Cameroun: Pr Louis Richard Njock - « Je travaillerai avec abnégation partout où je serai »

24 Décembre 2024
interview

Il est médecin, enseignant, Secrétaire général de ministère. Il s'est livré à Nyanga Magazine dans entretien. Extraits.

Cela va faire un peu plus de 4 ans maintenant que vous êtes secrétaire général de ministère. Quelle est la différence fondamentale entre cette fonction et celle que vous occupiez avant comme directeur d'hôpitaux ?

La différence fondamentale est que, le secrétariat général est un poste stratégique par contre en tant que directeur d'hôpitaux, j'étais dans l'opérationnel. Au secrétariat général on parle de service du département technique et les livrables ne sont pas les mêmes. Ici, nous devons produire des documents stratégiques, de politique à l'échelon national, des documents d'orientation. A l'hôpital par contre il y avait une plus grande dimension de contacts : des patients, des décès, des cris dans les couloirs.

Justement, est-ce que ça ne vous manque pas, cette atmosphère de l'hôpital, ce contact avec les patients ?

Si je dis non c'est que je mens. Ça me manque. C'est pour cela que dans mon emploi de temps, j'ai essayé d'aménager une « journée hôpital », durant laquelle je redeviens médecin. Je consulte, je vais au bloc opératoire. Après je laisse l'équipe prendre le relai. Ainsi, je garde l'aspect médecin et chirurgien de ma personne. J'avoue que cela devient de plus en plus difficile, compte tenu des enjeux et challenges au niveau de la fonction de SG. Mais ce qui est important, c'est de se sentir utile.

Une chose qui a beaucoup transparu lorsque vous exerciez dans l'opérationnel, c'est le sentiment d'une action menée avec la passion. Est-ce que c'est une passion qui vous est venue sur le tard ou alors l'envie s'est faite ressentir depuis le début ?

Mon histoire avec la médecine est assez particulière. C'est une histoire de passion. Depuis l'enfance, il fallait absolument que je sois médecin. J'ai renoncé à tout pour le devenir. Je suis l'un des rares jeunes qui va arriver en France pour faire des études d'architecture, et qui va les abandonner 14 jours plus tard, parce qu'il a été reçu au concours de médecine. A l'époque c'était une seule école de médecine et donc le concours était extrêmement rude. Pour le réussir il fallait souvent le faire plusieurs fois et cela fût mon cas. La formule que j'aimais utiliser plus jeune est : « Même pauvre, si je suis médecin, je serai heureux ».

On a souvent évoqué les conditions dans lesquelles s'exerce ce métier chez nous. Un tableau pas toujours reluisant. Au regard de la carrière qui est la vôtre, de votre réputation et sûrement d'opportunités qui se sont présentées, est-ce que vous n'avez pas été tenté à un moment, comme beaucoup de compatriotes, d'exercer ailleurs qu'au Cameroun?

Non, jamais ! Ce ne sont pas les occasions qui m'ont manqué. C'était difficile, parce que je suis de la génération post dévaluation du Franc CFA. C'étaient mes premières années d'exercice de la pratique. Les salaires étaient extrêmement bas. C'est à ce moment que la plupart de mes camarades se sont expatriés.

Mais, chacun doit résoudre son problème à son niveau. C'est ce moment que j'ai choisi pour faire ma spécialisation. J'ai vendu mes meubles, j'ai pris un crédit à la banque et je me suis expatrié en Côte d'Ivoire pour me spécialiser comme oto-rhino-laryngologiste. Je me suis dit que peut-être en étant spécialiste, je serai rémunéré à ce titre-là. Je suis revenu au Cameroun après avoir fait un cursus en

Côte d'Ivoire et en France. J'ai été recruté à l'université, puis je me suis fait perfectionner en France. Je me suis permis de faire un prestigieux concours, que j'ai obtenu haut la main en 2007.

Je suis quand-même revenu au Cameroun. Je me suis dit que ce que je fais en étant ORL en France est anonyme et banal, mais ce que je ferai avec la technicité que j'ai au Cameroun, aura plus d'impact.

Est-ce qu'il n'y a pas eu un moment où ces conditions d'exercice difficiles vous ont découragé ?

Bien-sûr ! J'ai eu des moments de doute. Mais dans mon schéma, je considère mon pays et toutes les difficultés qui sont en face de moi comme des occasions pour pouvoir m'améliorer. Et donc, je n'attends pas que les conditions soient réunies au Cameroun pour revenir. Il faut les affronter ! Il faut faire en sorte de les améliorer. Vous pouvez arriver dans un hôpital tout enthousiaste et vous faites un plan de développement. Si vous n'êtes pas suivi, c'est une déception. Si vous n'avez pas les moyens pour exercer décemment, vous aurez des doutes.

