Depuis plusieurs mois, les pays du Sahel subissent une flambée de violences d'une intensité inédite. Le Niger, le Burkina Faso et le Mali, déjà fragilisés par des années de lutte contre les groupes armés terroristes (GAT), sont confrontés à une recrudescence d'attaques meurtrières.
Rien que ces dernières semaines, le Niger a été gravement frappé par une attaque près de la frontière avec le Burkina Faso, qui a couté la vie à près de 40 villageois, dans les villes de Libiri et Kokorou, le 14 décembre dernier. Déjà quelques jours plus tôt, différentes sources affirmaient que le Niger avait été la cible d'une attaque la plus meurtrière depuis plus de six mois, causant la perte d'une centaine de soldats et d'une cinquantaine d'habitants dans la ville de Chatoumane, au sud-ouest du pays.
Démentant cette information dès sa sortie, le Niger a directement décidé de suspendre l'activité de la radio anglophone BBC pour une durée de trois mois, et a annoncé porter plainte contre RFI, les accusant de véhiculer de fausses informations avec l'intention de démoraliser les forces qui affrontent les djihadistes sur le territoire. Qu'il s'agisse d'une rumeur avérée ou non, cela ne peut qu'être perçu comme un aveu de faiblesse de la part du Niger, qui semble tenter, tant bien que mal, de dissimuler sa détresse face à la menace terroriste.
Cet échec face à la propagation djihadiste ne concerne pas uniquement le Niger, mais également ses voisins sahéliens, le Burkina Faso et le Mali, membres fondateurs de l'AES et sous le joug de la Russie de Poutine. Comment oublier le double attentat qui a frappé l'école de gendarmerie et la base aérienne 101 à Bamako en septembre dernier, coûtant la vie à au moins 80 personnes ? Ce drame, survenu au lendemain du premier anniversaire de la création de l'Alliance des États du Sahel (AES), résonne comme un sombre symbole de l'incapacité des juntes à contenir la menace terroriste malgré la propagande des médias acquis à leur cause et les centaines d'activistes du net dont certains sont rémunérés pour disséminer des fake news à longueur de tweets et de posts Facebook.
Quelques semaines plus tôt, en août, le Burkina Faso saignait à son tour avec une attaque d'une ampleur inédite à Barsalogho, où entre 200 et 400 personnes ont été massacrées sans que le chef de la junte n'y effectue le déplacement. Cette tragédie prend une dimension encore plus terrifiante lorsqu'on sait que la population avait été sommée par le gouvernement d'aider l'armée à creuser des tranchées pour se protéger contre d'éventuelles attaques. Les habitants, abattus dans ces mêmes tranchées qu'ils avaient creusées de leurs propres mains, symbolisent tragiquement les failles des réponses sécuritaires apportées par les autorités.
Un tournant géopolitique dans le Sahel : opportunité pour des terroristes opportunistes
Dans le même temps, les trois pays de l'AES ont choisi de tourner le dos à leurs partenaires traditionnels au nom d'un nationalisme pittoresque pour se rapprocher de la Russie, confiant une partie de leur sécurité à des groupes paramilitaires étrangers. Une coïncidence avec l'aggravation du chaos sécuritaire ? Peu probable. Ce virage stratégique vers l'Est, loin d'avoir inversé la tendance, semble plutôt avoir ouvert de nouvelles brèches pour les terroristes.
Car en ciblant délibérément des villages entiers, n'épargnant ni femmes ni enfants, et en s'en prenant directement à des axes stratégiques, notamment un camp militaire attaqué par des terroristes à Kouakourou près de Mopti dans le centre du pays, les GAT accentuent le chaos et dévoilent l'incapacité des mercenaires russes à apporter aux pouvoirs en place une offre sécuritaire crédible. Au Mali, la présence de Wagner n'a en rien permis de rétablir la sécurité, comme le montre l'incapacité à prévenir des massacres dans des zones sensibles, notamment à Tinzawaten en juillet dernier.
Plus grave encore, plusieurs rapports révèlent que, lors d'opérations censées lutter contre le terrorisme, les forces maliennes, appuyées par les mercenaires de Wagner, se sont rendues coupables d'atrocités, exécutant plusieurs dizaines de civils. Un rapport de l'ONG Human Rights Watch publié le 28 mars 2024 affirme que les forces armées maliennes et les combattants étrangers du groupe Wagner ont illégalement tué et sommairement exécuté plusieurs dizaines de civils au cours d'opérations de contre-insurrection dans les régions du centre et du nord du Mali depuis décembre 2023. En plus de la terreur instaurée par les GAT, les populations souffrent donc directement des exactions commises par les mercenaires russes convoyés par le régime de Goïta, qui, sous couvert de lutte contre le terrorisme, commet des atrocités contre des civils.
Et comme si le sort s'acharnait, de cette crise sécuritaire s'ensuit une grave crise humanitaire. Les populations se retrouvent exposées à des conflits armés, des déplacements forcés et des crises alimentaires, exacerbées par le changement climatique. A titre illustratif, plus de 180 000 Burkinabè, fuyant les violences, ont trouvé refuge au Mali selon les données compilées par UNHCR. Plus largement, l'aggravation de la situation sécuritaire et humanitaire dans les trois pays sahéliens a déclenché des flux de réfugiés vers des pays voisins comme le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Togo. Sans oublier que le retrait progressif des acteurs humanitaires dans certaines zones du Sahel complique encore l'accès aux secours et à l'assistance.
Quels bénéfices pour ce rapprochement vers l'Est ?
Pendant que les réels bénéfices de cette alliance avec la Russie restent flous, les tentatives russes d'expansion en Afrique se multiplient. Son rapprochement avec la Guinée équatoriale, illustré par l'idée d'un déploiement potentiel d'Afrika Corps à Malabo, témoigne de la volonté d'expansion d'influence moscovite sans donner en échange aucune garantie de stabilité. De même, l'ouverture d'une ambassade russe à Lomé, en novembre 2024, s'inscrit dans cette stratégie d'expansion, avec des implications potentielles pour l'ensemble de la région.
Mais alors que la Russie semble se renforcer sur le continent, l'évolution de la situation en Syrie pourrait bouleverser ses priorités stratégiques. Déjà, l'effondrement du pouvoir d'Assad en seulement quelques jours remet fortement en question le soutien russe apporté en Syrie depuis des années. Par ailleurs, la Russie risque de perdre ses bases essentielles à Tartous et Lattaquié, qui assurent son accès stratégique à l'Afrique, ce qui pourrait forcer le Kremlin à réajuster sa politique en Afrique.
Ce changement d'orientation pourrait déstabiliser davantage la région sahélienne, avec des conséquences imprévisibles pour les pays qui ont misé sur la Russie. Surtout que le régime de Poutine a sollicité le gouvernement soudanais l'installation d'une base navale sur la côte de la mer Rouge à Port Soudan, en échange de la fourniture d'un système de défense antimissiles S-400.
Finalement, parler de partenariat « gagnant-gagnant » dans ce contexte semble une illusion. Les peuples sahéliens se retrouvent pris au piège entre un partenaire russe qui ressemble plus à un prédateur et des enjeux géopolitiques mondiaux qui échappent à leur contrôle. Il s'agit donc plutôt d'un scénario « gagnant-perdant », où les populations payent le prix fort, sans avoir rien à y gagner.