Plongées dans un marasme économique, la Nouvelles société sucrière de la Comoé (SN-SOSUCO) et la Minoterie du Faso (MINOFA), ex-Grands moulins du Burkina (GMB), dans la région des Cascades (Banfora), sont aujourd'hui en pleine mutation grâce à la batterie de mesures prises par le gouvernement burkinabè pour la relance économique. L'interdiction de l'importation de la farine de blé a boosté la production de la MINOFA pendant que la reprise de ses parts par l'Etat insuffle une nouvelle dynamique à la gestion de la SN-SOSUCO.
Mardi 26 novembre 2024. Il est 10 heures à Bérégadougou, une commune rurale située à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Banfora, la cité Paysan noir et qui abrite la Nouvelle société sucrière de la Comoé (SN-SOSUCO). Dans l'enceinte de l'unité industrielle, l'une des plus grandes du Burkina Faso, l'ambiance n'est pas celle des grands jours. Un calme plat qui y règne. Seuls quelques travailleurs (essentiellement ceux de l'administration) profitent, en petits groupes des rayons de soleil, pour « chasser » le froid glacial de la matinée.
Les mastodontes qui, en temps normal devraient vrombir à longueur de journée, sont réduits au silence. « La campagne de production 2024-2025 n'a pas encore démarré. Elle le sera bientôt. Nous sommes à pied d'oeuvre pour démarrer d'ici mi-décembre (ndlr 2024) », fait savoir le directeur général de la SN-SOSUCO, Ouattara Djakalia Héma. Il est attendu au cours de cette campagne, poursuit M. Héma, 24 000 tonnes de canne à sucre pour une production de 20 000 tonnes de sucre.
Cette campagne, selon le premier responsable, la société est une campagne de relance sous un nouveau régime de la SOSUCO. En effet, depuis 1998, l'Etat burkinabè avait cédé ses parts de la SN-SOSUCO à une structure privée qui devrait, sur la base des engagements, investir sur une période de 5 ans pour environ 20 milliards F CFA. Ces investissements, selon Ouattara Djakalia Héma, visaient, à terme, à renforcer les capacités de production de la canne à sucre et du sucre à l'échelle nationale.
Aussi, cette structure avait en charge de travailler parallèlement à rendre pérenne la production d'alcool avec une autre société annexée à la SN-SOSUCO dénommée Société de production d'alcool (SOPAL). « Une société née dans les années 1974 et qui n'a pas été accompagnée sur le plan investissement va nécessairement rencontrer des problèmes. C'est après ce constat selon lequel, le partenaire n'a pas honoré ses engagements que l'Etat s'est saisi de ses parts pour sauver l'entreprise », indique le DG/SN-SOSUCO.
La mesure, selon le directeur régional du commerce, de l'industrie et de l'artisanat des Cascades, Kobié Nébié, est salutaire, étant donné le rôle stratégique que joue la SN-SOSUCO. « Le contrôle de l'Etat va permettre de reprendre la main sur la production et aussi la commercialisation, de préserver l'unité qui était plus que mourante dans la région et les emplois », se convainc M. Nébié. En plus des manquements de la structure privée, la SN-SOSUCO, aux dires de M. Héma, souffrait d'une mévente de ses produits liée à la fréquence des importations du sucre ainsi que de la fraude de certains commerçants.
Renaitre de ses cendres
La question de mévente a été résolue en 2018 par une convention signée entre les professionnels du sucre et le département ministériel en charge du commerce. « Depuis lors, la SN-SOSUCO ne connait plus de mévente », se réjouit son premier responsable. La prise de la SN-SOSUCO par l'Etat n'a pas surpris l'ancien travailleur Boudma Kaboré, par ailleurs ancien secrétaire général de la cellule syndicale de la société, licencié une année après sa privatisation pour des faits de grève.
« Avec des mois (ndlr, trois mois) sans salaire, il était de bon ton que l'Etat intervienne pour sauver les centaines d'emplois qui étaient menacés par la fermeture progressive de la société. En tant que syndicaliste, je voyais les choses venir », indique-t-il. La décision de l'Etat de reprendre en main la société sucrière peut prospérer et permettre à la société de se refaire une santé économique si et seulement si, l'orthodoxie de la gestion est respectée, selon M. Kaboré.
« La ville de Banfora est ce qu'elle est en partie grâce à la SN-SOSUCO. La ruine de cette société serait un coup fatal pour la région des Cascades, voire pour le pays. Maintenant que l'Etat a pris ses responsabilités, qu'il s'assume dans la gestion parce que la SN-SOSUCO n'est pas une société facile. C'est une grosse boîte qui doit être gérée avec toute la rigueur qui sied », prévient Boudma Kaboré.
Les interventions tous azimuts pour maintenir les GMB
Tout comme la SN-SOSUCO, la Minoterie du Faso (MINOFA), ex-Grands moulins du Burkina (GMB), était à l'agonie depuis le printemps des privatisations des années 90. A deux reprises, l'Etat a intervenu pour sortir cette entreprise du bourbier dans lequel elle était engluée.
« Structure publique privatisée dans les années 90, les GMB étaient depuis cette privatisation gérés sous forme privée pendant quelques années. Mais suite à des difficultés,
l'Etat a intervenu pour une seconde privatisation en 2008 pour éviter que l'unité ne ferme boutique pour prendre le nom de la SN-GMB. Malheureusement, la même année, les difficultés ont plombé la société qui a dû arrêter toute activité », fait savoir le directeur général de la MINOFA, Madani Barry, retraçant les péripéties de l'usine.
