Il fallait s'y attendre même si la prudence était de mise. Le mois de décembre est toujours synonyme de consommation. Et qui dit consommation, dit circulation effrénée d'argent. Résultat des courses : l'explosion inévitable de la masse monétaire. Celle de décembre 2024 est estimée à plus de Rs 65 milliards.
Les spécialistes attribuent cette hausse à des facteurs conjoncturels dus au gonflement de la masse salariale en raison du paiement du 13e mois aux salariés du public et du privé mais aussi du 14e annoncé par le nouveau gouvernement, voire le 15e mois par certaines sociétés et autres rémunérations. Et comme ils sont couplés à différents bonus, une masse d'argent entre dans le circuit découlant des transactions commerciales de fin d'année par les principaux secteurs et agents économiques.
«Pour le mois de décembre, il faut compter entre Rs 2 et Rs 3 milliards additionnelles. Encore que cette année il y a eu la décision d'accorder un 14e mois aux salariés touchant jusqu'à Rs 50 000 par mois, la décision de payer une compensation salariale de Rs 610 en janvier et une majoration across the board aux bénéficiaires des différentes prestations sociales ce mois-ci. Forcément, il y a des achats qui vont se faire en anticipation des augmentations et autres bonus en 2025», affirme Azad Jeetun, économiste et ex-directeur de la défunte MEF.
Le paiement d'un 14e mois dans sa forme actuelle entraînera ainsi une injection de Rs 12 milliards dans le circuit économique, financée à hauteur de Rs 1,2 milliard par le gouvernement et la différence par le privé, cela, en deux tranches, en décembre 2024 et janvier 2025.
En décembre 2023, la masse monétaire en circulation était chiffrée à presque Rs 60 milliards. Toutefois, pour les neuf mois de l'année, elle s'élevait entre Rs 56 milliards et Rs 58 milliards, sauf pour les mois d'octobre et de novembre quand elle a connu une reprise pour passer respectivement à Rs 61 milliards et à Rs 62 milliards. Pour rappel, elle était à Rs 46,5 milliards en décembre 2020, Rs 50,2 milliards en décembre 2021 et Rs 53,6 milliards pour la même période en 2022.
Sans doute, le besoin d'économiser pour la période de vaches maigres, couplée à la baisse du pouvoir d'achat de la majorité des ménages en raison de la flambée des prix des produits de consommation de base liée aux effets inflationnistes et à la dépréciation accélérée de la roupie, y est pour quelque chose dans les comportements d'achat de la population.
Risques inflationnistes
Faut-il pour autant craindre des risques inflationnistes avec une telle masse monétaire en circulation ? Des observateurs économiques comme des dirigeants des associations des consommateurs estiment que les risques d'une poussée inflationniste sont toujours réels alors même que le taux d'inflation avait atteint un pic de 10,8 % en 2022 en raison de la hausse des prix à l'échelle mondiale, couplée avec la dépréciation de la roupie face aux principales devises étrangères. Cependant, le taux a graduellement baissé pour passer à 3,7 % pour les 12 mois se terminant en novembre 2024, la raison étant, selon le rapport The State of Economy, un «effet de base des prix plus élevés des années précédentes».
Il va sans dire que la nouvelle politique monétaire conduite par l'équipe de direction fraîchement mise en place à la Banque of Maurice vise à court et moyen termes à stabiliser la roupie et à maintenir l'inflation à un seuil contrôlable. Étant consciente qu'une flambée du taux d'inflation aura des conséquences désastreuses sur les prix des denrées de base et par ricochet, sur les portefeuilles des ménages.
Nul besoin de souligner que comme chaque fin d'année, l'injection d'une masse monétaire de cet ordre force les opérateurs financiers à proposer des plans d'épargne, les uns plus rémunérateurs que les autres, afin de réduire l'excédent de liquidités sur le marché monétaire. «Il y a fort à parier que tous ces plans n'inciteont pas les familles mauriciennes à épargner, compte tenu du taux d'intérêt relativement bas avec le taux directeur actuel car le différentiel reste encore négatif. Du coup, on peut compter sur les doigts d'une main ceux qui vont s'aventurer dans cette voie. Il y a certains qui sont conservateurs et qui opteront comme d'habitude pour des dépôts fixes», insistent certains experts financiers.
D'autres, à l'instar d'Imrith Ramtohul, conseiller en investissements, notent en revanche qu'au fil des années, les investisseurs mauriciens ont traditionnellement privilégié les dépôts à terme, les obligations et l'immobilier. «Les taux d'intérêt étant légèrement plus élevés, tant au niveau national qu'à l'étranger, par rapport aux années précédentes, plusieurs investisseurs pourraient manifester davantage d'intérêt pour les obligations et les dépôts à terme compte tenu des rendements plus élevés», souligne Imrith Ramtohul.
Certes, une stratégie réfléchie et équilibrée adaptée aux objectifs financiers et personnels est certainement la clé pour naviguer efficacement entre la nécessité d'épargner ou d'investir. «L'épargne étant une démarche à long terme, il faut donner du temps au temps et ne pas être pressé. Il faut rester concentré sur les objectifs fixés et de ne pas se laisser décourager par les fluctuations à court terme», ajoute Azad Jeetun.
Consommation effrénée ou raisonnée, celle-ci fait néanmoins doper des milliards en cette fin d'année marquée au plus grand bonheur des commerçants. Et le temps pour des nombreuses familles de se payer quelques largesses... après l'ambiance du changement.