Chronique d'un choix pluriel. Depuis 1965, «l'express» célèbre les Mauriciens qui façonnent l'histoire, et cette année, notre choix s'est porté sur un retour marquant : Navin Ramgoolam, le «Roi Lion», qui rugit de nouveau et reprend les rênes du pays après deux K.-O. électoraux. Nous soulignons son come-back et sa résilience et nous l'attendons au tournant de ses promesses.
Saluons aussi la Mauritian Wildlife Foundation, gardienne de la biodiversité depuis 40 ans, tout comme la Commission électorale, dont l'intégrité a été consolidée sous la direction du commissaire électoral Irfan Rahman et de la présidente de l'Electoral Supervisory Commission et de l'Electoral Boundaries Commission Christine Sauzier. Chapeau également à Yovanni Philippe, premier médaillé mauricien à des Jeux paralympiques, qui nous a fait nous lever de nos canapés en criant : «Bravo Maurice !» pour sa consécration qui vaut de l'or
Il est des années où l'histoire semble suspendue, retenue dans le souffle des événements, et d'autres où elle se précipite, s'éparpille, éclate en mille éclats. L'année 2024 appartient à la seconde catégorie. Ses contours sont indociles, ses visages multiples. Elle refuse d'être enfermée dans un cadre trop étroit, comme ces rivières qui brisent leurs digues pour se répandre en mille chemins.
Depuis 1965, lorsque Maurice Paturau fut désigné Mauricien de l'année, l'express s'est donné la tâche délicate d'élever un visage parmi tant d'autres, d'extraire de la foule une figure qui résume, incarne, et parfois interroge. Ce rituel n'a rien d'innocent. Choisir, c'est aussi poser des questions. Qui mérite d'incarner nos rêves et nos déceptions ? Qui porte en lui l'écho des batailles menées et des victoires arrachées, parfois à grands frais ? Peut-on, dans une époque si fragmentée, résumer une année en un seul nom ?
Cette année encore, l'express a refusé la simplicité. Nous avons vu, dans ce kaléidoscope qu'est Maurice, plusieurs éclats, chacun éclairant une part de notre condition collective. D'abord, Navin Ramgoolam, pour ce retour politique qui a frappé les esprits et secoué les certitudes. Comme un boxeur sonné mais indomptable, il a traversé les défaites et les humiliations pour ressurgir au centre du ring, entouré d'une équipe disparate mais galvanisée. Son triomphe n'est pas seulement celui d'un parti ou d'une coalition ; c'est aussi le symbole de cette pulsion humaine qui refuse l'effacement.
Ramgoolam incarne une résilience politique et humaine, mais il porte aussi le poids des attentes démesurées. Il devra prouver que ce retour n'est pas une ultime illusion, mais une promesse tenue. Son défi, désormais, sera de transformer la victoire électorale en victoire sociale, économique et morale.
Mais il serait réducteur de résumer 2024 en une seule figure, si imposante soit-elle. C'est pourquoi l'express a choisi d'élargir son hommage. D'abord, à la Commission électorale, gardienne silencieuse et vigilante de notre démocratie, qui a prouvé, dans des circonstances tendues, que la transparence et la rigueur ne sont pas que des voeux pieux mais des réalités tangibles.
Ensuite, à la Mauritian Wildlife Foundation, dont l'oeuvre patiente et obstinée rappelle que protéger la nature, c'est aussi protéger notre humanité. À l'heure où les cyclones se font plus violents et les côtes reculent, ces gardiens du vivant tracent des sentiers de survie.
Enfin, à Yovanni Philippe, athlète dont la force et la discipline rappellent que l'excellence individuelle peut aussi être un miroir collectif. Dans ses exploits, nous retrouvons cette soif de dépassement qui murmure à chacun de nous qu'aucun sommet n'est hors de portée.
Ces choix ne sont pas arbitraires. Ils dessinent un archipel humain, où les îlots se répondent. Ramgoolam symbolise le retour et la reconstruction. La Commission électorale, la stabilité et l'intégrité. La Mauritius Wildlife Foundation, la lutte silencieuse et insistante pour la survie. Yovanni Philippe, la victoire du corps et de l'esprit.
En saluant ces visages, l'express rend hommage non seulement aux individus, mais aussi aux forces collectives qu'ils représentent. Car notre époque n'est pas celle des héros solitaires. Elle est celle des alliances, des engagements partagés, des luttes communes.
