Produire et récolter tout au long de l'année du maïs, du gombo, de la tomate, des arachides, du haricot et du piment, dans un espace réduit et sur un sol jadis aride. C'est le pari que le Centre africain et de recherche en synécoculture a réussi à relever dans les champs écoles des centres de formation professionnelle de Gampèla et de Somgandé à Ouagadougou. Cet exploit est rendu possible grâce à la synécoculture, cette technique japonaise fondée sur les interactions naturelles entre les plantes alliant rendements élevés et cultures bio.
Il n'est que 9 h en cette matinée du 24 septembre 2024 au Centre d'éducation et de formation professionnelle de Gampèla. Mais déjà, une ambiance particulière règne derrière les bâtiments. Les apprenants sont très occupés sous la supervision de leurs encadreurs. C'est la première grande récolte d'arachide du champ école de synécoculture implanté par le Centre africain et de recherche en synécoculture (CARFS).
Au milieu du terrain vague, se dresse un jardin avec un foisonnement de cultures. Entre les pieds de maïs, de tomates et de sésame, les plus petits apprenants avancent en position courbé, le regard au sol afin de repérer et arracher chaque pied d'arachide. Les plus grands, eux, sont occupés à ramasser les tas d'arachide ainsi récoltée, qu'ils convoient avec dextérité dans l'espace dégagé, tout en faisant attention à ne pas piétiner les autres cultures.
Un autre groupe s'attèle à charger la récolte dans les brouettes pour la mettre « en lieu sûr ». Quant aux encadreurs, ils doivent surveiller tout ce beau monde. C'est pourquoi, de temps à autre, ils interpellent les « petits agriculteurs » qui sont
plus occupés à remplir leurs poches d'arachides fraiches, qu'à participer au travail collectif. Le regard brillant de fierté, Bastalé Dawèga, le représentant du CARFS au Burkina ne cache sa satisfaction.
« C'est un sentiment du devoir accompli qui m'anime ce matin, environ six mois après le début de l'aménagement de ce champ-école, grâce à
un financement de l'ambassade du Japon au Burkina », laisse-t-il entendre. Sa joie est d'autant plus grande, poursuit-il, que l'enthousiasme des enfants est, selon lui, la garantie qu'ils vont participer activement à la prochaine saison de production. Toute chose qui montre que le CARFS a contribué à enseigner la synécoculture à la jeune génération.
Et pour cause, grâce à la synécoculture, on récolte et on sème tout au long de l'année. « Si on nous avait dit que l'on allait produire en 2024 du maïs et des arachides sur ce terrain nu
dans l'enceinte du centre, nous n'allions pas croire », avoue le directeur du Centre d'éducation et de formation professionnelle de Gampèla, Lota koura. Celui qui se disait dubitatif au lancement du projet estime aujourd'hui que le miracle s'est produit.
« Ce champ est la preuve qu'une petite idée peut faire toute la différence, si elle est mise en oeuvre. Grâce au champ de synécoculture, nous avons un double gain. Non seulement les enfants apprennent comment produire sur un sol aride mais également, ils vont consommer les aliments issus de cette production », se réjouit-il.
Prioriserles semences à cycle court
Thimothée Lompo, technicien en agriculture est l'un des artisans de cette prouesse. Pour lui, la recette est simple : copier la nature. « Le terrain de Gampèla est granuleux et incliné à tel point que même l'herbe n'y poussait pas. Nous avons commencé par fabriquer le compost qui a permis de nourrir la terre. Nous avons utilisé aussi le Bokashi, et d'autres techniques de récupération des terres dégradées telles que les demi lunes pour conserver l'eau », explique-t-il. La 2e étape, à écouter le technicien, a consisté au choix minutieux des semences à cycle court.
« Comme nous avons le forage, nous avons semé dès fin mars 2024 et nous avons arrosé les plants. Nous avons commencé par le maïs, une plante qui monte, à laquelle nous avons associé de la patate qui est une plante grimpante sur des buttes. Sur une autre portion, après avoir semé l'arachide, nous avons ajouté des pieds de tomates et piment. Du niébé a été emblavé sur chacun de ces carrés », détaille-t-il.
