Porté au pouvoir le 10 novembre par une population révoltée contre la cherté de la vie et le pourrissement des institutions publiques d'un régime en décadence, l'Alliance du changement de Navin Ramgoolam a dû s'attaquer aux urgences du moment, une fois installée au pouvoir. Celle de redonner prioritairement l'espoir à une majorité de l'électorat qui lui a fait confiance avec une victoire écrasante de 60-0.
Le nouveau gouvernement a donc dû décider d'appliquer un certain nombre de mesures populistes, voire des promesses électorales, dans la première semaine suivant la prise du pouvoir. Or, le hic est qu'à la faveur d'un audit des finances publiques, la caisse de l'État s'est révélée être étrangement vide, une situation confirmée par le Premier ministre et ministre des Finances dans ses déclaration publiques plus d'une fois et au Parlement. Et sans compter dans la foulée l'héritage économique lourd légué par le ministre des Finances sortant, Renganaden Padayachy. Mais il y a eu pire, souligne Navin Ramgoolam : des statistiques «grossièrement maquillées, faussées et manipulées» par son prédécesseur pour donner un sentiment de fausse prospérité économique à un segment de la population.
The State of the Economy, document préparé par l'équipe économique du bureau du Premier ministre et présenté le 10 décembre au Parlement, relève ainsi des statistiques économiques manipulées sur au moins deux principaux indicateurs clés. A savoir, la croissance réelle du PIB surestimée à 7 % en septembre 2024 par le Statistics Office (SO) et révisée à la baisse aujourd'hui à 5,6 % ; et la croissance économique grossièrement exagérée par le ministère des Finances de Padayachy à 6,5 % pour l'année en cours et actualisée à 5,1%. Conséquence : un PIB au prix du marché ramené à Rs 698,5 milliards contre une estimation de Rs 734,8 milliards en septembre 2024.
Face à une gestion économique désastreuse, avec un déficit budgétaire plus élevé à hauteur de Rs 38 milliards, soit 5,7 % du PIB pour 2023-24 et qui pourrait atteindre jusqu'à 9 % du PIB, couplé avec une dette publique de 83,4 % du PIB (Rs 559 Mds) et des dettes de Rs 46 milliards contractées par au moins huit sociétés d'Etat, la marge de manoeuvre du nouveau gouvernement reste relativement étroite. Encore que ce soit le tip de l'iceberg en termes des squelettes à découvrir dans le placard de Renganaden Padayachy.
Du coup, le tandem Ramgoolam / Bérenger a dû limiter son offre de promesses électorales en proposant un package composé du paiement du 14e mois - un piège tendu par Pravind Jugnauth pendant la campagne - à seuls ceux touchant jusqu'à Rs 50 000 ; une baisse symbolique de Rs 5 sur les prix de l'essence et du diesel ; et une compensation salariale de Rs 610 aux employés des secteurs public et privé. Il faut compter au moins Rs 12 milliards uniquement pour le one-off 14-month bonus, dont Rs 1,2 milliard pour les fonctionnaires et employés des corps paraétatiques, à être payé en deux tranches. «Nous aurions aimé faire mieux mais malheureusement la bombe économique qui nous éclate au visage aujourd'hui ne nous le permet pas» semblent dire en choeur les nouveaux dirigeants du pays.
Mise devant la réalité des chiffres, la population doit aujourd'hui tempérer sa colère et se contenter d'une maigre hausse de son pouvoir d'achat, presque 5 %, selon les spécialistes de grandes surfaces, avec la réalisation partielle des promesses électorales annoncées durant la campagne. En s'appuyant sur l'héritage économique catastrophique laissé par le tandem Jugnauth / Padayachy pour justifier le package accordé aux économiquement faibles de la société et à certaines catégories d'employés, Navin Ramgoolam et son adjoint ont tenté de faire raisonner cette partie d'électorat. Ont-t-ils réussi ?
On le saura dans les jours et semaines à venir. Pour le moment, les consommateurs de toutes classes sociales confondues, qui ont souffert collectivement de la cherté de la vie depuis au moins cinq ans, veulent accorder une période de grâce aux nouveaux dirigeants. Et se gardent d'exprimer leur colère face à des mesurettes pour leur redonner du pouvoir d'achat, sachant qu'ils ont un mandat de cinq ans pour réaliser les grands chantiers tant sur le front économique, social, voire institutionnel.
