Burkina Faso: Violences faites aux femmes - Eulalie Yerbanga, une championne de la lutte au pays

18 Décembre 2024

Membre active de l'ONG Voix de femmes et coordonnatrice nationale de la Coalition nationale de lutte contre le mariage d'enfants (CONAMEB), Eulalie Yerbanga est engagée depuis plusieurs décennies dans la promotion des droits des femmes au Burkina. Portrait !

«Infatigable », « engagée », « déterminée » ! Ce sont autant de qualificatifs qui reviennent fréquemment quand on évoque son nom. Eulalie Yerbanga, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, est connue pour son engagement à corps perdu pour la cause de la femme. Militante de plusieurs associations féminines de défense des droits des femmes, elle a fait du combat pour le bien-être de la gent féminine, son cheval de bataille. Cette fougue de lutter pour les droits des femmes n'est pas fortuite. Née le 2 mars 1952 à Saaba, Eulalie a frôlé un mariage forcé et précoce. Issue d'une famille catholique, elle a la chance d'être inscrite à l'école des Pères blancs. A l'époque, sur ordre de l'Eglise, tous les chrétiens catholiques avaient obligation de scolariser leurs enfants. « Pas besoin de débourser un centime pour inscrire son enfant au temple du savoir », se souvient-elle. Eulalie et son frère cadet bénéficient alors de cette gratuité.

Les choses se compliquent quand, en 1965, elle échoue au Certificat d'études primaires (CEP). C'est malheureusement, l'époque où l'Eglise catholique rétrocède ses écoles à l'Etat pour un franc symbolique. La scolarisation devient alors payante. Chaque parent a désormais l'obligation de contribuer à l'instruction de son enfant à hauteur de 300 F CFA. Commence alors le calvaire de Eulalie. Ayant échoué au CEP, elle doit reprendre la classe de CM2. Son papa doit alors débourser 600 F CFA pour la scolarité de ses deux enfants. Somme que le vieux Ouédraogo ne peut honorer. Il décide de privilégier le garçon et s'acquitte des 300 F CFA pour sa scolairté.

Pour lui, il y a plus de bénéfice à scolariser un garçon qu'une femme. Dans son entendement, Eulalie devra plutôt fonder un foyer que d'aller à l'école. En attendant de lui trouver un homme en mariage, elle doit aider sa mère à la cuisine. Bien qu'appréhendant les tâches ménagères, la soif d'apprendre de Eulalie était également grande. Elle tombe alors dans une profonde tristesse du fait de son retrait de l'école. Sa seule envie, reprendre le chemin de l'école par tous les moyens. Ne supportant pas de voir sa fille pleurer à longueur de journée, sa mère décide de vendre ses arachides, fruit de sa récolte pour payer la scolarité de sa fille. Quelle grande joie pour Eulalie. Elle est désormais apte à reprendre la route de l'école au grand désarroi de son père. Ce dernier voit l'occasion de la marier lui filer entre les doigts.

Deux concours en même temps

Elève à nouveau, Eulalie met les bouchers doubles pour prouver à son père qu'il a eu tort de n'avoir pas payé sa scolarité. A la fin de l'année, la jeune fille réussit avec brio à son examen. Elle obtient même l'entrée en sixième.

Orientée au collège Sainte Mairie de Tounouma à Bobo-Dioulasso, elle maintient le même cap. Cela lui permet d'obtenir le Brevet d'études du premier cycle (BEPC). Agée déjà de 19 ans, elle se voit refuser l'entrée en 2nde malgré ses bons résultats. Elle est alors inscrite au lycée technique Charles-Lavigerie pour faire la sténographie et devenir secrétaire de direction. Un « destin » qui n'était pas envisageable par la jeune fille.

C'est pourquoi, après deux années de formation, elle passe et réussit simultanément les concours de la santé animale et de la santé humaine. Déjà mariée dès 1971, la désormais Mme Yerbanga n'envisageait pas s'installer dans une autre ville que son époux. Pourtant, la formation en santé humaine se déroulait à l'époque à Bobo-Dioulasso. Le choix de Eulalie est vite fait. Elle opte pour la santé animale dont la formation se déroulait à Ouagadougou. Intégrée dans l'administration publique en catégorie C après sa formation, dame Yerbanga reste insatiable.

Ambitieuse et amoureuse du progrès, elle passe les concours professionnels jusqu'à devenir une cadre supérieure de l'administration. Toujours dans l'optique de se perfectionner, elle se rend en France pour une formation plus approfondie dans le domaine de la santé animale. A son retour, elle est nommée directrice au ministère de l'élevage. Par la suite, elle est promue à d'autres postes importants dont celui de Conseillère technique du ministre chargé des relations avec le parlement.