Suite à l'arrêt des activités malgré la seconde privatisation, poursuit Madani Barry, de concert avec les acteurs, l'Etat a intervenu pour cette fois-ci engager une procédure de liquidation. « Cette liquidation a abouti à la naissance de la Minoterie du Faso (MINOFA) sous forme de société d'Etat en 2012. Avant la création de la MINOFA, l'Etat a racheté les actifs de la GMB et de la SN-GMB pour permettre à l'usine qui était aux arrêts de reprendre ses activités en 2015 », détaille Madani Barry.
Dès lors, les moulins « tournaient », mais à faible régime, parce que victimes de la mévente de ses produits liée à « l'inondation » du marché local par la farine importée. «
C'est vrai que les machines fonctionnaient depuis 2015, mais c'était une ou deux fois dans la semaine. On travaillait vraiment à temps partiel. C'était juste pour qu'on ne dise pas que c'était fermé », déplore le chef de la production d'aliment à bétail de la MINOFA, Bakary Traoré.
Le sourire aux lèvres
Dans son élan de la relance économique et de la promotion du développement endogène, le gouvernement, à travers le ministre chargé du Commerce, Serges Gnamiodem Poda, par un communiqué en date du 8 avril 2024, annonçait que l'importation de la farine du blé au Burkina Faso est interdite jusqu'à nouvel ordre. Et ce, afin de donner un bol d'air aux unités industrielles exerçant dans la transformation de la farine de blé. Cette mesure « importante », a véritablement soulagé la MINOFA, selon son directeur général.
« La mesure a eu pour effet immédiat, l'augmentation de notre production qui est passée du simple au double, voire au triple. De 1 000 tonnes, nous sommes passés à une production journalière de 2 000 à 3 000 tonnes avec cette mesure », raconte Madani Barry, tout enthousiasmé. Cette mesure, est un ouf de soulagement pour les travailleurs de la MINOFA. C'est avec joie et bonheur que Mahamoudou Kaboré, chef de quart à l'usine, a accueilli la nouvelle de l'interdiction de l'importation de la farine de blé qui a mis un coup d'arrêt à la mévente de la MINOFA, sauvant ainsi leur outil de travail.
« Nous assistions impuissants à la menace de nos emplois due à la mévente de la farine de la MINOFA. Nous avons vraiment connu des moments difficiles, notamment entre 2014 à 2018 où nous avons même eu des cessations de paiement de salaire de cinq mois. Au regard des choses qui se passaient, c'est comme si tout était mis en oeuvre pour effacer la MINOFA. Mais Dieu merci, les autorités de la Transition ont pris cette décision courageuse qui vient nous soulager », se félicite-il.
Depuis six mois que la mesure est entrée en vigueur, Mahamoudou Kaboré et ses collègues travaillent jour et nuit pour honorer la demande croissante des consommateurs. « Aujourd'hui, je me réjouis que les machines roulent à plein temps même si j'ai un peu d'amertume parce que certains de mes camarades qui ont souffert des difficultés de l'entreprise ne sont plus de ce monde pour voir la renaissance », conte-t-il.
Déjà, M. Kaboré exprime un besoin de recrutement pour épauler le personnel de l'usine dans les tâches. Bakary Traoré, cet autre employé est aujourd'hui heureux de savoir que la production de l'usine (farine comme tourteau) ne suffit même pas.
« Chaque fois, ce sont des files de camions prêts à charger la farine. La commande dépasse l'offre depuis la prise de cette mesure. Par exemple, pour un client qui vient aujourd'hui (ndlr, le 26 novembre 2024) pour une commande de farine ou de tourteau, a la chance d'être satisfait entre mars ou avril 2025 », confie Bakary Traoré. Pour satisfaire la demande de la clientèle, il est prévu d'agrandir la minoterie avec l'installation d'une nouvelle unité de transformation de la farine de maïs, selon les confidences du premier responsable de la MINOFA.
Mahamoudou Kaboré, chef de quart à l'usine de la MINOFA « Dieu merci, nous avons aujourd'hui des autorités à l'écoute des populations »
« Le problème de Banfora est qu'il n'y a personne pour porter l'économie de la région des Cascades. Je travaille aux GMB depuis 1998. Mais, je vous assure que depuis les difficultés qui ont conduit à sa privatisation à deux reprises dans les années 90 pour aboutir à la création de la MINOFA, nous avons frappé à toutes les portes sur place ici et à Ouagadougou, sans avoir une oreille attentive.
Cette situation nous a coûté cinq ans de chômage sous les GMB et trois sous la SN-GMB. Dieu merci, nous avons aujourd'hui des autorités à l'écoute des populations et des travailleurs qui ont pris des mesures, en l'occurrence l'interdiction de l'importation de la farine de blé pour sauver notre outil de travail. Avec cette mesure, nous travaillons de jour comme de nuit et j'en suis content.
Nous allons accompagner ces autorités comme nous pouvons dans leur mission. J'ai foi que les mesures prises pour la relance économique vont contribuer à changer le visage de la SN-SOSUCO et de la MINOFA qui font la notoriété de la ville de Banfora, ainsi que des autres unités industrielles du pays. Déjà, depuis six mois, la MINOFA travaille à temps plein et chaque fois, ce sont des camions qui font la queue attendant qu'on produise pour qu'ils embarquent ».