Burkina Faso: Réutilisation des médicaments - Une pratique dangereuse pour la santé humaine

25 Décembre 2024

Dans plusieurs familles burkinabè, il est fréquent de trouver des plaquettes de médicaments non utilisées ou à moitié utilisées après le traitement de certaines maladies. Le restant de ces produits, souvent prescrits par ordonnance, est conservé soigneusement pour des besoins futurs. Leur mauvaise utilisation et gestion présentent des risques considérables pour la santé humaine et l'environnement.

Lundi 15 novembre 2024. Melissa Kaganbéga, âgée de 8 ans, souffrant d'un rhume, présente une forte fièvre. Elle grelotte et vomit. Sa mère, paniquée fouille dans la boîte à pharmacie et trouve de l'artefan, de l'amoxicilline et du paracétamol et les administre à sa fille. Ces produits, elle les a conservés après un traitement médical, « pour un usage ultérieur ». A l'en croire, l'enfant montre des signes de paludisme accompagné d'un rhume.

Comme elle, de nombreuses autres personnes utilisent des restes de médicaments lorsqu'elles observent des symptômes « similaires » d'un mal déjà traité avec des médicaments prescrits par un spécialiste de la santé. Rasmané Kalmogo, marié et père de six enfants, habite dans le quartier Rimkiéta à Ouagadougou. Il possède une boîte à pharmacie où il conserve des médicaments pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois et parfois même des années.

Cette boîte contient du métronidazole, de l'amoxicilline, du paracétamol, des antitussifs et des antipaludéens. Il explique que lorsque l'un de ses enfants tombe malade, il l'emmène en consultation et des ordonnances lui sont prescrites. Une fois le traitement terminé, il conserve les médicaments restants et ces mêmes produits sont souvent réutilisés pour soigner d'autres enfants et membres de la famille.

Il raconte qu'un jour, son fils, âgé d'une dizaine d'années, souffrait de fortes coliques abdominales. En fouillant dans la boîte à pharmacie, il a trouvé un médicament contre les maux de ventre qui l'a soulagé. « Je me réjouis parce que généralement, les produits restants que je réutilise réussissent », affirme M. Kalmogo.

Marie Ouédraogo suit les mêmes pratiques que M. Kalmogo. Seulement, elle indique que lorsque des médicaments restent pendant une longue période, elle demande l'avis d'un professionnel de santé pour s'assurer qu'ils sont encore utilisables. Elle précise que des produits comme le paracétamol, le chlore, le métronidazole ou encore certains antibiotiques en comprimés, sont utilisés en fonction des besoins.

Par exemple, elle utilise le métronidazole et le cotrimoxazole pour les maux de ventre et l'amoxicilline pour traiter des symptômes comme le rhume, la toux ou certaines douleurs. Cependant, elle souligne qu'elle n'utilise pas le reste des antibiotiques liquides, comme les sirops.

Par contre les produits, tels que l'artefan ou l'aquatem, sont réutilisés, lorsqu'ils ne sont pas périmés, quitte à acheter des doses supplémentaires pour compléter le traitement si nécessaire. Elle confie que quand elle vivait en belle-famille, elle était considérée comme une « infirmière de circonstance », car sa boîte à pharmacie était toujours bien garnie de différents types de médicaments, au point qu'enfants et adultes tapaient à sa porte.

Pour des raisons diverses, de nombreuses personnes adoptent ces pratiques. Malik Ouédraogo, également père de famille réside à Pazani, dans la périphérie nord de la capitale burkinabè. Il réutilise des médicaments pour ses enfants, si toutefois ils ne sont pas périmés.

Les enfants, les premières victimes

Certaines personnes sont cependant sceptiques quant à cette pratique. Soucieux des conséquences possibles d'une mauvaise utilisation, elles s'abstiennent. C'est le cas de cette grand-mère, Rasmata Rouamba, qui ne s'hasarde pas à donner un produit pharmaceutique deux fois à son petit-fils. Lorsque des médicaments restent, elle s'en débarrasse rapidement pour ne pas les réutiliser un jour par mégarde. Elle justifie cette prudence par le risque de rechute qui pourrait aggraver la situation.

Selon elle, administrer un médicament sans connaître le poids ou l'âge du malade, peut entraîner une surdose et des complications. Elle souligne que les produits prescrits à l'hôpital sont destinés uniquement au malade concerné et qu'il n'est pas normal qu'une autre personne les utilise. Pour « mamy » Rouamba, prendre des médicaments sans consultation préalable est une mauvaise pratique qui comporte des risques graves, pouvant même entraîner la mort. Par précaution, elle conseille toujours de consulter un professionnel de santé, une démarche qu'elle considère comme plus prudente.

