L'ancien directeur du service du matériel des armées sénégalaises, feu colonel Lamine Diédhiou, portait en bandoulière, outre ses qualités humaines reconnues de tous, les valeurs militaires de discipline et de dévouement à son pays. En hommage à son rang et à son parcours exemplaire, la République a baptisé, le 17 décembre 2024, le camp Lemonnier en son nom, faisant ainsi entrer cet illustre officier dans le panthéon des immortels de la nation sénégalaise.
»À travers ces baptêmes, les armées rendent hommage à des personnalités éminentes de notre institution, dont la vie et le service doivent inspirer les générations actuelle et future", a notamment dit le colonel Birane Niang, l'actuel directeur du service du matériel des armées (DIRMAT), lors de la cérémonie de rebaptisation du camp Lemonnier du nom du colonel Lamine Diédhiou, décédé le 20 décembre 2021 à l'âge de 83 ans.
"Cette cérémonie permet d'honorer un homme exceptionnel, l'un des chefs militaires les plus emblématiques de l'armée sénégalaise, qui a marqué d'une empreinte indélébile la DIRMAT", selon le colonel Niang. Évoquant la carrière du colonel Diédhiou, il a souligné que "retracer sa vie, c'est en quelque sorte revisiter l'histoire de la DIRMAT à travers les âges".
Durant cette cérémonie, le directeur de la structure chargée de l'arsenal de l'armée nationale a rappelé que, tout au long de ses 36 ans de carrière, le colonel Diédhiou a incarné et diffusé les valeurs et l'esprit des "Diambars" (Les Braves), surnom donné aux militaires de l'armée sénégalaise.
Prenant la parole au nom de la famille, Juliana Diédhiou, la fille du parrain, a rappelé que son père "était connu pour la maîtrise de son art et son honnêteté sans faille". Elle a également rappelé que son père, né le 31 décembre 1937 à Kagnobon (Bignona, sud), était un fervent patriote qui, tout au long de sa carrière, a incarné les valeurs de dévouement au service de la nation.
Ces témoignages sont corroborés par d'anciens frères d'armes du colonel Diédhiou. Adama Sonko, son ancien camarade au bataillon du matériel et actuel chef de village de Kagnobon, le décrit comme "un modèle et un officier éminent, qui aimait profondément son pays et son bataillon".
"Gango" ou la loyauté personnifiée
La loyauté envers la République du désormais parrain de l'ex-camp Lemonnier "n'a jamais été mise en défaut", selon le colonel Alioune Seck, qui a rédigé un texte hommage publié dans Le Témoin du 27 décembre 2021, une semaine après la disparition de son compagnon d'armes.
D'une taille moyenne et d'une carrure imposante, "Gango", comme était affectueusement appelé le colonel Diédhiou, était un "bourreau du travail". "Même après avoir obtenu le grade de lieutenant, on ne le distinguait pas des soldats", se souvient Adama Sonko. À ceux qui lui faisaient remarquer qu'il n'était plus soldat, il répondait simplement : "j'ai choisi la mécanique".
Le colonel Lamine Diédhiou était également connu pour animer les séances matinales hebdomadaires de tirs au pistolet, organisées de 6 à 7 heures à l'initiative du général Mamadou Seck, alors chef d'État-major général des armées (CEMGA), à l'intention des officiers du quartier général Dial Diop, confie Alioune Seck dans son hommage à son ancien camarade.
Outre son sens du devoir, sa conscience patriotique et son esprit inventif et débrouillard, Alioune Seck, retient particulièrement du colonel Lamine Diédhiou son initiative innovante de diéséliser les véhicules blindés sénégalais.
Grâce à sa rigueur et à son amour du travail, "Lamine Diédhiou était apprécié de tous les officiers, y compris ses supérieurs", confie Adama Sonko. Au demeurant, "Gango" était réputé pour sa sympathie et son attitude chaleureuse envers tous. "Je ne l'ai jamais vu crier sur un soldat", ajoute-t-il.
Cependant, sa bienveillance et son ouverture d'esprit ne l'empêchaient pas de faire preuve de fermeté. "On ne le défiait pas dans l'armée", rapporte le chef du village de Kagnobon.
Officier au grand coeur
Originaire de Ziguinchor, une région, qui a payé un lourd tribut dans le conflit casamançais, l'ancien directeur de la DIRMAT s'était également illustré comme un acteur clé de l'apaisement dans cette région du sud du pays. Selon le colonel Alioune Seck, le colonel Diédhiou a oeuvré sans relâche pour le retour de la paix en Casamance, avant et durant ses 28 années de retraite méritée.
