Dans n'importe quel marché international, les acteurs recherchent de nouvelles astuces pour contrer la concurrence qui, avec l'appui des technologiques innovantes peut défier toute détection de malfaçons. Les sucres de fabrication mauricienne n'échappent pas à ce risque. Avec l'attribution récente de l'indication géographique, l'agence chargée de commercialiser les sucres locaux dispose d'un nouvel outil pour en protéger la propriété intellectuelle. Son CEO, Devesh Dukhira, s'explique à ce sujet.
Le Mauritius Sugar Syndicate (MSS) est autorisé à exiger et à défendre le respect de ses droits de propriété intellectuelle sur la dénomination «sucre non-raffiné de Maurice» depuis qu'il détient un certificat d'indication géographique. De quels droits est-il question dans ce contexte ?
L'indication géographique (IG) est une reconnaissance de la dénomination d'un produit ayant une origine géographique spécifique et possédant une réputation, des qualités, des caractéristiques, et/ou qui est fabriqué avec un savoir-faire propre à cette région. Elle le protège de toute utilisation de ce nom pour des produits non conformes à cette définition et, par conséquent, constitue une mesure dissuasive contre toute tentative de concurrence déloyale, préservant ainsi la valeur qui peut en être récoltée. Quelque 4 000 produits d'une soixantaine de pays ont cette reconnaissance IG.
L'un des exemples les plus connus est le champagne, réservé aux «vins mousseux» originaires de cette région spécifique de France, des vins semblables d'autres origines ne pouvant être désignés comme tels. Dans le cas du «sucre non-raffiné de Maurice», cette appellation sera réservée aux sucres spéciaux produits par les usines locales, notamment Alteo Milling et Terra Milling, selon les cahiers des charges déposés. Leurs ventes seront protégées par les provisions de l'Industrial Property Act 2019 et nul autre sucre ne peut être vendu comme tel, déjà à Maurice, et ensuite sur les autres destinations où cette demande de protection sera déposée.
Comment le sucre non-raffiné mauricien se présente-t-il sur les marchés où il est présent déjà ?
Actuellement, un peu plus de 50 % de notre production sucrière serait en forme de sucres spéciaux, le reste étant du sucre blanc raffiné. Ils sont produits à Maurice depuis les années 1970 et vendus dans plus d'une soixantaine de pays, dont l'Europe, qui représente au moins 50 % des exportations annuelles, suivie des États-Unis, du Moyen Orient, de l'Europe de l'Est et de l'Asie du Sud-Est. Grace à la bonne réputation dont jouit notre industrie à l'échelle globale, nos acheteurs mettraient bien en évidence sur leur étiquetage le fait que l'origine est mauricienne qui serait d'ailleurs leur option préférée.
Nous restons, d'ordre général, le leader de marché dans ce secteur, par la gamme développée, la quantité produite annuellement et la part de marché sur les différentes destinations. Cependant, la concurrence est en croissance, notamment du sucre non-raffiné d'autres origines, voire du sucre blanc coloré. La reconnaissance IG garantit l'authenticité du «sucre non-raffiné de l'île Maurice», ce qui empêchera des sucres presque semblables d'origines tierces d'utiliser ce nom, protégeant ainsi l'identité du sucre mauricien. Sachant que les sucres spéciaux de Maurice sont déjà vendus à des prix supérieurs, l'IG aidera donc à conserver ces valeurs, voire à viser des primes encore plus intéressantes.
Ayant déjà goûté aux avantages et effets de l'attribution d'origine géographique d'un produit, le MSS compte-t-il s'arrêter en si bon chemin ou envisage-t-il de souscrire d'autres produits à ce principe de reconnaissance internationale ?
Impossible de nous cantonner à une seule attribution d'IG. Notre prochaine initiative consiste à rechercher un enregistrement IG pour le «sucre non-raffiné de l'île Maurice» dans les principales destinations de marché, là où la législation est en place. Avec le même objectif d'obtenir les mêmes mesures de protection. Ce qui implique la mise en place de toute une opération de communication au niveau commercial et la recherche du soutien de nos différents partenaires. Une posture qui nous permettra de mettre en exergue la différenciation des sucres spéciaux de Maurice et de tirer profit de toute valeur supplémentaire qui en découlera.
Y aura-t-il un signalement spécifique pour faire une distinction entre la spécificité du sucre non-raffiné mauricien et celle d'un concurrent ?