Faire un choix, c'est aussi dessiner un horizon. En désignant ces figures, nous affirmons que l'avenir de Maurice ne repose ni sur un homme providentiel, ni sur une institution isolée, mais sur la capacité de ses citoyens à tenir ensemble, à rapiécer les déchirures et à ouvrir des brèches dans l'obscurité.
L'année 2024 restera comme celle d'un tournant. Le triomphe de Ramgoolam est aussi celui des divisions qu'il devra apaiser. La vigilance de la Commission électorale rappelle que la démocratie est un édifice fragile, toujours à consolider. L'engagement des défenseurs de l'environnement souligne que l'avenir se joue aujourd'hui, dans les gestes les plus modestes. Et les exploits de nos sportifs rappellent que l'effort personnel nourrit les victoires collectives.
Ces choix, enfin, ne sont pas des réponses mais des questions ouvertes. Quelle île voulons-nous construire ? Quels rêves sommes-nous prêts à poursuivre ? Quelles luttes méritent d'être menées ?
En désignant ces figures, l'express tend un miroir à ses lecteurs. Le reflet qu'ils y verront dépendra, peut-être, de la manière dont ils choisiront eux-mêmes d'habiter ce monde.
L'avenir ne se laisse pas dicter. Il se sculpte, à la force des idées, des luttes et des gestes quotidiens. Ce que nous célébrons aujourd'hui, ce n'est pas la fin d'un voyage, mais l'appel à reprendre la marche. Plus loin. Plus haut. Et, surtout, ensemble.
56 ans après SSR
Quand nous lui avons dit qu'il succédait à son père qui était le Mauricien de l'année de «l'express» en 1968, Navin Ramgoolam s'est dit ému. Dans notre liste de Mauriciens de l'année, hormis SSR et Navin Ramgoolam, il y a trois autres politiciens : Harish Boodhoo en 1979, Rama Sithanen en 2006 et Ashok Subron en 2010 (alors pas encore ministre, ni un élu, mais syndicaliste et ardent défenseur du mauricianisme et adversaire acharné du Best Loser System). Les politiciens n'ont pas toujours montré l'exemple. C'est pour cela que «l'express» préfère éclairer les parcours, actes et discours des Mauriciens qui tendent à nous tirer vers le haut. Ce qui constitue un sacré contraste avec les esprits étriqués qui nous maintiennent en arrière, prisonniers des quatre cases bien trop étroites de la Constitution.
Saint-Exupéry décrit le mieux ceux qui deviennent le héros de leur propre vie : pour cela, nous devons préférer le danger à la sécurité, l'altruisme à l'égoïsme. Cet héroïsme-là, qui est en nous et qui surgit sans qu'on ne le sache, donne un sens à la vie. L'action épanouit la personne. Et c'est en accomplissant des actes dictés par notre conscience la plus profonde que nous devenons de meilleurs êtres humains.
Navin Ramgoolam : Un come-back des plus fulgurants
La défaite est une nuit longue et cruelle. Elle enseigne la patience, aiguise la mémoire et impose l'humilité. Mais pour certains, elle devient aussi un berceau. Navin Ramgoolam, après dix ans d'errance politique, est revenu tel un phénix, portant sur ses épaules les espoirs d'un peuple fracturé. Son triomphe, comme celui d'un Nixon ou d'un Lula, illustre cette capacité rare de transformer l'échec en tremplin.
Pour comprendre ce retour, il faut remonter aux heures les plus sombres. Les défaites de 2014 et 2019, les procès, les images d'un ancien Premier ministre traîné devant les tribunaux sous les regards moqueurs d'un pays désabusé. Ramgoolam a tout connu : la chute, l'humiliation, la solitude. À chaque convocation aux Casernes centrales, c'est tout un passé de pouvoir et de privilèges qui semblait s'effondrer. Mais il a tenu bon.
Ce qui frappe, c'est moins la victoire elle-même que la manière dont elle fut arrachée. Ramgoolam n'a pas seulement rassemblé son propre camp ; il a fédéré les fragments d'une opposition éclatée. Alliances improbables, compromis fragiles - il a appris, dans l'adversité, à manoeuvrer avec prudence. Le résultat ? Une victoire écrasante qui redessine le paysage politique.
Comme Nixon en 1968, Ramgoolam revient non pas malgré ses faiblesses, mais grâce à elles. Il porte les cicatrices de ses défaites comme des médailles. Son parcours inspire ceux qui ont perdu confiance dans les institutions, qui voient en lui un survivant, un homme qui a défié les pronostics et l'oubli.