Si le colonel Lamine Diédhiou était connu pour son dévouement sous le drapeau national, il était également réputé pour son grand coeur. Les témoignages concordants le décrivent comme un homme qui oeuvrait "avec un véritable sacerdoce" en faveur des couches démunies.
"A l'heure des repas, sa maison ne désemplissait pas d'invités de toutes conditions. Son domicile de fonction était devenu un refuge pour beaucoup de personnes durement frappées par l'exode rural et souvent en quête d'opportunités", relate le colonel Alioune Seck.
La porte de son bureau restait toujours ouverte, que ce soit pour les militaires ou les civils. "Il s'efforçait de trouver une solution, même modeste, pour chaque personne qui le sollicitait, quelle que soit son origine géographique, ethnique ou religieuse", se souvient son frère Kabirou Diédhiou.
À Kagnobon, son village natal, il facilitait l'enrôlement des jeunes issus de familles démunies dans l'armée nationale. Ensuite, il les encourageait à prélever une partie de leurs premiers salaires pour acheter des tôles pour la construction ou la réparation de leur maison familiale. "Il a ainsi contribué à remplacer les toits de paille par des toits en tôle de zinc", explique Kabirou Diédhiou, ajoutant que son frère a également construit une grande mosquée après son retour d'Arabie saoudite, où il a servi comme attaché militaire à l'ambassade du Sénégal.
Pendant son séjour dans ce pays, il a soutenu de nombreux Sénégalais dans leur installation et leur recherche d'emploi.
D'ingénieur agronome à colonel de l'armée
Pourtant, l'armée n'était pas la première vocation du colonel Lamine Diedhiou. Après son passage à l'examen d'entrée en sixième en 1954, il avait intégré l'école d'agriculture de Louga (nord), avant de réussir un concours pour l'institut d'agriculture du Soudan français (actuel Mali), où il obtient un diplôme d'ingénieur agronome.
Il débute alors une carrière dans ce domaine, à Bignona, mais sur recommandation de son père, il abandonne la profession d'agronome pour être enrôlé, le 1er septembre 1959, dans l'armée coloniale française.
L'homme de défis qu'il était s'envole par la suite pour la France afin de renforcer sa formation militaire, dont les bases avaient été acquises quelques années plus tôt au camp de formation de Bango, à Saint-Louis (nord).
En France, il suit successivement des formations à l'École supérieure de formation des officiers du service du matériel (1963-1968) et à l'École supérieure d'application du matériel de Bourges.
Ces années de formation dans l'Hexagone le propulsent, dès son retour au bercail, en 1968, à la tête du service automobile de l'armée nationale, qu'il dirige jusqu'en 1972.
À partir de l'année 1983, il occupe successivement les postes de chef d'établissement du matériel des armées et de chef de corps du Bataillon du matériel.
Grâce à ses qualités reconnues de "logisticien hors norme", il offre ses services à la gendarmerie nationale, où il contribue à l'organisation et à l'entretien du matériel durant deux ans, avant de quitter ce corps auréolé du grade de capitaine.
Prophète chez lui et au-delà
De 1982 à 1983, le colonel Diédhiou occupe le poste de chef de la logistique de la Force intérimaire des Nations unies (FINUL) au Liban.
À son retour, il est nommé adjoint du directeur du matériel des armées avant d'être promu, l'année suivante, à la tête de cette direction, où il détient à ce jour le record de longévité à ce poste.
En 1992, il est envoyé comme attaché militaire à l'ambassade du Sénégal en Arabie saoudite, où il sert jusqu'en 1994, année où il fait valoir ses droits à une pension de retraite.
"Les responsabilités successives qu'il a assumées témoignent de la confiance que lui accordaient le commandement et les plus hautes autorités du pays", a souligné le colonel Birane Niang lors de la cérémonie de baptême du camp colonel Lamine Diédhiou.
Ses hauts faits d'armes ont été couronnés de nombreuses distinctions, aussi bien au niveau national qu'international.
Il fut fait Chevalier de l'ordre national du Lion, Officier de l'ordre national du Lion, et Commandeur de l'ordre national du Lion.
À l'étranger, il a reçu le titre d'Officier de l'ordre national du Mérite français, d'Officier de l'ordre national du Mérite gambien, la Médaille de commémoration de l'Organisation des nations unies, ainsi que la Médaille de commémoration d'Arabie saoudite.
De nombreuses décorations qui témoignent avec éloquence du dévouement du colonel Lamine Diédhiou en faveur de la paix, du vivre ensemble et des valeurs humanitaires.