Le sucre non-raffiné de Maurice est issu du traitement naturel du jus extrait de la canne à sucre cultivée à Maurice ces quatre derniers siècles. En complément de ce terroir spécifique, le procédé de fabrication est propre à l'industrie sucrière mauricienne, ayant été développé et adapté sur les cinq dernières décennies. Maurice produit une vingtaine de variétés, spécialement concoctées pour répondre aux exigences des utilisateurs à travers le monde. La reconnaissance IG témoigne ces caractéristiques distinctives, qui ne pourraient être reproduites dans leur intégralité ailleurs.
Le recours à une stratégie commerciale pour réactualiser un produit déjà labellisé est une indication que cette posture n'est nullement une nouveauté pour le MSS. Quelles ont été les circonstances exactes de cette initiative prise en 2021 ?
Cette initiative concernait le Mauritius Sugar Label. Elle a été entreprise conjointement avec ses principaux clients. Elle visait à permettre au marché de distinguer les sucres spéciaux de Maurice de la concurrence. Cette initiative reposait sur six piliers mis à l'avant par la clientèle. Il s'agissait notamment de leur goût naturel, leurs caractéristiques saines pour la santé, leurs propriétés nutritionnelles, l'environnement de leur fabrication, dont la spécificité est conforme aux exigences du développement durable, leur traçabilité sur toute la chaîne d'approvisionnement et la facilité à s'en approvisionner à travers le MSS. La reconnaissance de l'IG suit cette initiative, mais en mettant en évidence également l'identité du terroir.
Quels sont les moyens auxquels le MSS envisage d'avoir recours ou a déjà identifié pour assurer la protection de ce droit de propriété intellectuelle ?
Nous avons déjà communiqué à nos clients cette nouvelle reconnaissance d'IG pour les sucres spéciaux de Maurice. Un nouvel attrait qui fera désormais partie de leurs outils de marketing et qui les aidera à se distinguer de la concurrence. Il serait maintenant judicieux d'assurer cette protection IG sur les principales destinations d'exportation, surtout là où les risques d'imitation ou d'érosion de la valeur seraient plus élevés. L'accord de partenariat économique en négociation entre l'Union européenne et le groupe Afrique orientale et australe, dont fait partie Maurice, contient une provision pour la reconnaissance mutuelle des IGS.
Il s'agit d'une situation qui devrait donc faciliter la protection du «sucre non-raffiné de l'île Maurice» sur notre principal marché d'exportation. Aussitôt que cet accord est finalisé, nous entamerons les démarches avec le soutien du ministère des Affaires étrangères, pour que la reconnaissance d'IG des sucres spéciaux de Maurice en Europe devienne une réalité. Nous comptons reproduire cette initiative sur nos autres destinations principales, sachant néanmoins que l'IG doit avant tout être reconnue dans ces pays. Ces possibilités d'extension pourraient néanmoins être facilitées par l'adhésion au Lisbon System Partnership, une plateforme où les IGS de différents pays membres sont mutuellement reconnus.
Dans un monde où les applications technologiques peuvent imiter à la perfection n'importe quel type de produits, quels sont les risques que le MSS pourrait croiser sur chemin. Que faire pour se prémunir des effets de ces risques de contrefaçon ?
Comme déjà mentionné, l'identité du «sucre non-raffiné de l'île Maurice» ne s'arrête pas au produit mais repose sur différents attributs. La fabrication d'un sucre semblable d'origine tierce ne remplacerait pas totalement l'alternative mauricienne. Nous faisons face déjà à cette menace où des concurrents se rapprochent de nos sucres au niveau de la couleur, parfois utilisant des colorants - alors que les nôtres ne contiennent pas d'additif - et qui sont vendus à des prix inférieurs. En Europe, nous retrouvons même des sucres de betterave, qui sont normalement blancs, mais qui ont été colorés et vendus comme le sucre Demerara. Malgré la préférence pour le sucre de Maurice, nous avons donc été obligés de réduire nos prix pour faire face à ces concurrences déloyales. La reconnaissance IG nous aidera davantage à mieux défendre le positionnement de nos sucres sur les marchés. Elle mettrait davantage l'accent sur l'origine géographique et le savoir-faire propre à l'île Maurice.
Quel est l'impact de cette étape que le sucre non-raffiné mauricien vient de franchir sur toute sa chaîne de production ?
Cette reconnaissance IG vient confirmer les attributs uniques du «sucre non-raffiné de l'île Maurice». Nous l'avons toujours affirmé auprès de notre clientèle et lors de la promotion de ces produits distincts, mais des concurrents, voire des acheteurs recherchant des prix plus bas, ont toujours tendance à les sous-estimer, même à les minimiser. Il nous revient à bien communiquer dessus afin que l'origine mauricienne demeure le choix préféré de sucre de tout utilisateur.