La crise sécuritaire que traverse le Burkina Faso a entrainé une baisse drastique de l'arrivée des visiteurs étrangers sur les sites touristiques burkinabè. Mais sous l'impulsion des plus hautes autorités, le tourisme interne prend progressivement le relai. Des élèves aux étudiants, en passant par les groupes d'amis, de collègues et autres associations, les Burkinabè prennent d'assaut les sites touristiques, visitant fièrement leur pays.
Dans la région du Centre-Sud (Manga), le pic de Nahouri, le parc national Kaboré Tambi, la case de l'explorateur français Binger et la Cour royale de Tiébélé récemment inscrite au patrimoine mondiale de l'UNESCO, reçoivent un nombre croissant de visiteurs nationaux. Ambiance d'une journée d'excursion et de retrouvailles, le samedi 7 décembre 2024, dans la province du Nahouri (Pô), avec le groupe des anciens de la chorale Sainte Jeanne d'Arc de la paroisse François d'Assise de Karpala, à Ouagadougou.
Dans le long bus chromé qui fend, en cette matinée du samedi 7 décembre 2024, le Parc national Kaboré Tambi, avec à son bord une trentaine de membres des anciens de la chorale Sainte Jeanne d'Arc de la Paroisse François d'Assise de Karpala, un quartier de la ville de Ouagadougou, les couleurs de la journée sont perceptibles. A une vingtaine de kilomètres de la ville de Pô, chef-lieu de la province du Nahouri, l'ambiance est bon enfant et les rires, à profusion, entre deux civilités.
Les occupants du bus sont venus d'horizons divers du pays. Ils s'étaient perdus de vue durant des années, voire des décennies, après avoir constitué ensemble, en 2000, les pionniers de la chorale Sainte Jeanne d'Arc. La joie des retrouvailles donne une poussée de sérotonine, cette hormone du bien-être. Mais à côté, il y a visiblement une toute autre raison. Le comité d'organisation a proposé de marquer ces retrouvailles par une sortie sur trois sites d'attraction touristiques de la région du Centre-Sud : le Pic du Nahouri, la cour royale de Tiébélé et la case de l'explorateur français Binger à Tiakané. A mi-chemin du premier site cité, certains se projettent déjà sur la pénibilité du défi que représente l'escalade du pic. « Je sais que ceux qui seront au sommet vont se compter du bout des doigts », lance, un brin amusé, un membre du groupe, au milieu des fous rires, des discussions entrecoupées de chants en polyphonie.
A l'assaut des 447 mètres de hauteur
Le soleil est pile au zénith lorsque le bus des anciens choristes marque l'arrêt au pied de la plus haute élévation du village du Nahouri qui a donné son nom à la province. Le sommet du Pic pointe à 447 mètres d'altitude au-dessus des têtes qui se lèvent machinalement pour l'admirer. Le Pic du Nahouri est l'un des 65 sites touristiques répertoriés du Centre-Sud, selon le tableau de bord des statistiques du tourisme 2023. Il accueille en moyenne 1 000 personnes par mois, en fonction des saisons, informe le garant traditionnel des lieux, le Nahouri Pê. Le coutumier qui a reçu les visiteurs du jour dans sa cour, à quelques lieux du Pic, explique que le site est public mais le passage par les dépositaires des lieux est une condition préalable avant d'y accéder.
« Je dois faire des sacrifices à l'avance parce que c'est aussi un lieu sacré », souligne-t-il. Puis, dans le récit qu'il narre sur l'histoire du Pic, les liens séculaires qu'ils entretiennent avec le mont et sa fréquentation par les touristes, il interpelle ses hôtes sur quelques interdits des lieux : « Il est strictement défendu d'emporter un caillou du Pic chez soi et de faire ses besoins ou jeter des ordures pendant l'ascension ou la descente ». 12h 40 mn. Les civilités au Nahouri Pê prennent fin sur une salve d'applaudissements, après une pluie de bénédictions du chef. Malgré le soleil qui dardait ses rayons chauds comme pour tester la détermination des uns et des autres, le groupe s'élance dans l'ascension du Pic.
