Sénégal: Conférence commémorative thiaroye 44 au musée des civilisations noires (mcn) - Les Ombres de l'Histoire Coloniale

23 Décembre 2024

Le samedi 21 décembre 2024 , l'auditorium du Musée des Civilisations Noires (MCN) à Dakar a été le théâtre d'une conférence commémorative marquant le 80e anniversaire des massacres des tirailleurs sénégalais à Thiaroye. Le thème de cette conférence intitulé « De Sétif à Thiaroye : les Ombres de l'Histoire, les Archives dans la Mémoire des Violences Coloniales », a réuni des universitaires, des archivistes-documentalistes, des bibliothécaires, des historiens, des sociologues, ainsi que des élèves du lycée John F. Kennedy et un public venu nombreux.

Le professeur Mamadou Diouf de Columbia University qui a été le président du comité de commémoration de Thiaroye 44, a honoré l'événement par sa présence. Le docteur Adama Aly Pam, conférencier, expert en archivistique et histoire était également présent. Il est chef archiviste au siège de l'Unesco Paris où il a en charge le département des archives historiques , la gestion des documents administratifs et de la bibliothèque.

Une Violence Coloniale Systématique

Les discussions ont mis en lumière l'étendue des violences infligées par le système colonial sur les plans économique, culturel et physique. Les massacres de Sétif (Algérie) et de Thiaroye (Sénégal) ont été présentés comme des épisodes emblématiques de l'injustice coloniale. Thiaroye, en particulier, est apparu comme un moment de bascule, marquant un tournant dans la répression des revendications des tirailleurs rapatriés. Ceux-ci, après avoir combattu sous le drapeau français, furent trahis, assassinés et enterrés dans le silence.

Le Docteur Adama Aly Pam le chef des archives Unesco Paris, à l'entame son exposé a posé la question suivante à l'assistance : « Pourquoi plus d'un million de morts entre 1944 et 1962 sont tombés dans l'oubli presque total, dans les consciences collectives dans les pays victimes des massacres coloniaux ? Selon le chef archiviste de l'Unesco, « pour moi, c'est surtout la colonialité. Parce que l'une des caractéristiques principales de la colonialité c'est de faire oublier ».

Il a également souligné que la colonisation était en elle-même une forme de violence, imposant une administration étrangère et exploitant les ressources locales tout en perturbant les identités culturelles. Ces dynamiques étaient renforcées par une stratégie d'élimination méthodique des traces historiques, visant à contrôler le récit et à imposer une mémoire favorable aux autorités coloniales.

Les Archives : Outils de Pouvoir et de Résilience

« Les archives sont des témoins silencieux du passé », a déclaré le docteur Pam, rappelant que ces documents sont essentiels pour comprendre et analyser les violences coloniales. Il a expliqué que les archives, loin d'être neutres, reflètent des rapports de force et constituent un enjeu de pouvoir. Leur accès limité et leur manipulation historique par les anciens colonisateurs ont contribué à la fabrication de l'oubli. En outre le responsable des archives à l'Unesco a fustigé la notion d'archives de souveraineté. Selon lui, elle traduit la volonté de domination de l'entreprise coloniale en s'accaparant des éléments d'archives pour cacher les atrocités commises. Pis celle « d'archive de gestion » ne rime à rien.

'Malgré ces obstacles, des initiatives émergent, pour restituer la vérité. Les récentes missions de chercheurs aux archives françaises ont permis d'identifier les noms et visages de tirailleurs jusque là réduits à des numéros. Ces efforts illustrent la capacité des archives à ressusciter des histoires oubliées et à rétablir une mémoire collective.

Un appel à la justice et à la réconciliation

Dans son allocution, le conseiller technique n°1 du Ministre des Sports et de la Culture, représentant des autorités sénégalaises a annoncé des mesures significatives pour ancrer cet épisode tragique dans l'histoire nationale. La création d'un Conseil national de la mémoire et d'une Maison des Archives ont été proposées. Ces initiatives visent à préserver l'héritage historique et à promouvoir une réconciliation durable.

Le docteur Pam a également appelé au renforcement des institutions patrimoniales et à l'intégration de Thiaroye dans les programmes scolaires. «Il ne suffit pas de se souvenir lors des commémorations. Nos enfants doivent apprendre cette histoire pour mieux comprendre leur présent et bâtir leur avenir », a-t-il déclaré.

La conférence a conclu sur l'importance de transcender les clivages nationaux pour faire de la mémoire des violences coloniales, un enjeu global. Les intervenants ont souligné la responsabilité collective de préserver cette mémoire, non seulement pour honorer les victimes, mais aussi pour déconstruire les mécanismes de domination qui persistent aujourd'hui.

Cet événement a réaffirmé que se réapproprier son histoire est un acte de résilience et de justice. Thiaroye n'est pas seulement un lieu, mais un symbole puissant des luttes pour la dignité et l'émancipation

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