Un engagement hors pair

Malgré sa carrière fructueuse, l'épisode de sa jeunesse continue de la questionner. Elle décide de s'engager dans la lutte pour les droits des femmes au Burkina. Guidée par cette ambition, elle intègre l'ONG Voix de femmes qui oeuvre dans la lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes dont les Mutilations génitales féminines (MGF). Aux côtés de Mariam Lamizana, fondatrice de l'ONG, elle parcourt plusieurs villages, villes et pays pour combattre cette violence faite aux femmes.

Elle est même appelée à défendre la Résolution des nations unies sur l'élimination des MGF jusqu'à ce qu'elle soit adoptée.

Au regard de son engagement pour la cause de la femme, elle est nommée Directrice régionale de la promotion de la femme du Centre en 2002. Là, elle dispose de plus de moyens pour faire avancer la cause des femmes. Mais, les difficultés qui entravent l'épanouissement de la gent féminine sont plus grandes. Elle se lance alors en politique afin d'avoir plus de pouvoir pour plaider la cause de l'autre moitié du ciel.

Elle siège en tant que suppléante à l'Assemblée nationale pour le compte du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Durant son mandat législatif, elle ne perd pas de vue son combat : l'épanouissement des femmes et des jeunes filles au Burkina. Au Parlement, elle offre chaque année, des vélos et kits scolaires aux cinq meilleures élèves de la région du Centre. Derrière ce geste de bon samaritain se cachait une envie d'encourager l'éducation des jeunes filles. « Les filles sont aussi intelligentes que les garçons. Ils ont tous les mêmes droits.

Il n'y a donc pas de raison de privilégier l'un au détriment de l'autre », se convainc-t-elle. De son avis, tout part de l'éducation à la base. Pas question d'éduquer différemment les garçons et les filles. Ses cinq filles en sont l'exemple parfait. Son époux et elle les ont éduquées comme des garçons. « Ce qu'une femme peut faire, je leur ai montré. Ce qu'un garçon doit faire, mon mari leur a montré », souligne-t-elle, avec fierté. Dès leur jeune âge, les filles Yerbanga ont appris à tout faire de leurs dix doigts.

Même à coller leur vélo sur le chemin de l'école. Si bien qu'aujourd'hui, elles n'ont pas besoin de faire appel à un vulcanisateur lorsqu'un pneu de leur voiture est en panne en cours de route. En plus de mettre l'accent sur leur éducation, M. et Mme Yerbanga se sont investis pour l'instruction de leurs filles. Pour avoir frôlé la déscolarisation, pas question pour Mme Yerbanga de laisser une de ses filles vivre la même situation. Aujourd'hui, elle est une « mère fière ». Toutes ses filles ont des emplois et pas des moindres. Une preuve de plus, selon la septuagénaire, qu'il n'y a pas de perte à investir dans l'éducation des filles.

Déterminée malgré sa santé fragile

Malheureusement, de nombreux stéréotypes demeurent jusqu'à nos jours. Même si de manière générale beaucoup d'acquis ont été engrangés en matière d'éducation des filles, d'autres phénomènes tels que le mariage d'enfants sapent les efforts des acteurs. Mariées pendant qu'elles sont encore des enfants, beaucoup de filles sont obligées de quitter l'école pour se consacrer à leur foyer. C'est pourquoi, les efforts des acteurs sont désormais tournés vers la lutte contre ce phénomène. Mme Yerbanga, fervente défenseuse des droits des femmes en a fait son cheval de bataille depuis 2013.

D'abord au sein de l'ONG Voix de femmes dont elle est membre fondatrice, elle a conduit plusieurs projets entrant dans ce cadre. Dans le même temps, elle a été nommée point focal de l'ONG au sein de la Coalition nationale de lutte contre le mariage d'enfants au

Burkina (CONAMEB). Au regard de son abnégation pour la lutte, elle a été désignée coordonnatrice de la coalition en 2020. Que ce soit au niveau de l'ONG Voix de femmes ou de la CONAMEB, l'assiduité de Mme Yerbanga ne passe pas inaperçue.

« Elle est la signification parfaite du mot engagement », pense Raphaël Zongnaaba, un de ses collaborateurs à l'ONG Voix de femmes. Cet engagement va même souvent à l'encontre de son état de santé fragile. « Souvent on a peur pour sa santé », confie Afsétou Lamizana de l'Association d'appui et d'éveil Pugsada (ADEP), une de ses collaboratrices à la CONAMEB. Auparavant, les deux dames ont travaillé ensemble au ministère de la Femme. Son ardeur lui a valu d'être nommée en août 2023 « Championne nationale de lutte contre le mariage d'enfants au Burkina ». Une nomination qu'elle n'a pas vu venir.

Contactée par le comité de nomination pour désigner une personne au nom de la CONAMEB pour participer au processus de désignation, elle choisit Noélie Damiba pour représenter l'organisation. Après une première rencontre, celle-ci revient avec pour consigne de proposer trois noms à la nomination. En tant que première responsable, dame Yerbanga lui fait des propositions en prenant le soin d'exclure son nom. A son grand étonnement, son nom figure parmi les dix choix retenus par le Comité pour la sélection finale. Pour ce dernier round, elle est « élue » à 100% du suffrage à sa grande stupéfaction.