« Ne regardez surtout pas par derrière »
« C'est bon ... mais je préfère attendre les autres ... ici », lance, tout juste quelques minutes après, entre deux longues respirations, Cécile Tenkodogo, alors qu'elle rebrousse chemin en direction d'un gros arbre. Elle y rejoint un premier abandon qui avait déjà pris ses quartiers sous l'ombre épais. Le reste du groupe, lui, progresse à l'unisson, vers le haut. A mi-chemin, le jeune guide délégué par le Nahouri Pê pour ouvrir la marche, propose un petit temps de repos. Adolescent et filiforme, il montre une habilité et une agilité à faire pâlir les derniers grimpeurs qui ferment péniblement la marche.
Quelques minutes après la constitution du groupe au check-point, le départ est donné pour poursuivre. A 50 mètres environs du sommet, le niveau de difficulté monte encore d'un cran. La pente est plus raide et la piste de passage slalome entre les blocs de granites obligeant la marche à quatre pattes. « Ne regardez surtout pas par derrière », conseille Juste Gouerou, un trentenaire, membre de la chorale de Pô. De son expérience, après une énième escalade du Pic, il confie que la vue en hauteur peut inciter à l'abandon à cause des vertiges ou du découragement. Plus de 30 minutes sont écoulées depuis la première foulée au pied du Pic.
Le groupe est de moins en moins bruyant et uni mais toujours en progression. Dans la bande des retardataires, une voix s'élève pour féliciter les athlètes qui domptent le « monstre de terre » en seulement une dizaine de minutes, lors de « Altitude Nahouri », une compétition internationale annuelle de course à pied dont le point d'arrivée est fixé au sommet du Pic, après des kilomètres de parcours depuis la ville de Pô, situé à 15 kilomètres.
Après le dur labeur
Pour les grimpeurs du jour, ce sera plus que le triple voire le quadruple du temps des athlètes. La montée, pour eux, est une rude épreuve pour les muscles, les nerfs et le souffle, moins habitués à un exercice aussi intensif. Le Pic, lui, et les « êtres » qui y vivent paraissent à l'affût, passifs, observant et jugeant la témérité de leurs hôtes. « Il y a plein d'animaux et de choses sur le Pic que vous n'imaginez pas mais ils ne vous feront rien, grâce aux sacrifices que nous faisons à l'avance », rassurait le Nahouri Pê. Si ces mots du souverain ont donné du courage et de la sérénité dès l'entame de la marche vers les hauteurs, à quelques mètres du sommet, les esprits paraissent bien troublés. Les visages baignent dans des mares de sueur.
Pour certains, on puise dans les dernières ressources d'adrénaline pour achever le parcours. « Je ne compte pas abandonner mais je ne sais pas si j'arriverai au sommet », confie Roland Konseiga, émoussé, mais la détermination toujours vive. Une dizaine de minute après, il arrive tout en haut du Pic et même auréolé de la deuxième place. « Enfin, je suis là », lance-t-il, les deux index pointés en l'air et arborant un sourire de vainqueur. « Je suis arrivé le premier et je suis très content d'avoir réussi à le faire.
C'est vraiment une expérience unique que j'aimerais réaliser régulièrement et que je recommande à tous les Burkinabè », se réjouit le maillot jaune du groupe, Marcel Salou, arrivé quelques minutes avant son successeur. Diane Ouédraogo est la première dame du groupe à se hisser sur la crête de l'élévation. Elle relève ce défi pour la deuxième fois, 22 ans après sa toute première escalade réussie, dit-elle.
Des réjouissances méritées
Une dizaine de minutes après, plus de 20 personnes sont regroupées sur la surface plane du sommet qui porte, entre autres, la signature de l'ancien Président du Faso, Thomas Sankara. Une empreinte que le père de la Révolution d'Août 1983 a laissée après un atterrissage en parachute réussi sur la zone gravée, rapportent les guides. Le défi de l'escalade du Pic du Nahouri est relevé pour la majorité du groupe des anciens choristes, malgré le poids de l'âge pour certains. La récompense au bout de l'effort semble à la satisfaction de tous. Le Nahouri Pê citait au sujet de cette récompense pour tout grimpeur du haut du Pic, le bienfait du sport sur l'organisme, un gain de dix ans supplémentaires de vie, voire plus et la garantie de la guérison des maladies ou la prospérité des affaires pour ceux qui sont animés de ces désirs et qui s'efforcent de mener après une vie exemplaire et loin des vices de la société. Mais il n'y a pas que, selon les grimpeurs du jour.