BoM : bons signaux
À la Banque de Maurice (BoM), la nouvelle direction sait qu'elle doit envoyer de bons signaux pour rassurer les consommateurs, saignés à blanc de 2020 à 2024, avec une dépréciation délibérée et accélérée de la roupie, plus de 29 %, une moyenne de 5,3 % annuellement. Ce qui a entraîné une pression sur les prix d'importations d'une série de produits de consommation courante, couplée avec une inflation cumulée du même ordre.
Résultat des courses : une flambée de prix, allant de 10,8 % à 114,4 % d'octobre 2019 à octobre 2024, comme le document sur l'état de l'économie le rappelle à la page 14 en publiant une liste de ces produits. Ainsi, on remarquera que la boîte de Corned Beef aura connu la plus forte hausse, plus de 114 %, passant de Rs 82,95 en 2019 à Rs 175,71 en 2024, suivis de la lessive en poudre (+ 109%), le poulet congelé (+70%), les lentilles noires (+69°), le lait pour bébé (+69%) et le sel raffiné (+65%), entre autres. Sans doute, on peut comprendre les difficultés des ménages à joindre les deux bouts face à l'effritement de leur pouvoir d'achat. Car, malgré le paiement d'allocations couplé aux hausses régulières de la pension, les consommateurs ont été entraînés dans une illusion monétaire face à une politique monétaire qui aura davantage fragilisé leur situation financière avec une roupie en chute libre.
Depuis sa prise des fonctions le 15 novembre comme gouverneur de la banque centrale, Rama Sithanen s'est employé, avec ses deux adjoints, Rajeev Hasnah et Gérard Sanspeur, à rencontrer tous les stakeholders pour les écouter et agir en conséquence pour une nouvelle politique monétaire. La priorité, dit-il, est de stabiliser la roupie face au billet vert. D'ailleurs, depuis les dernières élections, elle n'a pas beaucoup glissé, gravitant autour d'un de taux de change oscillant entre Rs 46 à Rs 47. Certes, la victoire de Trump aux dernières élections américaines est venue renforcer le dollar, mettant plus de pression sur la valeur de la monnaie locale.
Le patron de la BoM Tower sait plus que d'autres que l'Alliance du changement a remporté les élections sur l'engagement de son leader à transformer la vie de la population. En même temps, Rama Sithanen se plait à répéter ces derniers jours qu'il n'y pas mille solutions. Il faut redonner confiance dans la roupie en éliminant ce «depreciation bias» fortement ancré chez les opérateurs et autres industriels. Pour cela, il compte jouer la carte de la transparence en communiquant tous azimuts avec les acteurs économiques et en prenant des mesures pour éliminer les distorsions qui freinent la bonne conduite du marché monétaire tout en s'assurant qu'elle s'aligne sur la politique fiscale du Trésor public.
Il va sans dire que la nouvelle équipe de direction à la BoM ne peut fixer un cap quant aux retombées de cette nouvelle politique qui pourra soulager les ménages avec une roupie stable en sus d'une baisse de prix sur des denrées de base avec l'élimination de la TVA, une des promesses électorales de la nouvelle alliance gouvernementale. Le ministre du Commerce et de la Protection des consommateurs, Michael Sik Yuen, travaille actuellement à trouver le bon équilibre, en sachant que face à la situation économique chaotique, chaque roupie compte et que la TVA représente une importante source des revenus fiscaux. Pour l'année 2024-25, cette taxe devrait rapporter à la caisse de la MRA Rs 65,6 milliards.
Toujours est-il que le ministre a identifié certains produits de première nécessité comme les pâtes, les céréales, le café, les légumes surgelés ou des conserves, tous frappés d'une TVA de 15 %, et discute actuellement avec le ministère des Finances pour décider de la meilleure option en vue de les rendre moins coûteux aux consommateurs, sans entraîner un déséquilibre dans les finances publiques. La décision que la STC les importe demeure envisageable, explique le ministre.
À la fin de la journée, les familles cherchent à faire baisser leur fardeau financier et à remplir leur caddie en cette fin d'année. Le «package» est certainement loin de leur espérance mais ils se consolent à l'idée que le meilleur est peut-être à venir avec le changement...