D'après un recensement des années 1950, sur une population locale de 877 735 Merina, 410 830 quittent les Hauts-Plateaux soit un pourcen-tage de près de la moitié ; chez les Betsileo, 137 506 émigrent sur une population globale de 515 880 individus.
Selon les admini-strateurs en chef et non moins scientifiques, Raymond Decary et Rémy Castel, « pour ces deux tribus, la cause avérée en est l'appât du gain ». Mais, précisent-ils, pour les Merina, il existe un autre motif, « peut-être plus obscur » (...) « On est obligé de constater pour ces derniers un réel manque de terres qui s'accompagne de la nécessité d'accroître un « domaine » devenu trop restreint. » Car à cette époque, l'Imerina représente le territoire ethnique possédant la plus forte densité de population. «En englobant les Vakinan-karatra et les Merina, on atteint en l'état actuel une densité de 28 habitants/km². »
Or en Imerina, on considère comme établi que toutes les rizières sont cultivées et ont presque atteint leur maximum de rendement grâce à l'usage du fumier, que les cultures de terrains secs (manioc, patate, pomme de terre) occupent aussi la presque totalité des parcelles fertiles et que seuls demeurent incultes les « tanety » de latérite, soit parce qu'ils sont inexploitables soit parce qu'ils doivent être réservés au pâturage.
« Si toute la population merina se trouvait réunie sur son territoire ethnique, sa densité passerait au chiffre de 54 et les terres deviendraient nettement insuffisantes : le problème du manque de terrains s'est posé aux Merina à leur insu. »
Ces migrations des habitants des Hautes-Terres ne sont pas récentes. Dès 1901, le gouverneur général Joseph Gallieni, à la suite d'une tournée à travers l'ile, est frappé par le grand nombre d'émigrés descendus des Plateaux sur la côte. Aussitôt, dans une circulaire du 21 novembre, il adresse aux chefs de province un questionnaire détaillé sur le sujet. Cette note résume déjà assez bien la situation en ce début de siècle.
« Avant l'occupation française, quelques Hova (et Betsileo) émigraient déjà sur les côtes ; mais en dehors des fonctionnaires, ce n'étaient que de rares commerçants qui quittaient le plateau central en vue d'opérations déterminées et de courte durée. L'établissement de la sécurité, l'ouverture de routes, les facilités de communications offertes par les services maritimes côtiers ont eu pour conséquence de provoquer la reprise, sous une autre forme, de ce mouvement d'émigration.
Les Hova et Betsileo que j'ai vus en plusieurs points des régions côtières (Analalava, Mahajanga, Marovoay, Toliara, Mananjary, Mahanoro, entre autres) m'ont paru, en effet, s'y être installés, sinon sans esprit de retour dans leur contrée d'origine, du moins en vue d'un long séjour. »
« Cette tendance d'expansion des deux groupements de population les plus nombreux, les plus laborieux et les plus aptes au négoce parmi les tribus diverses qui peuplent l'île, demande à être étudiée avec le plus grand soin dans ses manifestations et, par les conséquences dont elle est susceptible, mérite d'être largement aidée. Nous pouvons y trouver, en effet, un précieux facteur de développement économique. »
Pour Gallieni, le Betsileo et surtout le Hova peuvent être de très utiles auxiliaires aux commerçants français des régions côtières en tant qu'intermédiaires ou sous-traitants à la place des Asiatiques. En outre, comme agriculteurs, leur main-d'oeuvre employée à la mise en valeur d'un sol fertile, obtiendrait une production certainement supérieure à celle qu'ils retirent des terres de l'Imerina et du Betsileo. Et leur présence en nombre sur les côtes, en créant un nouvel élément de transactions avec les régions centrales, pourrait enfin devenir un stimulant pour des groupes « plus apathiques et plus primitifs ».