Une nomination à la hauteur de son engagement

Pour ses collègues, c'est bien mérité. C'est donc avec joie qu'ils ont accueilli cette nomination qui vient, selon eux, couronner toutes les années d'engagement pour la cause de la femme. Mais la septuagénaire trouve sa satisfaction dans le fait de voir aujourd'hui que le budget alloué à l'éducation a augmenté ou encore que le taux de mariage d'enfants a diminué. Par ailleurs, la reconnaissance des personnes qui ont bénéficié de son soutien dans le cadre de la lutte sont aussi des puissants catalyseurs.

« Lorsque tu marches dans la rue et quelqu'un vient te dire, c'est grâce à vous que je suis ce que je suis aujourd'hui, il n'y a pas plus grande satisfaction », estime-t-elle. Dans le

cadre de la lutte contre le mariage d'enfants, se rappelle Eulalie Yerbanga, deux jeunes filles ont été orientées vers elle pour assistance. Leurs parents voulaient les donner en mariage malgré qu'elles fussent brillantes à l'école et qu'elles n'avaient pas l'âge requis pour le mariage. Venues de Fada N'Gourma, elles trouvèrent refuge chez elle.

En plus de leur offrir gîte et couvert, elles les aident à poursuivre leurs études. Devenues toutes deux enseignantes, elles ne manquent pas de lui traduire leur reconnaissance à chaque fois que l'occasion se présente. Pour Mme Yerbanga, cela est la meilleure des récompenses. Les anecdotes de reconnaissance fusent. Elle raconte qu'en croisade contre les violences faites aux femmes dans un village du Burkina, une dame vint s'agenouiller devant elle pour la remercier.

Ne comprenant pas son geste, elle demanda à en savoir davantage. La dame lui fît comprendre qu'à l'époque où elle donnait des vélos aux meilleurs élèves de la région du

Centre, son fils en a bénéficié, alors que son mari venait de mourir. Elle ne savait où trouver de l'argent pour payer une bicyclette à son enfant afin qu'il poursuive ses études au collège, distant de leur domicile. C'est grâce à ce vélo que son fils a poursuivi les études. Aujourd'hui, il est le pilier financier de la famille. Ce genre de témoignages renforcent l'engagement de la passionnée des droits de la femme, fait-elle savoir.

Aux femmes de s'affirmer !

73 ans aujourd'hui et malgré un état de santé fragile, elle n'abandonne pas la lutte. « Il y a encore beaucoup à faire et c'est aux femmes de prendre leur destin en main », affirme-t-elle. Selon des statistiques du ministère de l'Action humanitaire et de la Solidarité nationale, en 2020, 5 324 cas de Violences basées sur le genre (VBG) ont été enregistrés au Burkina. En 2021, 11 020 cas ont été recensés contre 11 116 en 2022. Entre janvier et septembre 2023, sur 4 588 cas de VBG déclarées, 476 sont des cas de violences sexuelles selon les chiffres du Domaine de responsabilité des violences basées sur le genre (GBV AoR). De mars à septembre 2024, l'Association Yam Wékré pour l'épanouissement de la femme (AYWEF) a documenté 114 cas de VBG dont 58 cas au Centre-Nord et 56 à l'Est.

Selon la typologie des VGB, 66 cas sont des violences psychologiques, 32 cas de violences sexuelles ou viols, 5 cas de violences culturelles, 5 cas de violences physiques et 6 cas de violences économiques. Ces chiffres démontrent que les violences faites aux femmes, même si elles ont régressé face aux efforts des différents acteurs demeurent préoccupantes. Ils montrent par ailleurs que le combat de Eulalie Yerbanga demeure d'actualité. Il faut donc plusieurs Eulalie pour un monde sans discrimination et où les droits des femmes et des filles sont une réalité.

De son avis, beaucoup de progrès ont été réalisés en la matière. Toutefois, il est nécessaire que les femmes s'arment afin d'affirmer davantage leur place dans la société. Lorsqu'elle voit une femme à qui l'on propose un poste de responsabilité et qui doute de ses capacités à assumer la tâche en raison de son statut de femme, elle est peinée. Pour avoir fait la politique, Mme Yerbanga est plus que convaincue que la société ne fait pas de cadeau à l'autre moitié du ciel. « Il y a des domaines comme la politique où quand tu es femme, il faut avoir un parrain pour réussir », déplore-t-elle. Selon ses confidences, c'est d'ailleurs ces « exigences » qui l'ont amené » à mettre fin à sa carrière politique après 2012. Mais elle n'encourage pas ses jeunes soeurs à abandonner. Elles doivent plutôt se battre et croire en elles.

 

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