Nairobi — Une décision arbitraire qui viole le droit d'association
Les autorités camerounaises devraient immédiatement annuler la suspension d'un important groupe de défense des droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Cette suspension arbitraire est sans fondement légal et viole le droit à la liberté d'association, garanti par la législation camerounaise et le droit international des droits humains.
Le 5 décembre 2024, le ministre de l'Administration territoriale, Paul Atanga Nji, a émis un décret, sans notification préalable, suspendant les activités du Réseau des Défenseurs des Droits Humains en Afrique Centrale (REDHAC) pour une durée de trois mois. Il a cité comme raisons, entre autres, des « financements illicites et exorbitants » et le non-respect de la législation régissant les activités des organisations à but non lucratif. Le même jour, Paul Atanga Nji a suspendu pour trois mois au moins quatre autres organisations de la société civile. Or, la loi camerounaise de 1990 sur la liberté d'association stipule que le ministre de l'Administration territoriale ne peut suspendre une association qu'avec l'autorisation préalable de l'autorité provinciale et pour des raisons liées à l'ordre public et à la sécurité. Cette décision semble liée à la répression généralisée exercée par les autorités camerounaises à l'encontre de la société civile, des médias et de l'opposition politique.
« Si veiller à ce que les associations fonctionnent de manière transparente est un objectif légitime, il est injustifié que les autorités camerounaises restreignent des droits protégés par la constitution et la loi, et contournent le système judiciaire », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Elles devraient immédiatement lever la suspension et utiliser les procédures appropriées établies par la loi pour poursuivre tout groupe contre lequel il existe des preuves crédibles d'implication dans des formes illicites de financement. »
Le 9 décembre, les avocats du REDHAC ont déposé un recours administratif, affirmant que le décret constitue un « abus de pouvoir » et qu'il est illégal. Ils ont déclaré qu'il violait, entre autres, la loi de 1990 sur la liberté d'association et le règlement d'avril 2016 de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) sur le Règlement portant prévention et répression du blanchiment de capitaux, du financement du terrorisme et de la prolifération en Afrique centrale. Ce règlement stipule que seuls l'Agence Nationale d'Investigation Financière (ANIF) et les autorités financières et judiciaires sont habilitées à engager des poursuites à l'encontre des contrevenants.
Le même jour, les autorités administratives de Douala, dans la région du Littoral, et la police ont mis sous scellés les bureaux du REDHAC. Protestant contre cette action, la présidente du conseil d'administration du REDHAC, Alice Nkom, éminente avocate des droits humains, a brisé les scellés. L'autorité provinciale l'a convoquée le lendemain. Elle sera interrogée le 19 décembre.
Depuis 2010, le REDHAC lutte pour la défense des droits humains et de l'état de droit au Cameroun. En 2022, sa dirigeante, Maximilienne Ngo Mbe, fervente défenseuse des droits humains, a reçu le prestigieux prix Robert F. Kennedy des droits humains pour avoir dirigé le REDHAC et pour sa « persévérance face aux menaces et aux représailles constantes, et son dévouement pour la protection des droits humains ».
Le REDHAC a récemment soumis un rapport au Comité des Nations Unies contre la torture - un groupe d'experts indépendants qui contrôle la mise en oeuvre de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par les États parties - qui a examiné le sixième rapport périodique du Cameroun en vertu du traité le 14 novembre. Dans son rapport, le REDHAC a souligné l'exercice généralisé de la torture par les forces de sécurité camerounaises à l'intérieur et à l'extérieur des centres de détention du Cameroun.
Human Rights Watch a documenté à plusieurs reprises le recours à la torture dans les prisons du Cameroun, ainsi que contre des opposants politiques présumés et des défenseurs des droits humains. La décision de Paul Atanga Nji à l'encontre du REDHAC est la dernière en date d'une série de mesures gouvernementales visant à écraser la liberté d'association et la liberté d'expression à l'approche des élections présidentielles de 2025, a déclaré Human Rights Watch.
Le 9 octobre, Paul Atanga Nji a publié un communiqué distinct indiquant que la santé du président Paul Biya relevait du domaine de la « sécurité nationale », que tout débat médiatique sur son état de santé était « formellement interdit » et que les « contrevenants » seraient poursuivis en justice. Cette décision a provoqué un tollé parmi les professionnels des médias et les dirigeants des partis d'opposition, qui l'ont qualifiée de recul de la liberté d'expression.
En mars, le gouvernement a interdit deux coalitions d'opposition, les qualifiant de « mouvements clandestins ». En juin, des gendarmes de la région d'Adamawa ont arrêté arbitrairement une fois de plus Aboubacar Siddiki, un artiste de renom connu sous le nom de Babadjo, pour avoir « insulté » un gouverneur. En juillet, le chef de la division administrative du Mfoundi a émis un décret menaçant d'interdire d'entrée toute personne qui « outrage » les institutions de l'État. Le même mois, des membres des services de renseignement de la région du Littoral ont arrêté un militant actif sur les réseaux sociaux, Junior Ngombe, pour ses TikTok appelant à un changement démocratique, et les forces de sécurité ont fait disparaître de force et auraient torturé Ramon Cotta, un militant actif sur les réseaux sociaux connu pour ses TikTok critiquant les autorités camerounaises.
La suspension du REDHAC a suscité un véritable tollé. Des groupes nationaux de défense des droits humains et des personnalités de la société civile, y compris des avocats et des membres de l'opposition politique, ont dénoncé cette décision comme une nouvelle tentative de restreindre l'espace civique déjà réduit au Cameroun.
« Cette décision n'a aucune base légale », a déclaré à Human Rights Watch Cyrille Bechon, directrice exécutive de l'association camerounaise Nouveaux Droits de l'Homme. « Elle montre à quel point les autorités peuvent bafouer l'état de droit et la liberté d'association au Cameroun ».
« Cette décision scandaleuse et abusive de suspendre un éminent groupe de défense des droits humains s'inscrit dans l'assaut plus large et préoccupant du gouvernement camerounais contre l'espace civique », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Au lieu de harceler les groupes de défense des droits humains, le gouvernement devrait s'acquitter de son obligation de fournir aux organisations de la société civile un environnement dans lequel elles peuvent librement opérer et s'épanouir. »