Mais la victoire n'est jamais qu'un commencement. Ce retour au sommet s'accompagne d'attentes écrasantes. La crise économique guette, la confiance des électeurs vacille, et les divisions sociales persistent. Ramgoolam devra prouver que son come-back n'est pas un simple tour de force, mais le début d'une transformation profonde. Régner c'est bien, bien diriger c'est mieux. Il nous laissera un héritage : quel sera-t-il ?
Ce retour, pourtant, n'efface pas les ombres. Les accusations passées, bien que dissipées, restent comme des fantômes. Le scandale des coffres-forts plane encore, et le défi pour Ramgoolam sera de restaurer une crédibilité entamée. Il devra aussi prouver que les promesses faites dans l'ivresse de la victoire peuvent survivre à la dure réalité du pouvoir.
Le parallèle avec Trump est frappant. Comme l'ancien président américain, Ramgoolam a construit son retour sur un mélange d'adversité et de résilience. Mais il sait aussi que les projecteurs peuvent brûler. Son défi, désormais, est d'apprendre à gouverner dans la lumière, après avoir survécu à l'obscurité.
Pour ses partisans, il est déjà un symbole - celui d'une revanche contre un régime autoritaire. Pour ses détracteurs, il reste un homme de l'ancien monde, porteur des dérives d'une politique clientéliste. Qu'il soit l'un ou l'autre, Navin Ramgoolam ne laisse personne indifférent.
En le désignant Mauricien de l'année, l'express ne célèbre pas un homme parfait. Il reconnaît la force d'un survivant, d'un combattant qui incarne, malgré ses failles, la capacité de résilience dont Maurice aura besoin pour affronter les tempêtes à venir. Car si l'histoire nous enseigne une chose, c'est que le pouvoir n'est jamais donné. Il se reprend.
L'express en conversation avec le leader des rouges
Nous sommes en 2015. Navin Ramgoolam n'est plus Premier ministre depuis quelques mois. Il fait face à une politique revancharde du régime Jugnauth qui n'hésite pas à utiliser la police pour le malmener littéralement.
Un vendredi soir, en parfait gentleman, Navin Ramgoolam appelle la rédaction de l'express pour s'excuser de s'être trompé entre le «nous» et le «je» par rapport à un discours politique tenu à Sébastopol. «Je pensais sincèrement avoir dit 'nou for' au lieu de 'mo fort et c'est pour cela que j'ai tenu à rectifier votre titre. Mais en constatant que vous aviez l'enregistrement, j'ai réalisé que c'est moi qui me suis trompé. Et je dois donc vous présenter mes excuses», nous avait-il déclaré. Dès lors, le contact avec le leader des rouges n'a jamais cessé.
Agréablement surpris par son appel et sa bonne disposition, malgré les divergences entre notre rédaction et lui comme PM (surtout durant la période 2005-2014), on lui a dit que son appel téléphonique pour s'excuser était tout à son honneur... Pour dire le moins, c'est un Navin Ramgoolam métamorphosé (comparé à son attitude quand il était PM) qu'on a eu au bout du fil...Et on lui a promis de veiller sur lui comme nous le faisons pour tout citoyen dont les droits sont bafoués par les autorités. Depuis, notre communication avec Navin Ramgoolam n'a jamais cessé, même quand il était en traitement en Inde pour surmonter le Covid, entre septembre et octobre 2021.
Fast forward en 2024. Cette semaine Navin Ramgoolam n'a pas tari d'éloges sur les dames qui le soutiennent au PMO, dont Doreen Fong, Sandrine Valère et Martine Young. Il nous a aussi expliqué les pressions qu'essaie d'exercer le secrétaire d'Etat américain en par tance, Anthony Blinken, par rapport à l'accord sur les Chagos. «Je lui ai dit ce que je pense de l'accord signé par le précédent gouvernement mauricien et il a compris notre stand».
Avant qu'il ne revienne au pouvoir, l'express s'est aussi entretenu avec Navin Ramgoolam, ainsi que durant les jours suivant sa prestation de serment comme Premier ministre. Morceaux choisis des échanges que nous avons eus avec le leader du Parti travailliste...
