés dans leur pérennisation.
Comment les parents ou les tuteurs sont impliqués dans cette prise en charge ?
Ils sont impliqués à toutes les étapes de la prise en charge, de l'annonce aux séances d'éducation thérapeutique, en passant par la mise sous traitement et le suivi médical de routine. Ils sont impliqués au premier plan. Par exemple vous ne pouvez pas annoncer le statut sérologique à un enfant sans l'accord de ses parents, ni mettre un enfant sous traitement ou procéder à un entretien individuel avec l'enfant sans leur accord. Nous organisons souvent des séances de groupe de parole pour les parents pour leur permettre d'échanger entre eux, de partager les expériences.
Quel est le rôle spécifique des parents dans la prise en charge des enfants ?
Les parents ont un rôle important dans l'accompagnement des enfants. Par exemple pour donner les médicaments, ce sont les parents qui doivent le faire, il faut l'aider à respecter les horaires de prise des médicaments, le protéger contre la stigmatisation ; préparer son avenir, l'accompagner dans sa recherche de l'autonomie. En absence des parents, le suivi de l'enfant est très difficile. Les enfants en échec thérapeutique sont ceux qui sont souvent laissés à eux mêmes sans soutien familial.
Quelle est l'ampleur de la stigmatisation des enfants vivant avec le VIH ?
Malheureusement la stigmatisation persiste toujours. Nous avons souvent ces récits assez émouvants des enfants victimes de stigmatisation dans leur propre famille. Cependant, le plus souvent c'est le voisinage et à l'école. Plus rarement dans les structures de santé. Il faut donc renforcer la sensibilisation contre la stigmatisation. Car la stigmatisation freine l'acceptation du dépistage et de la maladie. Elle favorise la survenue de troubles psychologiques (stress, anxiété, dépression) et de comportements à risque chez l'enfant.
Quels sont les problèmes spécifiques que ces jeunes rencontrent dans la société ?
Cela dépend de l'âge. Pour les tout-petits, le principal problème est d'avoir une personne disponible pour s'occuper d'eux. Si les parents doivent aller travailler tôt et rentrer tard, cela peut devenir compliqué pour la prise des médicaments. Pour les orphelins, il est souvent très difficile de trouver une personne qui s'engage totalement. Ils changent fréquemment de tuteurs avec de rupture de traitement.Un autre problème important est l'alimentation : les jeunes enfants, s'ils ne mangent pas suffisamment, ils ne pourront pas bénéficier de tous les effets attendus des médicaments.
D'où la nécessité d'un accompagnement pour leur alimentation. Parfois, c'est toute la famille qui est infectée, avec des ressources très limitées. Ils peuvent ainsi avoir des problèmes de logement et vivre dans la précarité totale.Pour les adolescents, les problèmes sont différents. Le premier défi est l'annonce du diagnostic chez un adolescent suivi depuis l'enfance, souvent il est suivi jusqu'à l'âge de 12 ans, sans qu'il ne sache pourquoi. Cela représente un grand défi : comment lui annoncer le diagnostic et comment le préparer à accepter son diagnostic ? Ensuite, il faut accompagner l'adolescent pour qu'il garde l'espoir et la confiance en soi. Un autre grand défi concerne la gestion de la sexualité : comment lui apprendre à se protéger, à partager son statut, et à réduire les risques dans les relations ? L'insertion dans la vie professionnelle pose également problème, car certains métiers sont incompatibles avec leurs besoins médicaux, notamment ceux qui exigent une disponibilité permanente alors qu'ils doivent régulièrement aller à l'hôpital.
De plus, beaucoup d'entre eux ont du mal à poursuivre leurs études correctement. La scolarité est souvent perturbée à cause des absences fréquentes dues à la maladie. Ceux qui sont à l'internat rencontrent également des difficultés pour gérer les exigences de la maladie. Comme c'est souvent le cas pour toutes les maladies chroniques chez l'enfant, il y a très peu de personnes de bonnes volontés pour motiver et soutenir ces enfants. En tant que soignants, nous devrions également s'intéresser à leur scolarité et à leur avenir. Si un enfant ou un adolescent échoue sur le plan scolaire ou professionnel, cela peut être la conséquence d'une mauvaise observance thérapeutique, des troubles psychologiques ; ou d'autres problèmes de santé
Quels sont les défis pour une meilleure prise en charge des enfants infectés au Burkina Faso?
Le premier défi actuellement c'est le dépistage, aussi bien des adolescents que des enfants. Il faut qu'on arrive à dépister le maximum de la population surtout commencer par les portes d'entrées clés où nous avons la chance de dépister le plus grand nombre d'enfants infectés par le VIH. Il s'agit de nos centres de prise en charge nutritionnelle qui sont un peu partout maintenant, il ne faut pas qu'un enfant y entre et sorte sans qu'on identifie son statut VIH. Ensuite les autres occasions sont dans les maternités et les services de suivi des nourrissons : lorsqu'une mère séropositive accouche, il faut qu'on arrive à dépister son enfant à la naissance et avant le deuxième mois de vie. Si nous arrivons à dépister tous ces enfants, nous aurons fait un grand pas dans l'élimination de VIH pédiatrique au Burkina Faso. Le deuxième défi majeur c'est comment amener tous ces enfants dépistés VIH + aux soins. Il y en a beaucoup qui sont mis sous traitement puis qui disparaissent pour diverses raisons, parmi lesquelles on peut citer la maman qui n'a pas partagé le statut avec son partenaire, la distance domicile - centre de santé est trop importante, le déni de la maladie etc.Troisième défi majeur c'est comment garder les enfants sous traitement sans rupture thérapeutique le plus longtemps possible et veiller à ce qu'ils prennent bien les médicaments pour avoir une charge virale indétectable.