Ile Maurice: «Un des moyens de valoriser le loyer des Chagos est son potentiel dans l'économie bleue»

29 Décembre 2024

Il est à la tête du ministère qui devra oeuvrer pour la sécurité alimentaire. Dans son entretien avec l'express, Arvin Boolell revient sur les grandes lignes de ses projets, sa vision d'une agriculture nouvelle et le jeu d'équilibriste du gouvernement pour avancer avec des caisses vides...

Vous êtes à la tête d'un gros ministère, mais les caisses sont vides. Comment prévoyez-vous de travailler dans un tel contexte ?

Nous sommes en urgence économique. Nous devons donc nous réinventer et être dans le bon état d'esprit. Notre politique nous oblige à penser au niveau global et à agir au niveau local. We campaigned in poetry and we now govern in prose. Désormais, nous devons faire face à la réalité sociale et économique. Le gouvernement sortant a berné la population. Il a fait miroiter des rêves basés sur des mensonges. D'ailleurs, je tiens à saluer ces économistes qui n'ont cessé de tirer la sonnette d'alarme.

Un ministre des Finances, indigne de ce titre, avait falsifié les chiffres. Le gouverneur de la BoM et ses adjoints ont parlé des malversations de la MIC. Le décaissement des sommes aux proches du pouvoir est un scandale sans précédent. Le commissaire de police obéissait au doigt et à l'oeil au Premier ministre, qui avait lui-même une mainmise totale sur la gestion du pays car il pensait qu'il était propriétaire, et non locataire, du gouvernement. Le nouveau gouvernement ne pouvait que prendre des décisions économiquement fortes et socialement acceptables.

Maintenant, penchons-nous sur ce que les économistes ont dit. Il y avait une totale opacité autour du budget, de la dette publique, de la balance de paiements, entre autres. La première chose qui a été dit est que la Banque centrale doit être indépendante sur sa politique monétaire, et le gouvernement s'occupe de la politique fiscale. La séparation de pouvoir entre les institutions doit être claire. Avec tout cela, la Banque centrale devra décider ce qu'elle fera concernant le taux d'intérêt.

C'est un tableau bien noir que vous brossez...

Les chiffres ont été falsifiés. On a tendance à prendre pour argent comptant qu'un gouvernement doit fournir des chiffres corrects aux agences comme Moody's, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. C'est maintenant que nous le découvrons. Notre credit rating a chuté. Vous allez me dire que même les États-Unis et la France ont été dégradés. La différence est que nous n'avons pas de fonds souverain. Nous ne sommes pas comme Singapour, qui peut se permettre une grosse dette, mais qui a un fonds souverain conséquent. Maintenant, il faut aussi s'assurer que les agences de notation de crédit ne nous dégradent pas au junk status.

En termes simples, cela veut dire quoi ?

Laissez-moi expliquer clairement. Si un cyclone démolit ma maison, je peux reconstruire si j'ai une réserve en banque. Mais nous n'en avons pas. C'est pour cela que nous devons redresser la situation. Si nous tombons au junk status, c'est tout le secteur du Global Business qui se volatilise. Qui viendra investir dans un pays, dont la monnaie est souvent dépréciée et avec un junk status ? C'est tout un secteur qui est en péril, et cela aura un effet domino sur les autres.

Je le redis, c'était un gouvernement véreux, malhonnête qui a surfé sur les fausses nouvelles, la fraude et la corruption. Mais tout cela va changer. Le discours présidentiel enverra un signal fort. Nous avons parlé de la Fiscal Responsibility Act, le système d'éducation sera revu car one size does not fit all. Ce sera un literacy programme qui sera en place.

** Pourrez-vous prendre des mesures sociales sans augmenter les dépenses et sans aller vers l'austérité ?**

C'est cette balance que nous devons trouver. Prenons l'exemple du Special Allowance. Nous sommes un gouvernement fraîchement élu, nous aurions pu être populiste et donner à tout le monde, mais nous étions à un moment où il fallait agir responsablement. Les pensionnés, veuves, retraités, handicapés n'ont pas été abandonnés. Il fallait aussi un cut-off point. Nous avons fait appel à l'esprit de sacrifice. Désormais, il faut réajuster notre économie et apporter des changements structurels pendant les cinq prochaines années.

Concrètement, comment cela va se traduire en actions ?

