Ile Maurice: Marcel Poinen - «Nous prenons les hommes politiques pour des fées»

21 Décembre 2024

Établi à Rodrigues depuis dix ans, Marcel Poinen est à Maurice pour suivre un traitement médical en attendant de subir une intervention chirurgicale à l'étranger.

À 68 ans, l'auteur, chanteur et agriculteur est aussi l'inventeur d'une machine «grener may», non pas industrielle mais domestique. Toutes ces activités ne l'empêchent pas de jeter un regard critique sur la situation politique, notamment le positionnement des élus de Rodrigues à l'Assemblée nationale. Pour lui, le 10 novembre, les urnes n'ont pas accouché d'un 60-0 mais bien d'un 64-0.

Des ennuis de santé ?

C'est le 14 octobre dernier qu'on m'a diagnostiqué un problème de santé. Depuis deux mois, je suis suivi par des médecins à l'hôpital Victoria à Candos. Je suis dans l'attente d'une intervention chirurgicale à l'étranger.

À 68 ans, vous avez passé ces dix dernières années à Rodrigues entre les champs, les inventions et la collecte du patrimoine immatériel. Que souhaitez-vous transmettre ?

J'étais à Maurice pour le grand événement, le 60-0. Malheureusement, je n'ai pas pu voter dans mon pays, Rodrigues. J'ai observé et j'ai écouté ce que disaient les gens à l'hôpital. Monn santi vremem dimounn tinn plin. Se enn zafer ki mo pa ti atann. En réalité, ce n'est pas 60-0 mais 64-0.

Parce que les élus de Rodrigues ont décidé de s'asseoir avec la majorité gouvernementale au Parlement alors que leur parti est dans l'opposition à Rodrigues ?

C'est la République qui a décidé. C'est du jamais vu. C'est une leçon des Rodriguais sur comment être républicain. Cela nous montre que le peuple peut faire des choses au-delà de ce que le politicien avait pensé.

Je suis né en 1956 (NdlR, il avait 12 ans en 1968). Depuis l'Indépendance, on a vu que l'arrogance et la corruption ont poussé vers le 60-0 de 1982. C'était la naissance du mauricianisme. Certains parlent de racines variées. Je ne suis pas d'accord. Ena bann lagrin varye kinn tonbe. Le Mauricien s'est enraciné dans cette terre. En 1982, on croyait que les politiciens avaient des baguettes magiques comme des fées. Réunir 100 000 personnes au meeting de remerciement au Champ-de-Mars, c'est extraordinaire. Mais des intérêts occultes ont bloqué le développement du mauricianisme.

Croire au changement en 2024, c'est prendre les hommes politiques pour des fées ?

Le Mauricien a tiré des leçons. Me se politisien ki kas tou. Ils nous rassemblent avec des slogans: la «nation arc-en-ciel», «l'unité dans la diversité», le «peuple admirable». Mais parmi les hommes politiques, il y a des démolisseurs, qui ont des motivations ethniques, socioculturelles. Sauf que le peuple ne gobe pas cela. Il l'a montré aux dernières élections. Pendant le meeting de remerciement (NdlR, à la place d'Armes), on a vu le quadricolore flotter bien haut, la foule chantant l'hymne national.

Vous avez eu un regain d'espoir en tant que citoyen rodriguais ?

Exactement.

Vous vous reconnaissez comme citoyen rodriguais désormais ?

Et j'en suis fier. Je fais partie de la République. À la fin du mois, cela fera dix ans que je me suis installé à Rodrigues. En tant que poète, écrivain, citoyen ayant une passion pour son pays, pour l'océan Indien, je sens qu'avec les élections du 10 novembre, politisien bizin pa fer erer. Le PM a déclaré qu'il avait compris le message (NdlR, celui du peuple). Seki linn konpran, se nou kinn fer li konpran sa. Il y a une expression selon laquelle «lespwar finn tom dan dilo». Je préfère dire que l'espoir est tombé dans l'art. L'art de nous diriger. C'est à ces 64 personnes assises au Parlement de nous mener à bon port.

C'est une répétition mais est-ce que 42 ans après le premier 60-0 de 1982, nous ne prenons pas à nouveau les hommes politiques pour des fées ?