A la lumière des explications de Timothée Lompo, la synécoculture casse plusieurs codes de l'agriculture telle qu'elle est généralement pratiquée au Burkina Faso. Des innovations que
le directeur exécutif du CARFS, André Tindano, présente clairement. « La synécoculture est une technique d'origine japonaise conceptualisée en 2010 par Masatoshi Funabashi, chercheur à Sony Computer Science Laboratories du Japon », dit-il pour camper l'origine de cette technique assez nouvelle.
Selon M. Tindano le principe de base de cette technique est la polyculture. Il s'agit d'associer diverses espèces végétales sur un espace agricole dans le but de favoriser les interactions symbiotiques entre ces espèces pour une production alimentaire quantitative et qualitative. « La synécoculture est pratiquée sans un seul produit chimique. Le producteur s'appuie uniquement sur les symbioses entre les plantes et les propriétés intrinsèques des espèces cultivées », ajoute-t-il.
A titre d'exemple, explique-t-il, les légumineuses (haricot, arachides, etc...) contribuent à la fertilité des sols au profit des graminées (maïs, sorgho, etc.). « Les plantes aromatiques comme l'oignon et l'ail repoussent les insectes et protègent ainsi la tomate », souligne celui-là même qui a introduit pour la première fois la synécoculture au Burkina.
« Ne serait-ce que pour préserver notre santé ... »
Le technicien en agriculture, Timothée Lompo, rappelle fort à propos que l'azote est l'une des trois composantes de l'engrais NPK couramment utilisé pour booster la production. « Tout le monde a pris conscience que les engrais nous rendent malades mais pourquoi ne pas changer nos modes de production ? », interroge-t-il. Pour lui, le succès des
jardins expérimentaux mis en place par le CARFS est bien la preuve que certaines concessions sont nécessaires pour faire des productions bio. « Ne serait-ce que pour préserver notre santé et avoir des produits de meilleur goût », insiste-t-il.
Pour le professeur Joseph Honoré Nguetti, spécialiste en sécurité sanitaire des aliments et enseignant- chercheur à l'université Yaoundé 1, joint par mail, la synécoculture offre une nouvelle alternative à l'humanité pour mettre fin à la famine sans compromettre sa santé à travers les effets pervers des engrais. « Il ne saurait avoir de paix ni de développement dans le monde car l'alimentation au sens général est la base de la santé et la santé est à la base du développement », prévient-il.
Lorsque la science a proposé les engrais, rappelle-t-il, l'homme, le politique, les gouvernements et les organisations internationales ont cru pouvoir résoudre de façon systématique, l'épineux problème de la famine dans le monde. Mais avec le temps, souligne le spécialiste, l'homme a commencé à expérimenter la montée de certaines maladies non transmissibles telles que les cancers qui n'étaient pas très répandus bien avant l'utilisation des engrais synthétiques.
« Ainsi, par de nombreuses recherches qui ont été faites, les engrais se sont retrouvés impliqués dans le développement de ces nouvelles maladies au travers par exemple de la pollution des sols et sous-sols et des nappes phréatiques. D'autres études ont par exemple montré que le cadmium des engrais est parfois trouvé dans
les aliments des consommateurs », explique M. Nguetti.
Selon lui, au Burkina tout comme dans les autres pays africains, la synécoculture participe à la mise en place d'un système alimentaire durable dans lequel l'homme couvre permanemment ses besoins alimentaires en tout lieu et en tout temps sans connaitre d'interruption et des épisodes de famine. « Le Burkina Faso qui a un climat tropical de type soudano sahélien a besoin d'adopter une technique culturale qui va protéger son sol et par conséquent son environnement naturel et favoriser la résilience tant espérée dans les pays africains », estime-t-il.
