Depuis quelques semaines, à coup de tueries, d'enlèvements, de prises d'otages, la secte terroriste, pourtant considérée comme affaiblie par les officiels et les experts, est créditée d'un « regain opérationnel » dans la partie septentrionale du Cameroun, où elle sème la désolation dans plusieurs départements.
Les autorités en charge de la défense parlent de mesures prises par le « haut commandement militaire » pour faire face à la situation.
Les statistiques parlent d'elles-mêmes. Entre fin août et fin novembre, on dénombrait une vingtaine de personnes tuées, dont un élément du Bataillon d'intervention rapide [le BIR, une unité d'élite des forces camerounaises, NDLR], une quinzaine d'otages, une attaque d'un poste de gendarmerie, des dizaines de villages désertés par des populations prises de peur.
La chronique des actes de Boko Haram, tenue pendant de longues semaines par le trihebdomadaire L'Oeil du Sahel, [le périodique régional le plus crédible qui couvre prioritairement l'actualité de la partie septentrionale du pays, NDLR], établit un regain de vitalité de Boko Haram, dans la région de l'Extrême-Nord, frontalière du Tchad, du Nigeria et de la République centrafricaine.
Selon plusieurs sources, le mode opérationnel est le même : incursions nocturnes, généralement inopinées, dans les localités ciblées, irruptions soudaines ayant pour cibles, en plus des populations, les symboles de l'autorité de l'État (un poste de gendarmerie) et les chefs traditionnels. À quoi s'ajoutent des enlèvements, assortis de demande de rançons, sans oublier les tueries. Objectif : se ravitailler en vivres, en bétail dont la vente, aux dires des spécialistes, permet d'assurer la résilience du groupe.
Boko Haram affaiblie, mais pas anéantie
Même si le géostratège Joseph Vincent Ntuda Ebode croit savoir que le regain de vitalité de la secte qui semble ainsi s'imposer n'en est pas un, il explique tout de même ce retour de Boko Haram au-devant de la scène, en trois points : « En fait, sa défaite militaire face aux troupes conventionnelles l'a ramené à sa seule dimension de groupe terroriste. C'est-à- dire à adopter une stratégie consistant à frapper des fois pour se ravitailler en médicaments, nourriture, armes et après se dissimuler dans l'attente d'une autre opportunité.
La raison principale étant, et là se trouve la seconde, le fait qu'il n'a plus de base arrière importante, (pour avoir perdu les territoires qu'il occupait de manière durable dans la région du Lac Tchad et au Nigeria), pour se replier et préparer des attaques robustes. Il multiplie donc des actions d'éclat, signe plutôt de sa faiblesse en raison de la raréfaction des ressources. Une troisième raison serait la baisse de vigilance de la part des forces, due aux longues attentes sur le théâtre des opérations sans confrontation ».
À l'évidence, si Boko Haram a été affaiblie, la secte n'a pour autant pas été anéantie. Elle doit sa survie à une certaine baisse de vigilance consécutive à la recomposition des groupes jihadistes en activité en Afrique de l'Ouest. « L'on a observé une relative accalmie à la suite du décès de Sheka, liée à la guerre intestine sanglante entre ISWAP [État islamique en Afrique de l'Ouest, NDLR], et JAS (alias Boko Haram) pour le contrôle de l'espace, surtout aux abords des Monts Mandara. Les États n'ont pas su capitaliser ce moment. Cette crise interne a permis aux groupes de se lester de combattants les moins aguerris et des femmes et enfants difficiles à nourrir. Aujourd'hui, la crise interne s'est stabilisée et les jihadistes peuvent de nouveau s'en prendre à leurs ennemis traditionnels, les États », décrypte Raoul Sumo Tayo.
Par ailleurs, le fait pour les États (Cameroun, Tchad, RCA, Nigeria) d'accorder la priorité aux crises intérieures, n'est pas pour peu dans le récent regain d'activité de la secte terroriste « Ces États considèrent que cette crise [Boko Haram, NDLR] est à la phase de stabilisation alors que sur le terrain, la situation se dégrade davantage. La routine liée à la durée des engagements militaires [dix ans pour le Cameroun, NDLR] fait perdre certains réflexes », analyse ce chercheur sénior à l'Institut des Études de Sécurité à Pretoria.
« Cette guerre asymétrique va durer longtemps »
En se situant dans la durée, et en prenant en compte les dynamiques régionales, deux autres pistes sont explorées pour expliquer ce « regain opérationnel » de Boko Haram au Cameroun. D'abord, « Aux lendemains de la chute de Sambisa, explique un expert des questions de défense, les efforts n'ont pas été consentis dans le sens de l'éradication totale de Boko Haram, la force Barkhane et celle du G5 Sahel ayant contribué à dégarnir les soldats des fronts Niger et Tchad pour leur engagement en Afrique de l'Ouest. Le principe dynamique est simple, il est apatride et évite les sédentarisations qui les exposent. Combattus au Mali et au Niger, les éléments des obédiences Boko Haram sont venus subrepticement gonfler les effectifs des combattants ».
Et puis : « Le retrait de la force Barkhane et l'inconsistance du G5 Sahel ont encouragé un glissement de combattants vers le Sud, d'où, la recrudescence que nous vivons en ce moment. Malheureusement, pour le regretter, aucun des pays de la ligne de front n'a pris consciemment le temps d'analyser la situation pour donner de nouvelles stratégies pertinentes, la dernière en date est la sortie du président Déby », poursuit la même source.
Jusqu'où ira Boko Haram dans cette nouvelle offensive dans la région de l'Extrême-Nord du Cameroun ? « Cette guerre asymétrique va durer longtemps. On n'éradique pas un mouvement terroriste. On l'affaiblit substantiellement. Mais de temps à autre, et pour diverses raisons, il peut se signaler par des actions d'éclat », prédit Joseph Vincent Ntuda Ebode.
Pour le moment, depuis le retour en force de la secte, les autorités camerounaises, qui assurent n'avoir pas baissé la garde sur ce front, ont pris un certain nombre de mesures pour faire face à la situation. « Le Haut Commandement militaire camerounais a relevé significativement le niveau d'alerte sur ce théâtre afin de nous prémunir des attaques surprises aux conséquences inévitablement fâcheuses. Par ailleurs, le renforcement de notre dispositif par le Haut Commandement militaire, surtout en cette période de début de saison sèche où les couloirs de mobilité sont de plus en plus praticables, reste la principale alternative à privilégier pour l'instant », révélait Joseph Beti Assomo, ministre délégué à la présidence, chargé de la Défense, au cours d'une réunion spéciale d'évaluation des urgences sécuritaires dans les régions en crise, tenue le 28 novembre. La deuxième mesure semble provisoire. En attendant le résultat des concertations de haut niveau, suite au retrait récent du Tchad de la Force multilatérale mixte.