Encore les Chagos. Le Times de Londres est celui qui relance cette fois l'affaire. Les motivations ne sont pas tout à fait claires, mais l'on peut spéculer que plus les chiffres de compensation suggérés payables à Maurice sont forts (jusqu'ici il y avait un silence total sur la question...), plus on augmente les chances de faire dérailler le train, en mettant l'opinion publique britannique et un maximum de parlementaires en mode «Contre !». Subsidiairement, faire mal à Keir Starmer et ses travaillistes au pouvoir ne peut que faire du bien à certains.
Le Times de samedi dernier, 28 décembre, publie ce qu'il prétend être une «investigation» sous la signature de Tim Shipman et de Caroline Wheeler, qui y jouent leur réputation. Dans un long article rempli de généralités et de redites, la révélation de «l'investigation» est que les négociations tournent autour d'une pure question d'argent. L'article prend bien soin de dire que ni les travaillistes actuellement au pouvoir, ni les conservateurs ne veulent révéler de chiffres précis («They will not say»). Cependant, le Times affirme néanmoins être en position de révéler le «sheer scale of what Mauritius has been demanding», en notifiant, dans la phrase qui suit, le chiffre précis de 800 millions de livres sterling annuellement (environ Rs 48 milliards!) plus, avec bien moins de clarté, «des milliards» de livres sterling de plus en «réparations» (un milliard de livres, ce sont Rs 60 milliards certes dévaluées !), citant «a source familiar with the talks», qui reste cependant anonyme.
L'investigation ajoute que les conservateurs ont réagi contre ces sommes et qu'il n'était pas clair combien les Travaillistes britanniques étaient prêts à payer, ni quelle part les Américains étaient d'accord de financer. En d'autres mots, le Times ne connaissait RIEN jusqu'ici, de ce qui provenait du monde politique qui décide, ayant parlé, est-il précisé, à sept ministres, des diplomates, des hommes de loi et des conseillers...
Les chiffres cités par la source «familière des discussions» pourrait ainsi tout à fait ressembler à une estimation de couloir, murmurée, sous un clin d'oeil, dans un pub plutôt arrosé ; que l'on ne se porterait pas plus mal. On pourrait encore plus le penser à la lueur de la déclaration du PMO local, lundi, qui ayant lui, participé directement aux discussions en tant qu'éventuel bénéficiaire ayant un intérêt dans l'overdose, remettait les choses en perspective et les chiffres à l'endroit. La contreproposition mauricienne repose sur un affinement sur la question de souveraineté, sur la durée du bail et sur une location qui prenne en compte l'inflation (la parité Rs/£... ?). Les montants cités par le Times sont démentis, tant au PMO qu'au Foreign Office.
L'effrayant dans tout ça, c'est comment l'effet grégaire médiatique s'assurait que les chiffres soient rapidement répétés, sans nuance, partout sur la planète et sur l'internet : le Daily Express y fait sa sauce, comme le Daily Mail, X (ex-Twitter), l'International Viewpoint, Facebook, MSN, le Guardian, YouTube et tous les autres... Les pures spéculations d'une «investigation» sont rapidement devenues une «information», qui peut difficilement être dénoncée de manière précise par ceux qui négocient effectivement, puisque ce sont des... négociations et que cela se fait généralement en toute discrétion, au contraire d'un accord déjà négocié par un État qui devrait, lui, normalement, être partagé avec ses citoyens.
Le 1eᣴ décembre dernier, j'écrivais que la situation sur le dossier des Chagos était passé en phase plus «dynamique». C'est le moins que l'on puisse dire ! Les enjeux sont importants. De nombreux lobbies, dont les lobbies politiques en Grande Bretagne, aux États-Unis et même en Inde, travaillent pour faire avancer leurs pions, liés directement ou indirectement aux Chagos.
La partie mauricienne y a vu une occasion en or de mettre du beurre dans les épinards passablement asséchés du budget national. Pravind Jugnauth a tenté, mais n'a pas réussi, à finaliser un chiffre qu'il aurait pu rendre public pour crédibiliser ses promesses électorales, conscient qu'il était des réticences de Londres, mais aussi du fait que tout argent finalisé pouvait, tout compte fait, également financer les promesses de ses adversaires politiques !
