Sénégal: Installation de la haute cour de justice - La traque en marche

30 Décembre 2024

La Haute Cour de Justice, qui a fait l'objet de débats pendant la campagne des législatives anticipées de novembre faisait débat depuis des mois, a été installée samedi dernier, comme le prévoit le Règlement intérieur de l'Assemblée nationale. Si d'aucuns y voient déjà un outil de règlement de comptes, le Premier ministre Ousmane Sonko a informé qu'elle est un moyen de vérifier la gestion « nébuleuse » couvrant la période 2021-2024, des anciens ministres, directeurs généraux et autres administrateurs de fonds publics, du régime déchu du Président Macky Sall.

« L'Histoire ne se répète pas, elle bégaie », a-t-on fait dire à Karl Marx. Au lendemain de la deuxième alternance survenue au Sénégal, dans une euphorie incontrôlée, le président de la République Macky Sall avait dépoussiéré la très contestée Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI) tombée presque en désuétude. Il s'en suivi par la traque des biens supposés mal acquis ayant débouché sur la condamnation de Karim Meissa Wade à six ans de prison ferme et 138 milliards de francs CFA d'amende pour enrichissement illicite.

La suite est connue de tous. Le fils de Me Abdoulaye Wade sera gracie et exile nuitamment à Doha suite un autre protocole de Rebeuss qui reste encore une grosse nébuleuse.

Ce samedi, c'est une autre traque qui semble en marche contre les tenants du régime de Macky Sall avec l'installation de la Haute Cour de Justice par 140 députés.

Cette juridiction, rarement sollicitée depuis l'indépendance, a été officiellement installée pour mettre en lumière les 80 morts identifiés lors des évènements de mars 2021 et de juin 2023, les présumés détournements de fonds liés à la gestion de la covid-19 et autres irrégularités, ainsi que le bradage supposé du patrimoine bâti et foncier et la dilapidation supposée des ressources naturelles.

Notons que, pour la première fois de son histoire, cette Haute Cour de Justice pourrait être amenée à juger un ancien président de la République, en la personne de Macky Sall. Une perspective qui a soulevé de nombreuses questions sur le fonctionnement, la légitimité et l'indépendance de cette juridiction. En effet, bien avant l'annonce officielle, des voix autorisées s'étaient déjà élevées au sein du nouveau gouvernement pour menacer l'ex-chef d'État de poursuites, parmi lesquelles celle de son ancienne alliée Aminata Touré, qui soutient mordicus que l'ex-chef de l'État devrait comparaître devant la Haute Cour de Justice pour répondre de ses actes.

« Il est le principal responsable des événements qui ont coûté la vie à des Sénégalais lorsqu'il a tenté de reporter l'élection présidentielle. Rien que pour cela, il devrait être poursuivi par la Haute Cour de Justice », a-t-elle déclaré dans un entretien exclusif avec Le Soleil Digital.

Abondant dans le même sens, le responsable pastefien et non moins directeur général de la Caisse de Dépôt et Consignations, Fadilou Keïta, avait implicitement pointé du doigt la culpabilité du président sortant Macky Sall, tant du point de vue des morts enregistrés que des délits financiers et fonciers : « On a les moyens de lui faire payer ; on va lui faire payer ! Il a fait des choses extrêmement graves, qui sont là. La documentation est là. Les personnes avec lesquelles il dealait sont là. Les gens qu'il a pu sacrifier sont là ; et ce sont des gens qui vont témoigner contre lui, ce sont des gens qui vont sortir des documents probants contre lui ! », avait-il déclaré sur une chaîne de télévision locale.

Cependant, de telles accusations soulèvent la question cruciale de la définition de la « haute trahison », seul motif pour lequel un président peut être jugé, selon l'article 101 de la Constitution.

Alors, peut-on réellement juger l'ancien chef de l'État ? « On ne peut pas juger Macky Sall pour des actes qu'il aurait commis à l'occasion de l'exercice de ses fonctions », a répondu l'ex-ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall. « Le président de la République bénéficie d'un principe d'irresponsabilité », a ajouté le constitutionnaliste, invité le 3 novembre dernier à l'émission Grand Jury de la RFM. « La responsabilité ne peut être exceptionnellement envisagée qu'en cas de haute trahison », a-t-il précisé. « Cela signifie qu'il faut des faits considérés comme constitutifs de haute trahison. Il faut qu'il y ait une instruction qui confirme que ces faits sont constitutifs de haute trahison », a détaillé le professeur de droit public.

De son côté, l'enseignant-chercheur Mouhamadou Ngouda Mboup, de l'Université Cheikh-Anta-Diop, a tenu à apporter un éclairage dans un article consacré au sujet par le magazine Jeune Afrique. Selon lui, « ni la Constitution ni la loi organique sur la Haute Cour de Justice ne la définissent précisément. Autrement dit, il reviendra aux députés de le faire ». Il ajoute qu'« un mensonge d'État pourrait s'avérer constitutif de haute trahison, en l'occurrence la falsification du taux d'endettement ou du niveau du PIB ».

Les 16 membres installés

L'Assemblée nationale a procédé, samedi, à l'élection et à l'installation des seize membres titulaires et suppléants de la Haute Cour de Justice.

À la suite de leur désignation par les députés à une écrasante majorité (140 votes favorables, 4 abstentions et 2 votes négatifs), les nouveaux membres de cette juridiction ont, comme le veut la tradition, prêté serment. La Haute Cour de Justice, régie par la Constitution et la loi organique n° 2002-10 du 22 février 2002, est composée de membres titulaires et d'autant de suppléants élus par l'Assemblée nationale. Cette juridiction est présidée par le Premier président de la Cour suprême, assisté de son suppléant, le président de la Chambre pénale de la Cour suprême.

Le ministère public y est représenté par le procureur général près la Cour suprême, avec pour suppléant le Premier avocat général. Liste des députés membres de la Haute Cour de Justice : Alioune Ndao ; Ramatoulaye Bodian ; Yougar Dione ; Amadou Ba (n°2) ; Rokhy Ndiaye ; Mohamed Ayib Daffe ; Daba Wagne ; Abdou Mbow ; Samba Dang ; Oulimata Sidibé ; El Hadji Tambédou ; Fatou Diop Cissé ; Mouramani Diakité ; Marie-Hélène Diouf ; Mayaba Mbaye ; Fatou Sow.

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