(Avant la proclamation des résultats; il quitte l'école de Triolet pour aller s'entretenir au téléphone avec le PM indien, Narendra Modi, à Riverwalk. En route, Navin Ramgoolam s'entretient avec l'express) : Allô, ki manière ? (ton enjoué mais visiblement fatigué)
Felicitations, le tsunami s'avère, on dirait...
Oui, oui, je suis ému de voir toutes ces personnes sur la rue, aux abords des ronds-points, avec le drapeau national, qui scandent «changement». C'est un come-back politique comme on ne l'avait pas imaginé. C'est une véritable communion avec la population.
Quel est votre état d'esprit alors que les résultats ne sont pas encore proclamés chez vous au n°5 et partout ailleurs ?
Je dois prendre le temps de mesurer ce qui nous arrive vraiment. Comme vous le savez, j'ai dû faire preuve de résilience et ne pas me laisser abattre par les événements, qui se sont abattus sur moi depuis 2014. Ce come-back politique, dix ans plus tard, me rappelle celui de Richard Nixon, qui a su transformer ses défaites personnelles en succès ou encore celui de Lula da Silva au Brésil après avoir fait de la prison par rapport à des accusations de blanchiment d'argent...
Est-ce que le cas de Donald Trump, qui est revenu au-devant de la scène, vous parle également ?
Oui, en effet, Trump aussi a fait un come-back remarquable. Tout cela relève de la résilience, d'une force mentale à toute épreuve.
Allez-vous faire une conférence de presse, ce soir (lundi 11 novembre), pour savourer ce retour aux affaires ?
Non, pas ce soir. J'ai l'impression que la nuit sera longue. À Triolet, avec tous les candidats (Ndlr : il y en avait 146 sur le bulletin de vote), on va sûrement finir aux petites heures du matin. Et puis, nos partisans vont sûrement vouloir faire leur défilé de la victoire, surtout qu'on leur a dit de ne pas en faire jusqu'ici. Je dois dire que j'aimerais marquer une différence avec le régime sortant. On va respecter la Constitution et les institutions. On ne peut pas rencontrer la presse avant que les candidats ne soient déclarés élus...même si tout le monde sait qu'on va vers une large victoire...
Un autre 60-0 ?
Il semblerait que cela soit le cas mais laissons le décompte se poursuivre en toute sérénité.
Après la proclamation des résultats, Ramgoolam prête serment et redevient Premier ministre. Il échange à nouveau avec l'express.
Alors comme nouveau PM, qu'est-ce qui va orienter votre Prime ministership ?
(Avec gravitas), je vous assure que le respect de la Constitution et des institutions guidera mon mandat.
Le CP Dip est parti. Qui sera appelé à le remplacer ?
Je vais veiller à ce qu'il n'y ait aucune ingérence dans le choix de son remplaçant. Certains proposaient Mohunlall Madhow, ancien chef des renseignements. Mais je pense qu'on ira sur une option provisoire pour prendre le temps de finaliser notre choix et communiquer avec les autorités concernées. Ce serait peut-être Choolun Bhojoo, le plus ancien des policiers, pour garantir que les droits de personne ne soient piétinés.
Dans la soirée de jeudi. Nouvel échange avec Ramgoolam. L'express lui pose la question, qui est sur toutes les lèvres.
C'est confirmé pour Choolun Bhojoo comme CP temporaire ? Combien de temps sera-t-il en poste ?
On vient de discuter. Il y a trop d'unités rivales au sein de la police. On ne sait plus à qui faire confiance. Pourtant, il nous faut avancer et trouver quelqu'un avec qui on peut travailler, dans la confiance et avec rigueur. On a pensé à Rampersad Sooroojebally, l'ex-Deputy Commissioner of Police.
Quelle a été sa réaction ?
Vous seriez étonnés mais il ne voulait pas du poste. On a eu à le convaincre...
Et par rapport à Me Gavin Glover, qui sera Attorney General, ne craignez-vous pas un conflit d'intérêts vu qu'il est votre avocat, Leading counsel de surcroît....
C'est clair qu'il ne pourra pas être mon avocat en même temps. C'est pour cela qu'il a demandé du temps afin de transférer les dossiers à ses confrères. Il sera en poste à la fin du mois. Nous avons de la chance de l'avoir à nos côtés alors que nous voulons changer pas mal de choses....
Et la liste des ministres ?
C'est compliqué parce qu'on n'a pas pu plaire à tout le monde, comme Bérenger l'a dit. ll y a et aura pas mal de lobbies mais on ne va pas se laisser influencer...