C'est aussi l'avis de l'attaché de santé, Amado Ouédraogo, qui condamne cette pratique. Il estime que garder les restes des médicaments dans les foyers favorise l'automédication, une habitude répandue mais risquée. Le Pr Fla Koueta, chef du service de pédiatrie du Centre hospitalier universitaire Yalgado-Ouédraogo (CHU-YO), par ailleurs pharmacien, soutient que plusieurs personnes consomment des médicaments sans consulter un professionnel de santé, surtout lorsqu'elles en ont déjà à leur disposition.

Selon lui, cette pratique peut entraîner des erreurs de dosage, des effets secondaires graves ou même l'aggravation de certaines maladies. Les enfants, en particulier, sont extrêmement vulnérables, car leur poids, leur âge et leur état de santé varient, foi du Pr Koueta. « Un médicament utilisé pour un enfant peut ne pas convenir à un autre, même si leurs symptômes paraissent similaires. En cas de persistance des symptômes, il est impératif de consulter un professionnel de santé pour obtenir un diagnostic et un traitement adaptés », avise-t-il.

Le Pr Koueta ajoute que chaque année, des cas d'intoxications accidentelles liés à l'ingestion de médicaments mal conservés, sont signalés dans les centres de santé. « Ces incidents pourraient être évités avec une gestion plus responsable des médicaments. Un médicament mal utilisé peut causer plus de mal que de bien, surtout chez les enfants. Soyons vigilants et confions-nous à des professionnels pour tout traitement, même pour des affections mineures », conseille-t-il.

Se faire diagnostiquer

Le Pr Fla Koueta notifie que les symptômes, bien que parfois similaires, peuvent correspondre à des maladies différentes, nécessitant des traitements adaptés. Et de poursuivre qu'il ne faut pas supposer qu'un médicament efficace dans le passé pour un mal donné conviendra à une nouvelle situation similaire. Aussi, il soutient que le diagnostic joue un rôle crucial en orientant la prescription, en répondant aux questions essentielles à savoir : quel médicament utiliser ?

A quelle dose et pour quelle durée ? Parmi les médicaments les plus fréquemment mal utilisés figure à son avis, le paracétamol, souvent administré en cas de fièvre ou de douleurs. Il alerte sur ses effets secondaires qu'une utilisation prolongée ou une surdose peut entraîner de graves dommages au foie. Il en va de même pour les antibiotiques, dont l'utilisation abusive contribue à l'émergence de résistances bactériennes, rendant plus difficile le traitement futur des infections graves.

« Les médicaments périmés ou mal conservés peuvent devenir inefficaces, voire dangereux », alerte le Pr Koueta. Il recommande donc de ne garder à domicile que des médicaments de base (par exemple, du paracétamol ou des antiseptiques), en suivant les conseils d'un professionnel de santé. Le spécialiste confie que pour des symptômes légers, comme une fièvre passagère ou une diarrhée sans complication, il peut être possible de donner un traitement symptomatique en attendant de consulter un médecin. Cependant, si les symptômes persistent au-delà de 48 heures ou s'aggravent, dit-il, il est impératif de se rendre dans un centre de santé.

Les conséquences de l'inefficacité des antibiotiques sont multiples, selon Fla Koueta. Il s'agit des maladies plus longues et plus difficiles à soigner, des complications de la maladie, des consultations médicales supplémentaires, une utilisation de médicaments plus puissants et plus chers pour arriver à soigner. Il évoque également les risques plus élevés lors d'interventions médicales, pour lesquelles les antibiotiques sont indispensables pour réduire les risques infectieux ainsi que les décès causés par des infections bactériennes jusqu'alors faciles à traiter.

Une menace environnementale silencieuse

Lorsque les restes de médicaments ne sont pas consommés au sein des familles, leur gestion devient problématique. En effet, chaque ménage s'efforce de se débarrasser de ces produits, souvent de manière inadéquate pour l'environnement. Marie Ouédraogo explique qu'elle trie régulièrement les médicaments périmés ou inutilisables, les emballe soigneusement avant de les jeter dans la poubelle, hors de portée des enfants.

Pour les sirops, elle veille à les diluer avant de les éliminer. De son côté, Rasmané Kalmogo indique que lorsque les médicaments de sa boîte à pharmacie sont périmés, il les brûle ou les jettent dans des poubelles éloignées, toujours hors de la portée des enfants. « Lorsque les médicaments restent trop longtemps, je ne les utilise plus, je les jette dans les toilettes », explique Malick Ouédraogo.

Selon l'ingénieur de recherche en eau et pollution et écotoxicologue spécialisé en pollution industrielle et environnementale, David Moyenga, les déchets médicaux peuvent avoir un impact considérable sur l'environnement en fonction des quantités rejetées et de l'efficacité des modes d'élimination. Il explique que les médicaments, conçus pour agir chimiquement sur des organismes vivants, peuvent, en cas d'élimination incomplète, libérer des résidus actifs dans la nature, contaminant l'eau, le sol et les écosystèmes.