Quelque part oui. C'est notre modèle de vivre-ensemble qui veut ça. L'espoir viendra de Rezistans ek Alternativ (ReA). Le PM adjoint l'a dit. Li ena lespwar lor zot.

Ce ne sont que trois élus.

Mais il y a un parti derrière eux. Si les propositions de ReA ont été incluses dans le manifeste électoral, elles doivent être respectées.

Entre le manifeste électoral et le discours-programme à venir, il y a parfois des disparités.

Très souvent, oui. Mais je crois que ce sera respecté. C'est aussi une question d'âge. À mon âge, quand des jeunes font des choses, mo bizin res trankil, get zot. J'ai mon mot à dire mais ce sont eux qui ont tout le temps pour continuer.

Avez-vous le sentiment qu'on laisse la place aux jeunes alors que des postes clés ont été confiés à des personnalités qui, il y a plus de dix ans, avaient déjà travaillé avec les dirigeants actuels ?

Sans être un politologue (sourires), je dirais que le Mauricien connaît forcément quelqu'un qui a une affiliation.

Il n'y a pas de Mauricien neutre ?

Nous sommes encore en devenir.

Même après 56 ans d'indépendance ?

L'humain est un éternel insatisfait. Mais nous sommes condamnés à vivre ensemble. Ce n'est pas seulement après une catastrophe que nous devons faire des dons. Le mauricianisme, c'est reconnaître les différences qui nous apprennent comment vivre ensemble.

Le poète, le comédien, celui qui a valorisé le patrimoine de Fanfan comme vous l'avez fait a dû jeter un oeil aux propositions du présent gouvernement pour la culture. Qu'en pensez-vous ?

J'ai apprécié l'approche du ministre Mahen Gondeea dans une récente interview. Sans prétendre être un connaisseur de l'art, il a répondu aux questions. C'est pour cela qu'il a proposé des Assises. J'espère qu'avec le document qui en sortira, le ministère, le gouvernement comprendront ce que les artistes attendent vraiment.

L'un des défauts des Assises, c'est que l'action passe en mode pause, non ?

Avec le 64-0, nou pa pou less zot trankil. Il faudra rendre public le document, qui sortira des Assisses. Avec un time frame. J'aimerais bien savoir comment on va célébrer le 12 mars 2025, pour voir le changement. Très souvent, on considère le ministère des Arts et de la culture comme n'étant pas prestigieux. Mais rappelons-nous que pour la cérémonie officielle du lever de drapeau, le ministre des Arts kot drapo. Ce sont les artistes qui donnent couleur et saveur à la célébration du 12 mars et pas le protocole et le côté militaire.

Il faudrait abolir le défilé de chars de la Special Mobile Force ?

Be sa inn ler. Nous ne sommes pas dans un régime à la Bachar al-Assad. Certes, il faut le protocole, tout le respect dû au drapeau. Mais le côté militaire ne doit représenter que 10 % du programme du jour. Le répertoire de l'orchestre de la police, ce jour-là, mo pa kone ki ete sa, alors qu'il y a des chansons du patrimoine. Il y a aussi un pot-pourri de langues à Maurice.

Imaginons. Nous sommes au Champ-de-Mars le 12 mars. Qui aimeriez-vous voir sur scène ?

Il faudrait qu'on entende notre patrimoine : le sega typik et le geet gawai. C'est la base. Ensuite, il faut montrer toutes les cultures qui ont germé à Maurice, mais sans tracer de ligne de démarcation entre elles. Il faut une communion entre elles. Pour qu'en tant que spectateur, je me dise : «Ah, il y a une alchimie. Ena enn zafer pe deroulela». Et que le lendemain des célébrations, je sois galvanisé pour reprendre la perche et continuer à sauter.

Le 12 mars est un symbole. Mais dans le concret, quelles sont les priorités à attaquer dans le secteur culturel ?

Ce sont tous les blocages, les tabous, les interdits, les «ne fais pas ceci».

Au début du mois, deux DJ israéliens, d'abord autorisés par la police, ont été interdits de se produire à Maurice. Votre commentaire.

Personne ne s'est imposé pour dire que notre pays, c'est la tolérance. Il faut s'ouvrir davantage. C'est aussi un rôle d'éducation, d'enseignement que doit jouer la presse, pour ne pas tomber dans les pièges des démolisseurs venus d'ailleurs. Il faut des débats d'idées pour dissiper les malentendus et mieux comprendre l'histoire du monde.