Prenons l'alimentation. Nous sommes appelés à produire mieux et davantage. La facture de nos importations doit baisser dans les 10 prochaines années. Aujourd'hui, elle dépasse Rs 55 milliards. Il faut donc manger ce que nous produisons et produire ce que nous mangeons. Donc, il faudra repenser l'agriculture. Il faut des zones agricoles spéciales. Une des choses que les compagnies sucrières ont faites est de se lancer dans la spéculation foncière.

J'ai dit à ceux qui feront des demandes de conversion de terres agricoles qu'ils devront, en contrepartie, mettre des terres sous cultures vivrières. Il n'y a pas à sortir de là. Deuxième chose, il faut moderniser l'agriculture en la valorisant et en développant une culture agricole. Cela passe par l'éducation et le collège de ce ministère en sera partie prenante. Il faut se tourner vers l'agriculture sous les panneaux solaires ou encore, l'agriculture verticale.

Puis, nous voulons aussi que l'océan devienne un secteur porteur de l'économie. La mer est un monde en soi, surtout que nous avons une surface de 2,4 millions de km2 . Il y a un potentiel de recherche en termes de produits pétroliers sur le plateau continental avec les Seychelles, dans la pharmacologie, la biotechnologie ou les matériaux rares. J'ai mis des personnes extrêmement compétentes pour redynamiser ce secteur. Ce que nous n'avons pas sur terre, nous l'avons dans la mer. En même temps, il faut développer les ports de pêche et le marché à la criée.

Il faudra des chercheurs, et c'est là que la diaspora entre en jeu. Il faut que les politiciens et les chercheurs travaillent ensemble car si j'ai une idée, il faut qu'elle soit développée par la recherche. Il faut penser à la propriété intellectuelle. C'est toute une chaîne à développer. N'oublions pas le territoire maritime des Chagos aussi, car un des moyens de valoriser le loyer, c'est justement son potentiel dans l'économie bleue.

Vous parlez de réduire la note de l'importation alimentaire, mais nous avons récemment eu des pénuries de denrées produites localement. Quel est le plan à court terme ?

Je ne vends pas de rêves. Comme je l'ai dit, il faut repenser le secteur. Qu'est-ce que je n'ai pas fait pour l'élevage de bovins ? J'avais donné des terrains, j'avais autorisé l'importation d'Australie. Vous savez ce qui s'est passé ? Notre sol et notre herbe n'étaient pas adaptés. Dans ce cas, il faut se tourner vers l'agriculture transfrontalière. Il faut se demander si ce ne sera pas plus facile d'importer, par exemple, de la viande de zébu de Madagascar.

Et je réitère qu'il faut un équilibre entre le développement foncier et l'agriculture. Selon un rapport de la FAO, les meilleurs terres agricoles sont à Moka et Côte-d'Or. Ces terres ont été valorisées pour l'immobilier. En faisant des zones agricoles spéciales dont je vous ai parlé, nous pourrons diminuer nos coûts. Il est inacceptable que nous produisions que 12 000 tonnes de pomme de terre. Il faut arriver à 25 000 tonnes. Le fonctionnement de l'Agricultural Marketing Board doit être revu.

Quant aux planteurs de canne, il faut leur donner leur dû. La canne à sucre est l'un des meilleurs absorbeurs de carbone. On a dit qu'ils auront Rs 35 000 par tonne. Mais cela ne s'arrête pas au sucre. Par exemple, il y a une variété de canne riche en fibres qui tient les terres sur les pentes, mais contient moins de sucrose. Ces planteurs doivent avoir une prime environnementale.

Toujours dans la logique d'une politique rationnelle et soutenable, j'ai exprimé le souhait que les pêcheurs deviennent semi-industriels et sortent des lagons. Il faut développer l'aquaculture. Savez-vous que nous importons 20 000 tonnes de poisson, dont certains sont d'eau douce ? On peut en produire ici. Vous noterez que la sécurité alimentaire ne peut pas être dissociée de l'agriculture et de la mer. Lorsque Winston Churchill répondait à une question justement à ce sujet, il avait dit qu'on ne peut pas séparer le «fish» des «chips». Notre politique est basée dessus.

Vous avez évoqué les Chagos et son loyer. Les négociations se portent sur quoi au juste ?

