Depuis le 19 octobre 2024, la Fédération ivoirienne de taekwondo (Fitkd) est déchirée par une crise institutionnelle. Plaintes auprès de la justice, fermeture et réouverture du siège, médiation des instances internationales, etc.
Trois ans après le retrait du grand maître président, Bamba Cheick Daniel (ceinture noire 7e dan), le taekwondo ivoirien tangue. Tout le monde veut gérer le gros héritage qu'il a laissé. Y compris ceux qui ont combattu la construction du Centre ivoiro-coréen. D'un côté, il y a un groupe de dirigeants de la Fitkd qui aspirent à contrôler tous les mouvements liés à l'art martial coréen en Côte d'Ivoire.
Un groupe d'anciens avec un chef suprême. Dans un élément audio devenu viral sur les différentes plateformes de taekwondo-in ivoirien, un maître de salle bien connu lançait un appel à casser l'influence de Bamba Cheick Daniel au profit d'un dieu vivant de la discipline.
Le message était clair : il faut mettre tout en oeuvre pour faire rayonner un grand maître, le plus grand du pays. Effacer les traces de l'autre grand maître, le père du taekwondo moderne en Côte d'Ivoire et bâtisseur du centre ivoiro-coréen qui abrite gracieusement le siège de la fédération.
Combien de démarches n'ont-ils pas été menées auprès des autorités compétentes pour prendre le contrôle du conseil d'administration du Centre sportif, culturel et des Tic ivoiro-coréen Alassane Ouattara (Cscticao) ! Pour eux, il s'agit de la propriété de la fédération ivoirienne de taekwondo. Un projet qu'ils ont combattu bec et ongles.
Une discipline minée par des querelles de personnes
Ce combat de personnes a fini par éloigner le bureau Yacé de ses objectifs initiaux. Les rares réunions du comité directeur prenaient régulièrement des allures de ring. De contradictions en contradictions, un an est passé, puis deux ans, sans assemblée générale ordinaire et sans compétitions au plan national.
La Côte d'Ivoire avait commencé à briller par son absence à certaines compétitions majeures de la World taekwondo. Des problèmes administratifs récurrents freinaient l'épanouissement des champions comme Ruth Gbagbi. À cela s'ajoutent des affaires honteuses de harcèlements sexuels sur des jeunes athlètes de sexe féminin, sans réactions fermes du comité directeur.
C'est d'ailleurs pour cette raison que Me Patrice Remarck, alors vice-président chargé des projets olympiques, a rendu le tablier pour protester contre les abus dont étaient victimes les jeunes filles au nez et à la barbe des responsables de la Fitkd.
De l'autre côté, il s'est formé, au fil du temps, des défenseurs des acquis du bureau de Me Bamba Cheick Daniel. Ceux qui veulent voir le taekwondo ivoirien toujours au firmament du monde. Ils ont fini par trouver un chef de fil : Dr Ali Domandé, ceinture noire 4e dan kukkiwon.
Un grand intellectuel féru de taekwondo qui a suivi de loin les grandes avancées entre 2009 et 2021. C'est lui qui a pris la tête du comité directeur de transition de la Fitkd, en lieu et place du président Yacé. Pour eux, il faut une nouvelle équipe dirigeante capable de garder le cap et mener le taekwondo vers de nouvelles victoires.
Le fleuron de l'art martial coréen en Afrique
En effet, avec trois mandats, Bamba Cheick Daniel a écrit en lettres d'or les belles pages du taekwondo, laissant un héritage immense. Des médailles olympiques, des médailles de champion d'Afrique et du monde, des Grands prix internationaux. Sans compter les nombreux Opens remportés à travers l'Afrique et le monde. Bref ! Un patrimoine estimé à plus de 10 milliards de F Cfa.
Bamba Cheick Daniel n'a pas fait que transmettre aux athlètes et encadreurs sa rage de vaincre. Il a révolutionné la manière de pratiquer cet art martial coréen dans le pays. Il a mis en place des modules de formation, à travers des structures et des hommes bien choisis pour harmoniser sa pratique.
Avec un nombre record de licenciés (45 000 à son départ), le taekwondo est aujourd'hui enseigné à l'Institut national de la jeunesse et des sports (Injs), au titre des formations académiques débouchant sur un Master.
Avec la médaille d'or arrachée de haute lutte, à Rio de Janeiro, par Cheick Sallah Cissé et le bronze accroché par Marie Christelle Ruth Gbagbi, le pays était devenu la plaque tournante de cet art martial en Afrique et une destination internationale de choix en la matière.
Il y a eu aussi l'organisation de la première finale des Grands prix internationaux remportée, à domicile, par Cheick Sallah, en décembre 2017 et le séminaire de formation à l'intention des formateurs-évaluateurs qui a mobilisé des centaines de participants venus des quatre coins du monde à Abidjan. Sans oublier les titres historiques de championne du monde des moins de 62 kg dames en 2017 et 2021 remportés par Ruth Gbagbi. Toute chose qui confirmait les progrès notables enregistrés par le taekwondo ivoirien.
Une discipline sportive qui proposait à la Côte d'Ivoire quatre chances de médaille aux Jeux olympiques de Tokyo, au Japon en 2021. Et qui a réussi à se faire construire un temple haut de niveau à Abidjan. Un bâtiment réalisé sur une superficie de 8 824 m² et financé à plus de 6 milliards de F Cfa par la Corée à travers l'Agence coréenne de coopération internationale (Koica).
Les clefs du succès
Le rayonnement du taekwondo était loin d'être un heureux hasard. C'est que le président Bamba Cheick Daniel est arrivé avec une vision claire. Tout ce que la fédération a réalisé sous sa mandature était consigné dans un document depuis 1989. Il indiquait comment faire la promotion et le développement de cet art martial dans le pays.
« Cette réflexion a été réalisée dès ma nomination en qualité de vice-président de la fédération en charge de la promotion et remise au président Arsène Zirignon au domicile de Me Kraidy Lucien, en présence de Me Minayaha Siaka Coulibaly (il venait de Tabou où il occupait les fonctions de directeur de la Palmci). J'étais encore préfet à Bongouanou », confiait Bamba Cheick Daniel.
C'est ce document qui a fait démarrer « la révolution organisationnelle du taekwondo ivoirien ». Ainsi, lorsqu'il prenait les rênes de la fédération en 2009, Bamba Cheick Daniel avait déjà un tableau de bord, avec en point de mire au moins une médaille aux Jeux olympiques du Cio et la construction d'un palais pour le taekwondo.
Des objectifs largement atteints en 2016, avec les exploits de Cheick Cissé Sallah (médaillé d'or) et Ruth Gbagbi (médaillée de bronze) aux Jeux de Rio de Janeiro. Le Centre sportif, culturel et des Tic ivoiro-coréen, baptisé Alassane Ouattara, est sorti de terre et inauguré le 28 octobre 2021. Me Kim Young Tae, Me Gaston Ouassenan Koné et Arsène Zirignon ont posé les jalons du taekwondo ivoirien.
Bamba Cheick Daniel est venu lui donner une véritable âme, en le propulsant dans le modernisme et au seuil de la professionnalisation. Il a laissé une fédération en mode pilotage automatique. Alors qu'est-ce qui n'a pas marché ?