« L'air est pur et on a une vue panoramique magnifique depuis là-haut », s'exclame Diane Ouédraogo. « Je ne pensais pas qu'à une telle hauteur, le climat serait aussi doux, surtout à pareille heure », s'étonne tout joyeux, Marcel Salou. Sur sa montre qu'il consulte, s'affiche 13h 40 minutes. Les appareils photos et les smartphones crépitent pour immortaliser l'instant. Seuls, à deux ou en groupe, on pose pour le souvenir.
En arrière-plan des prises de vue, en contrebas, des villes situées de part et d'autre de la frontière du Burkina Faso et du Ghana comme Dakola, Pô et Paga paraissent, si près, avec des habitats aux allures de champignons poussés sur une terre sauvage. Passé la période des réjouissances qui a duré une vingtaine de minutes, le top départ est sifflé pour le retour. La descente s'est faite plus rapide. Vingt minutes tout au plus s'écoulent quand les derniers grimpeurs rejoignent le reste du groupe au pied du Pic. Tous sont sortis indemnes de surprises désagréables, comme l'annonçait, confiant, le Nahouri Pê, avant l'amorce de la montée.
« De mémoire, personne n'a jamais rencontré un problème quel qu'il soit ici parce que les sacrifices que nous faisons garantissent cela », faisait-il savoir. Embarqués, les excursionnistes laissent derrière eux le village de Nahouri et son majestueux Pic et mettent le cap sur Pô, pour rallier ensuite Tiébélé, à une trentaine de kilomètres. Ambiance, chants religieux, anecdotes et piques entre parents à plaisanterie tiennent en haleine les occupants du bus jusqu'à destination.
Patrimoine mondial de l'UNESCO
16h 30 mn. Le car étouffe son ronronnement devant la mythique cour royale de Tiébélé. « Elle a été inscrite récemment au patrimoine mondiale de l'UNESCO », s'empresse de relever un occupant du bus. Ce dernier est visiblement bien au parfum des conclusions de la 46e session du comité du patrimoine mondial à New Delhi en Inde, tenue le 26 juillet 2024. La rencontre avait validé en effet cette inscription souhaitée par la délégation burkinabè conduite par le ministre chargé de la culture et du tourisme d'alors, Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo.
Le guide Abou Bayeideina, prévenu de l'arrivée des touristes du jour, se lance dans la visite guidée des lieux. Les regards se portent, fiers et admiratifs, sur le savoir et le savoir-faire traditionnel exprimés à travers l'architecture et les peintures sur les cases et les murs de la cour. Sous la lueur du soleil couchant, le groupe disparait dans le labyrinthe formé des cases et des murs. Il passe ensuite quelque temps à découvrir l'intérieur de la case en forme de 8 couché de Kayè Tintama, la Trésor humain vivant (THV), une distinction honorifique donnée aux personnalités culturelles qui s'évertuent à la valorisation et la transmission de leur savoir et savoir-faire.
Le crépuscule s'annonce à grands pas mais le groupe est décidé à profiter encore de ce saut dans le passé précolonial en territoire Kassena. Les photos s'invitent tout le long de la visite guidée. La magie de la fonction « appel vidéo » des smartphones permet à certains d'en faire profiter leurs connaissances à distance. La tournée du groupe dans les allées de la cour et à l'intérieur des cases s'achève enfin sur une sortie où des étals d'objets traditionnels et des documents sur l'histoire du palais sont proposés aux visiteurs.
Satisfaction générale
17h 50 mn. De nouveau embarqué en direction de Pô, le groupe envisage la poursuite sur le dernier site du programme, la case qui a abrité l'explorateur français Binger, au XIXe siècle, à Tiakané, à environ 7 km de Pô. Il se résout cependant, après un conciliabule, à y renoncer. Le soleil étant déjà « tombé dans les bras du ciel pour se reposer », la zone du site baigne dans l'obscurité et faute d'éclairage, la visite nocturne ne produira pas l'effet escompté, soulignent plusieurs personnes. Plus tard, dans la pénombre, au son de cris de quelques animaux et oiseaux nocturnes, le bus « retourne sur ses pas », traversant la forêt classée du Parc national Kaboré Tambi pour la capitale, Ouagadougou.
Des cantiques et quelques échanges s'élèvent encore, dans le véhicule, des rares bustes fournis toujours en énergie. Gérard Tinguiri et Lazard Doulkom, des anciens responsables du groupe de la chorale Sainte Jeanne d'Arc et membres du comité d'organisation, n'en rêvaient pas mieux pour la communion et la joie voulues à l'occasion de leurs retrouvailles.