N'oublions pas qu'en 2010, nous avions référé cette affaire au Tribunal de la mer, et le jugement avait consolidé davantage notre souveraineté. Il y a aussi eu l'affaire devant la Cour internationale de justice. C'est une opinion, mais qui est quasi-légal avec une portée internationale. Aujourd'hui, lorsque les Anglais avaient avancé une somme, l'ancien régime avait accepté.

Mais Navin Ramgoolam a dit non et a parlé du potentiel de la mer. Si ce potentiel est comptabilisé, le loyer devient immense. Il faut aussi se rappeler qu'il n'y avait pas de deal, mais simplement une déclaration avant les élections, ils ont fait miroiter des milliards au public. La réalité est creuse : Pravind Jugnauth a demandé peanuts. Il a joué la carte politique politicaille. Mais nous faisons confiance à Navin Ramgoolam, au Deputy Prime minister et à l'équipe légale, dont font partie Mes Dhiren Dabee, Philip Sands et Milan Meetarbhan.

Vous aviez parlé de développer la recherche. Mais avec le «brain-drain», comment allez-vous procéder ?

On va transformer le brain-drain en brain-gain avec le climat de confiance. À Maurice, la qualité de vie est correcte, mais les gens sont découragés. Lorsqu'on voit ce qui a été fait sous l'ancien régime, on comprend pourquoi des jeunes sont partis. Il y avait une différence entre ce qui était dit et ce qui était fait. Des mesures ont été prises pour sortir des listes grise et noire, mais peuton dire que la FSC était bien gérée ? Il y a eu le scandale Silverbank sur laquelle on m'avait empêché de poser des questions. Il n'y avait pas de transparence, il n'y a eu aucune création de nouveaux secteurs.

Pour retenir les jeunes et créer des nouveaux secteurs, il faut de l'argent. Or, il n'y en a pas. Quel est le plan ?

Je crois fermement dans le partenariat public-privé. L'attrait de Maurice est la confiance. C'est ce qui attire les investisseurs. Pas le taux de taxation. Personne ne viendra investir s'il n'y a pas de prévisibilité. Il faut que tout le monde soit partie prenante, que ce soit la société civile ou les syndicalistes. De toute façon, il y a des recherches, comme sur les singes, qui se font déjà à Maurice. Il faut donc du capacity building dessus.

Vous aviez pourtant un plan pour diminuer l'exportation des singes...

Avec les recherches à Maurice, l'exportation va automatiquement diminuer. D'ailleurs, j'ai empêché des exportations malgré des réactions intempestives de certains. Ce sont des secteurs qui font des profits immenses, il faudra donc des impôts sur ces profits. Il faut aussi que ces compagnies réinvestissent dans la conservation. C'est tout un framework à mettre en place et n'oublions pas que la science est en constante évolution. L'intelligence artificielle aide les recherches. Nous n'en sommes pas encore là, mais il faut considérer cela.

Et le bien-être des animaux dans tout cela ?

Il faut tout d'abord instaurer une culture du bien-être des animaux. On ne peut plus avoir des chiens émaciés qui mangent d'autres chiens émaciés. Un comité, dirigée par Gaelle Glover, travaille sur cela. Nous viendrons ensuite avec une série de restructurations dans ce domaine. Il faut une instance reconnue à l'international pour avoir le soutien d'autres organisations et un board composé de personnes compétentes qui comprennent ce que veut dire le bien-être des animaux. Il faut redéfinir comment capturer les animaux. Ici, il y a des débats auxquels nous ne pouvons pas échapper.

Peut-on utiliser des pistolets pour anesthésier les chiens ? Toujours est-il que la stérilisation en masse est importante et se poursuivra. Un gros problème reste le manque de vétérinaires. Notre programme comprend aussi un hôpital pour les animaux. L'idée avait été émise par Navin Ramgoolam en 2013, mais ensuite nous avons perdu les élections. Un terrain avait déjà été identifié et Carl Ah-Teck allait donner un coup de main. Malheureusement, il n'est plus parmi nous mais ce projet va de l'avant.

Une dernière question sur la politique. Votre analyse des résultats des élections ?

C'était inévitable. Les jeunes se sont mobilisés lorsque l'accès à l'internet a été coupé. La population s'est unie contre un exécutif, qui avait une mainmise totale sur tout. D'ailleurs, mon collègue ministre des TIC est venu de l'avant pour mettre fin au stockage des données des cartes SIM. L'État policier est en train d'être détruit.

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