M. Moyenga précise que les rejets environnementaux des médicaments peuvent provenir de systèmes de traitement inadaptés ou des populations qui jettent directement ces substances dans des poubelles, fosses septiques ou dépotoirs. « Dans ces cas, le médicament, souvent en totalité, se retrouve dans la nature, posant un risque écologique sérieux », affirme-t-il. Il souligne également que les patients qui consomment des médicaments peuvent en métaboliser une partie et rejeter les résidus actifs par l'urine ou les défécations.

« Environ 2 à 18 % des médicaments ingérés restent actifs dans l'organisme et sont éliminés dans l'environnement », explique-t-il. Des études ont révélé des concentrations élevées de résidus médicamenteux dans les eaux de surface, comme les rivières et les retenues d'eau, ainsi que dans les sols. Bien que le Burkina ne dispose pas de données précises, M. Moyenga estime que la consommation nationale pourrait atteindre plusieurs tonnes par an. Parmi les produits les plus problématiques, il cite les anti-inflammatoires et analgésiques tels que l'ibuprofène, le diclofénac et le paracétamol, ainsi que les antidépresseurs comme la carbamazépine et certains contraceptifs contenant des doses importantes d'oestrogènes.

« Ces substances peuvent se retrouver dans la nature, parfois même dans l'eau du robinet et provoquer des effets sur les écosystèmes », précise-t-il. Il renchérit que leur présence dans l'environnement peut entraîner des anomalies chez les espèces aquatiques, comme les poissons, les crevettes ou les moules, perturbant leurs systèmes hormonaux et reproductifs. « Certains poissons peuvent devenir exclusivement femelles, ce qui empêche leur reproduction et peut conduire à l'extinction locale de l'espèce », ajoute-t-il.

Agir au plus vite

Pour M. Moyenga, ces effets ne se limitent pas aux écosystèmes aquatiques. En effet, dit-il, la présence de résidus médicamenteux dans le sol peut perturber les microorganismes essentiels à la fertilité, réduisant les rendements agricoles et pouvant même conduire à la

« mort du sol ». Dans les zones agricoles, les résidus de médicaments peuvent contaminer les cultures maraîchères comme les salades ou les aubergines, entraînant des risques pour les consommateurs humains.

Un autre danger majeur pointé par l'expert est le développement de résistances antimicrobiennes. « Lorsque les antibiotiques se retrouvent dans l'environnement, ils favorisent l'émergence de germes résistants, rendant certains traitements inefficaces chez les personnes infectées », prévient-il. Ce phénomène est amplifié par l'exposition prolongée des bactéries aux substances actives dans les sols et les eaux usées.

Pour M. Moyenga, des actions concrètes sont indispensables. Il recommande d'équiper les hôpitaux et cliniques d'incinérateurs conformes aux normes et de systèmes de traitement des eaux usées. « Les établissements de santé doivent s'assurer que tous leurs effluents sont correctement traités avant d'être rejetés dans la nature », insiste-t-il. Parallèlement, il souligne l'importance de sensibiliser la population à ne pas jeter les médicaments usagés ou périmés dans les toilettes ou les poubelles.

« Des systèmes de collecte doivent être mis en place, où les ménages et les hôpitaux peuvent regrouper leurs déchets médicaux pour une élimination appropriée », propose-t-il. Enfin, M. Moyenga appelle à une politique nationale rigoureuse. « Il est crucial d'adopter des mesures réglementaires pour encadrer la gestion des déchets médicaux et de sensibiliser largement les populations via des médias, des théâtres forums et des conférences publiques », déclare-t-il. Il exhorte donc les autorités à prioriser cette problématique afin de protéger l'environnement et la santé.

Des chiffres inquiétants

Une étude sur l'évaluation des attitudes et pratiques sur l'élimination des médicaments non utilisés ou périmés par les ménages de la commune de Ouagadougou menée en septembre 2023 par Daniel Dori, Adama Guembre, Nicolas Meda et Rasmané Semde, révèle que l'ensemble des médicaments qui passe entre les mains des consommateurs n'est pas utilisé et certains arrivent souvent à expiration dans les ménages.

Elle précise que ces produits de santé peuvent être sources de risques accidentels et de pollution lorsqu'ils sont insuffisamment éliminés. Au Burkina Faso, il n'existe pas encore de directives d'élimination des médicaments non utilisés par les ménages. Il ressort de cette étude que sur un total de 417 enquêtés, 79,62% avaient des médicaments non utilisés et/ou périmés dans leur ménage. Des enquêtés, 43,41% gardaient leurs médicaments non utilisés à la maison jusqu'à péremption et 75,58% éliminaient les médicaments périmés en les jetant dans les ordures.

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