L'option que beaucoup de vos confrères choisissent pour faire face à ces difficultés, c'est de s'ouvrir au privé. Or, vous faites l'essentiel de votre carrière dans l'administration publique de la santé. Pourquoi n'avez-vous pas été, tout en continuant d'exercer au Cameroun, tenté par ce passage par le privé ?

Tout doit se faire selon moi dans le respect de la réglementation. Quand il y a eu les années difficiles après la dévaluation du Franc CFA, les conditions de fonctionnement étaient extrêmement difficiles. La réponse de l'Etat était de dire qu'on va essayer de faire en sorte qu'il y ait une facilitation pour accéder au privé. C'est à ce moment-là qu'on a commencé à libéraliser.

La profession des médecins qui était assez fermée, s'est ouverte aux promoteurs privés. Et donc, le principe avait été que si vous voulez faire un exercice libéral, il faut déclarer les impôts, il faut que l'ordre des médecins soit mis au courant. Je ne suis pas contre cet exercice libéral, mais il se devait d'être encadré. Vous deviez le faire dans une institution qui a pignon sur rue. Les autres pays qui nous ont précédés dans la réforme de traitement des médecins, ont mis en place l'exercice libéral à l'intérieur des hôpitaux publics. Je suis de ceux qui pensent que c'est une bonne chose.

Pourquoi ? Parce que si vous avez un enseignant émérite qui fait le privé dans un hôpital public. Il est mieux rémunéré, c'est là-bas qu'il forme, il retient les malades, il encadre les étudiants, il est sur place et peut gérer les urgences. Il faut toujours avoir à l'esprit de ne pas occulter les problèmes, mais regarder aux solutions et il y en aura toujours.

Pour le grand public, vous devenez connu surtout après votre passage à l'hôpital annexe d'Edéa et par la suite à l'hôpital Laquintinie de Douala où l'on a remarqué des améliorations à chaque fois, que ce soit dans l'esthétique de ces établissements hospitaliers, mais également dans le traitement humain. Aujourd'hui vous n'y êtes plus, mais pour ceux de vos successeurs qui sont toujours dans les hôpitaux, c'était quoi votre recette?

Ma recette se trouve dans le traitement de l'humain. J'ai une approche humaniste de la gestion. Il ne s'agit pas pour moi de contraindre, de forcer. Il s'agit pour moi de convaincre mon collaborateur par rapport à la vision que je voudrais implémenter. De l'amener à être empathique. Le jour qu'il est convaincu qu'il en faut pour les malades, alors ça se met en place. Je devais aller à tatillon par rapport à la conduite du changement.

Prendre en compte toutes les difficultés annoncées. Lutter contre la corruption et la privatisation des postes au sein des hôpitaux avec tact et méthodologie, trouver des voies et moyens pour faire une cagnotte commune, pratiquer en tant que leader l'exemplarité. Je devais être juste et honnête, crédible par rapport à ce que je leur dis. Je devais avoir une gestion de transparence des deniers qui sont arrivés à l'intérieur d'un comité de gestion pour l'affectation des investissements et de discipline. Tout cela finit par donner une cohésion à l'équipe à un moment donné.

Pour le cas particulier de l'hôpital Laquintinie, vous y êtes nommé dans un contexte assez particulier. L'établissement faisait l'objet d'une actualité plutôt sordide (affaire Koumatekel) avec une image peu reluisante. Est-ce que vous avez accueilli cette promotion comme un cadeau empoisonné ou une vraie promotion ?

L'histoire de Laquintinie dans ma carrière est quelque chose d'assez particulier. Je pense qu'un jour j'en écrirai un roman. Je vivais à Douala et je suis praticien hospitalier dans l'hôpital général de cette ville. J'avais un regard très critique sur le comportement et l'empathie de cet établissement hospitalier. J'avais refusé d'y faire des vacations quand ils avaient besoin d'ORL. J'ai préféré que ce soit mon collègue français qui y aille. Pour moi à l'époque c'était : « Si tu crois en quelque chose, ne mets pas tes pieds à Laquintinie ». Et c'est dans ce contexte difficile que je suis désigné comme directeur. Je suis très attendu. Le Cameroun est choqué de voir les images inhumaines d'une femme en train d'être éventrée. Connaissant mon penchant très fort sur l'éthique et l'empathie, je me suis dit, je n'ai pas à réfléchir, je dois me sacrifier. Avec l'aide de Dieu et ceux qui m'entouraient à l'époque, nous avons pu pacifier cet hôpital et c'était une belle aventure. Cela m'a rendu célèbre.