Et d'ajouter que la synécoculture contribuera à protéger les sols, à produire des aliments biologiques et donc sains pour le consommateur, tout en rebâtissant l'écosystème détruit par les techniques agricoles modernes. « Cette pratique ne détruit pas. Mais elle met ensemble différentes espèces et la terre procède à une distribution sans discrimination de sexe, ethnie, tribu, nationalité et race telle que nous le vivons dans tout ce qui est synthétique. La synécoculture réarrange l'ordre naturel perdu et ramène la terre et la santé des hommes telles que définies à l'origine, lorsque Dieu observa sa création », foi de M. Nguetti.
Egalement en termes d'avantages pour les producteurs burkinabè, André Tindano soutient que la technique augmente considérablement la productivité tout en restaurant la biodiversité. En effet, fait-il remarquer, la synécoculture permet aux producteurs d'avoir des récoltes sur toute l'année grâce aux nouvelles espèces introduites dans un champ en pleine production. « Elle contribue également à augmenter les revenus des agriculteurs car, ils n'auront plus besoin d'une main d'oeuvre pour défricher, ni investir dans l'achat des engrais et pesticides pour protéger les plantes. Les agriculteurs auront simplement besoin d'eau pour l'irrigation et des plantes pour semer », ajoute-t-il.
Obtenir des financements climatiques
Pour André Tindano, la synécoculture offre une nouvelle opportunité au Burkina de capter les financements climatiques sur le marché du carbone. « Grâce à la production permanente, la synécoculture contribue à la création d'un puits de carbone. De ce fait, avec l'appui de l'Etat burkinabè, nos agriculteurs peuvent bénéficier du système de financement climatique. Sur le marché du carbone, 3 000 km² de synécoculture permet de générer 5 millions d'euros par an », précise-t-il. Pour lui, la synécoculture est une excellente option pour le développement de l'agriculture burkinabè, car elle demande moins d'investissement et est très rentable à long terme. « Aussi, la diversification de la production permet aux producteurs d'enrichir leur alimentation », soutient-il.
Pour bénéficier des différents avantages de cette technique, André Tindano invite les agriculteurs à tenir compte des trois piliers de la synécoculture. Il s'agit de la diversité qui
commande d'introduire le maximum d'espèces sans compromettre la productivité, car « la biodiversité, c'est la vie ». La deuxième consigne est que l'espace doit être rempli au maximum. « Ce principe convient très bien à la situation actuelle du Burkina où de nombreux agriculteurs ont dû fuir leurs champs avec comme corollaire la réduction des surfaces cultivables alors que les besoins ne font qu'augmenter », estime M. Tindano.
Enfin, le président de l'ONG CARFS encourage ceux qui souhaitent pratiquer la synécoculture à ne pas prendre de risques inconsidérés. « Il faut opter pour une diversification progressive pour profiter de tous les bienfaits de la synécoculture », insiste-t-il. Pour assurer la continuité de la production, la présence d'un forage est une condition indispensable pour la réussite de cette technique, afin d'arroser les plantes à tout moment, prévient-il.
Des résultats probants dans d'autres pays
Le Centre africain de recherche et de formation en synécoculture (CARFS) est représenté dans 23 pays africains. Selon son directeur exécutif, André Tindano, la synécoculture est expérimentée au Sénégal, en République démocratique du Congo, en Mauritanie, en République Centrafricaine, en Côte d'Ivoire, au Togo, au Tchad, au Gabon, au Ghana, au Mali et à Madagascar. A Benichab, une commune urbaine de l'Ouest de la
Mauritanie, dans la région de l'Inchiri, une trentaine d'espèces dont le maïs, les concombres, la menthe, la pastèque, le moringa, le bissap, la papaye et le citron ont été introduites depuis le début de l'expérimentation.
Les résultats obtenus dans ces différents pays ont motivé le Centre et réseau de technologies climatiques (CTCN), le Programme des Nations unies pour l'environnement (UNEP) et la Commission européenne à financer le projet Résilience climatique local par la synécoculture, technique agricole à haut rendement dans la région du Nord du Cameroun, principalement dans les communes de Garoua 2 et de Figuil. La formation des bénéficiaires a démarré le 18 octobre 2024 à Figuil.