Dans le temps, le groupe avait initié des sorties hors du pays, en Côte d'Ivoire, au Togo et au Ghana, mais l'excursion touristique, selon eux, sur des sites nationaux a donné un cachet particulier à leurs retrouvailles. « Cette sortie est un départ pour le groupe des anciens de la chorale Sainte Jeanne d'Arc », soutient particulièrement Lazard Doulkoum qui se dit « satisfait » et prêt, avec ses camarades, pour d'autres aventures aussi palpitantes qu'instructives.
Mamady ZANGO
mzango18@gmail.com
Soulaïman Kagoné, Directeur général de l'ONTB
« Nous sommes ravis de voir que les Burkinabè visitent fièrement leur pays »
Sidwaya (S.) : L'activité touristique rentre de plus en plus dans le quotidien des Burkinabè. Qu'est-ce qui explique cela ?
Soulaïman Kagoné (S.K) : Depuis une dizaine d'années voire depuis la création de l'Office national du tourisme burkinabè (ONTB) en 1989 (l'ONTB est devenu l'Agence nationale de promotion du tourisme, Faso tourisme, depuis le 6 novembre 2024, NDLR), avec pour ambition principale de faire la promotion de la destination Burkina Faso, il y a des grandes actions qui sont menées comme les colonies de vacances, les camps-enfants tourisme et environnement, la création de clubs touristiques dans les établissements et les excursions touristiques. Tout cela mis ensemble permet d'avoir une masse critique de populations averties à la chose touristique. C'est donc un travail de longue haleine mais nous continuons toujours dans cette lancée parce qu'il reste beaucoup à faire pour que tous les burkinabè puissent adopter et avoir envie de sillonner leur pays qui est merveilleux.
S : Les Burkinabè s'adonnent aussi de plus en plus aux tourismes d'aventure et culturel notamment dans la région du Centre-Sud. Est-ce une révolution des mentalités suscitée par la promotion, au sommet de l'Etat, du patriotisme et du retour aux sources ?
S.K.: Tous ces phénomènes interviennent dans le constat qui est donné à voir. Il y a en effet un travail de promotion qui est fait mais on peut ajouter à cela, le regain de patriotisme. Actuellement, les Burkinabè se sentent plus fiers d'eux-mêmes. Depuis que nous traversons la crise sécuritaire et que nous sommes tantôt peints en rouge tantôt en noir, selon les envies des uns et des autres, nous avons compris que c'est à nous de constituer les premiers touristes du Burkina Faso. Que les Burkinabè soient les véritables ambassadeurs de leur pays parce qu'on le dit très souvent, personne ne viendra nous valoriser à notre place. Je pense que tout le monde a compris le message. Aujourd'hui, nous sommes ravis de voir que les Burkinabè eux-mêmes visitent fièrement leur pays.
S : Le développement du tourisme interne peut-il avoir un impact sur les grands défis actuels comme la reconquête de la souveraineté territoriale et culturelle, la cohésion sociale et le développement ?
S.K. : Bien évidemment ! Aujourd'hui, c'est vraiment notre leitmotiv, c'est-à-dire développer le tourisme interne. Nous estimons que mieux on se connait, mieux on se tolère et mieux on s'entraide. C'est toujours l'ignorance qui est très souvent à la base des dissensions et des crises. En général, les discordes entre les populations viennent aussi de l'absence de connexion et d'interpénétration entre elles. Tous ceux qui effectuent les voyages le savent très bien. Vous vous sentirez toujours mieux au sein d'une communauté qui partage avec vous ses valeurs, son histoire et sa culture. Il est donc important que nous partions à la découverte des autres et de leurs valeurs. C'est cela qui va contribuer à renforcer nos liens et nous permettre de relever ensemble les grands défis communs de développement.
S : Que direz-vous aux Burkinabè qui n'ont pas encore la culture du tourisme dans leurs habitudes ?
S.K. : A l'ensemble des Burkinabè d'ailleurs, je demande de ne pas être complexés par ce que nous avons. Nous avons le plus beau pays du monde parce que c'est au Burkina Faso que vous pouvez trouver du nord au sud et de l'est à l'ouest, toutes les curiosités possibles.