Le hasard du calendrier veut que juste quelques mois après votre nomination, le Cameroun fait face à un de ses épisodes sanitaires les plus difficiles, suite à la catastrophe ferroviaire d'Eseka. Vous êtes vous-même originaire du Nyong-et-kelle et vous êtes à ce moment-là le directeur d'un des hôpitaux qui doit recueillir les victimes de cette crise. Comment vous vivez cet épisode?

Pour moi, la leçon de cet épisode est qu'il faut écouter sa voix intérieure. Le train a déraillé à Eseka. Pour le commun des mortels, les secours viendraient de Yaoundé et c'est ce qui s'est passé. Je me souviens un hélicoptère avec le ministre de la Santé publique et celui de la Défense est descendu à Eseka. C'était ça le schéma. Une voix intérieure me dit : « Njock Prépare-toi ». J'appelle le conseiller médical. Je me souviens cette dame m'a regardé avec étonnement. Je lui ai dit de s'assoir, de prendre son stylo et de questionner les médecins. Je lui ai fait comprendre que de ce déraillement, nous recevrons des malades.

Elle a fait ce que je lui ai demandé et s'est mise à les questionner. Ceux qui n'étaient pas de garde devaient venir ce jour-là. Ceux qui n'étaient pas programmés dans l'équipe de roulement devaient l'être. Les blocs opératoires étaient prêts, les biologistes aussi. A minuit les premiers malades sont arrivés. Elle m'a dit « Nous avons les accidentés d'Eséka, vous étiez bien inspirés ». Nous avons commencé à les recevoir. On opérait en temps réel. Il y avait des gens qui arrivaient avec des garrots de fortune, on faisait des amputations. J'ai mis en place une équipe que moi-même je pilotais. Nous sommes allés plus loin. Nous avons mis en place une cellule de suivi psychologique comme cela se fait lors de tous les sinistres. Une société de téléphonie mobile avec qui nous étions en partenariat nous a donné des numéros de téléphone.

Aujourd'hui Secrétaire général de ministère, mais également président de section du parti au pouvoir dans votre circonscription d'origine. On pourrait vous soupçonner d'ambitionner plus...

Je vais être franc avec vous. Dans la vie, il faut avoir des principes et c'est bien que mon parcours laisse transparaître une forme d'ambition qui serait d'ailleurs légitime. Je suis Secrétaire général du ministère de la Santé publique aujourd'hui, un peu à mon corps défendant. Il faut le dire et il faut que la jeunesse le sache. Dans ma vie de médecin, j'étais plutôt crédité pour être un bon médecin chirurgien. Mais j'étais aussi un universitaire. Je voulais terminer avec mon agrégation pour être à la tête d'un service formateur dans un hôpital. Sauf que, un incident a changé le cours des choses.

En 2008, l'Etat du Cameroun refuse de faire de moi un candidat à l'agrégation. C'est à partir de ce moment que je me suis dit « non, ce n'est pas juste que des aînés se comportent de la sorte vis-à-vis des jeunes ». Alors, je me suis dit que peut-être qu'il faudrait que le bon Dieu me donne la possibilité un jour de servir avec humilité, amour du prochain, de prendre l'envers du décor de tous ceux qui ne peuvent pas promouvoir les jeunes. C'est ainsi que je suis allé voir l'ancien ministre de la Santé publique André Mama Fouda et trois mois plus tard, j'ai été nommé directeur de l'hôpital de district de Bonassama. Ma vie et ma carrière sont un magistère. J'ai demandé à Mama Fouda de me nommer à un poste qui est noccupé. Ce dernier était vacant depuis 12 ans. Je me suis dit qu'il faut bien commencer quelque part. J'ai tant et si bien travaillé qu'on m'a envoyé à l'hôpital annexe d'Edea.

J'ai si bien travaillé que je me suis retrouvé à Laquintinie. J'espère avoir donné satisfaction à ma hiérarchie et je me suis retrouvé au poste que j'occupe actuellement. En dehors de l'épisode de l'hôpital de district de Bonassama, les autres postes m'ont été imposés. Je n'ai rien demandé. J'entends que des gens font des messes basses. Je voudrais montrer aux jeunes par ma trajectoire que j'ai fait mes preuves. J'ai travaillé et je suis là où je suis parce que j'ai travaillé. J'y tiens. Je ne peux pas prédire l'avenir, mais ce que je sais c'est que je travaillerai et servirai toujours avec abnégation partout où je serai. J'en ai pris l'engagement.

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