C'est un message au nouveau directeur de la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) ?

Pourquoi pas un plateau avec des journalistes ki kone vreman ki zot pe koze. Et il y en a beaucoup. Ils sauront comment inviter le public à participer aux débats, cultiver ce côté intellectuel qui nous aide à mieux nous comprendre et à comprendre le monde. Trop souvent dans les activités qui se déroulent à Maurice, on oublie le Rodriguais. Cela aurait été un grand plaisir si on avait eu un vice-président de la République rodriguais. Kan koz Rodrig, kouma dir nou ena enn pitie pou li. On considère Rodrigues comme un lieu qui a besoin d'aide. Rodrigues pena pou al ede. Rodrigues fait partie de la République, avec son autonomie, bien sûr.

Prenez le Festival Kreol à Rodrigues. Qu'est-ce que la MBC en a montré à Maurice? Souvent ce qui se passe à Rodrigues reste à Rodrigues alors qu'il faudrait une synergie, tout en respectant, encore une fois, l'autonomie. Il y a des spécialistes pour ça. Il faudrait un directeur artistique à la télévision nationale.

Vous postulez ?

(Rires) Je suis très artistique mais non. C'est une grande faiblesse. Il faudrait un directeur artistique qui connaisse vraiment le Mauricien et le Rodriguais.

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Innovation : faciliter l'égrènement du maïs

Marcel Poinen travaille sur un projet financé par le Mauritius Research and Innovation Council (MRIC). «Nous en sommes à 75 % d'un projet qui sera breveté à l'avenir» et qui concerne l'invention d'une machine pour égrener mécaniquement les épis de maïs. «C'est pour faciliter la tâche des petits planteurs. La méthode traditionnelle d'égrener les épis de maïs à la main est fastidieuse. Elle donne des douleurs aux mains et au dos. C'est un travail qui n'attire pas les jeunes. Zot pa perdi letan ar sa.»

Marcel Poinen espère que son invention va relancer la culture et la transformation du maïs à Rodrigues. Par exemple, «pou fer lafarinn ki servi pou gato, pou fer diri may, pou gagn manze poul».

Son invention se démarque des machines industrielles existantes. «Mon concept permettra à une seule personne d'installer et d'opérer la machine, à domicile.» Il espère que des investisseurs éventuels seront attirés par la fabrication de cette machine. C'est pendant la pandémie de Covid-19 que Marcel Poinen a eu l'idée de cette machine, quand s'est pointé le spectre de la pénurie de riz après que des pays producteurs, dont l'Inde, a suspendu leurs exportations mondiales. «On a eu peur d'être rationnés comme en temps de guerre alors que Rodrigues produit du maïs, un aliment sain.» Marcel Poinen est aussi un planteur de maïs à Rodrigues. «Si je récolte environ 200 livres de maïs dan mo lakour, je suis content.»

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Mauritius Society of Authors (MASA) : reparlons d'autonomie

Marcel Poinen est un ancien président de la Mauritius Society of Authors (MASA). Durant son mandat, l'autonomie de la société des droits d'auteurs avait été votée en assemblée générale. Mais elle n'a jamais été mise en place. Depuis, la MASA a été éprouvée par de nombreux problèmes, notamment une situation financière désastreuse.

«Pourquoi ne pas accorder l'autonomie à la MASA ? Pour qu'elle soit gérée par les artistes», se demande Marcel Poinen. Est-ce que les tiraillements constants au sein de la communauté artistique est un obstacle à une éventuelle autogestion ? «Oui, mais souvent les choses démarrent mal avant de s'améliorer. Si une équipe, en qui à la fois l'État et les artistes ont confiance, prend en main la MASA, on pourrait voir des résultats. Il faut doter cette société de gestionnaires modernes. La loi est là. Mais le problème, c'est le paiement des redevances qui représente peanuts. Quelle est la partie des revenus du secteur hôtelier qui sert au paiement des redevances pour les auteurs-compositeurs ? On oublie que les artistes sont propriétaires de cette société. Elle tient une assemblée générale. Nou ena enn lord pou mete.»

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