Ramgoolam et Bérenger y voient aussi une occasion en or, qui est celle de maintenant demander mieux que Jugnauth, afin de s'approprier la paternité finale de l'accord ! En filigrane, il ne faudrait surtout pas sous-estimer la capacité de Trump à tout faire dérailler s'il le souhaite. Qui peut en douter après ce qu'il dit vouloir risquer sur le commerce mondial avec ses tarifs exorbitants ; après ses déclarations menaçantes à ses voisins immédiats, canadiens et mexicains ; avec son appétit déclaré de contrôler/ acheter le Groenland et son désir de reprendre le canal du Panama, au prétexte qu'il exploite trop les transporteurs maritimes américains.
Après tout, le Donald n'a pas beaucoup montré de prédisposition à respecter l'ordre constitutionnel et légal chez lui et pourrait ne pas s'arrêter à grand-chose du côté de l'ordre mondial non plus ! Or, qu'avons-nous d'autre dans notre argumentaire à nous, qu'un jugement, non contraignant, de l'ICJ et quelques votes fortement majoritaires aux Nations Unies ? Trump a, de son côté, la loi du plus fort et personne n'est jamais plus dangereux que quand il entend l'exercer...
D'autres épisodes vont sans doute suivre et pour quelques semaines au moins, notre pays pourrait donc vivre l'illusion d'être un centre d'attention mondiale ! Ce ne sera malheureusement pas une conséquence de quoique ce soit que NOUS aurons fait ou accompli, mais plutôt de ce que les puissants de ce monde auront foiré il y a de cela... 60 ans, se croyant alors tout permis !
******
La décision du gouvernement d'abroger les dispositions des SIM Card Registration Regulations de 2023 ne surprend pas, puisqu'il s'agit d'une promesse électorale facile, qui ne coûte rien. Cependant, le problème qui avait motivé le gouvernement sortant à prendre l'initiative de faire réenregistrer les SIM cards était réel et n'a pas disparu pour autant ! En effet, c'est le rapport Lam Shang Leen qui recommandait cette mesure pour tenter de coincer les trafiquants de drogue qui avaient, directement ou pas, autant de SIM cards qui leur étaient nécessaires pour déjouer la surveillance policière et/ou la recherche de preuves légales. En théorie, la démarche était la bonne. Si vous n'aviez rien à cacher, comme moi, il n'y avait aucune objection à se faire enregistrer ou photographier. Après tout, notre NIC comporte déjà nos photos et nos adresses sont constamment certifiées par le CEB pour de nombreuses transactions régulières !
Seulement voilà, de larges pans de la population ne faisaient plus confiance au gouvernement qui lançait cette opération, ce gouvernement ayant systématiquement démontré son appétit à détruire, puis contrôler un maximum de contre-pouvoirs, à cibler ses adversaires et à miner nos libertés démocratiques. Ainsi les réticences à s'enregistrer et ainsi les cas en cour! Il est dommage qu'un jugement n'ait pas été obtenu, ce qui aurait aidé à nous éclairer...
Le ministre Ramtohul a eu la bonté de souligner que Lam Shang Leen avait recommandé de «think outside the box» pour résoudre la question du double trafic de drogue et de cartes SIM ; il avait ajouté qu'il pensait que «ce sont aux autorités de redoubler de vigilance sur ces questions». «Les autorités», ce sont maintenant eux, faut-il le souligner, et l'on verra bien ce dont ils seront capables. D'autant que le PM, dans une autre promesse électorale, réitérée dans son message du Nouvel an, annonce un combat «sans compromis» et «intransigeant» contre les barons de la drogue.
Un des grands défis modernes sera ce conflit permanent entre les libertés personnelles maximales et les tentatives des autorités, au nom de la sécurité de l'État et de ses citoyens, d'exercer un degré de contrôle plus ou moins grand. La question n'est pas simple mais l'on peut au moins postuler que, plus le citoyen se sentira menacé par le terrorisme, la pandémie, l'hégémonie étrangère ou l'immigration, plus il sera enclin à céder de ses libertés personnelles au gouvernement central. Parfois même, jusqu'à s'en remettre à un «homme fort» qui sera invariablement tenté d'endosser la toge du dictateur, au nom de la défense de la patrie, bien évidemment...
Ceux qui ont des tentations totalitaires l'auront bien compris et exploitent cette peur, avec cynisme. Vous vous souviendrez des Haïtiens qui «mangeaient», selon Trump et Vance, les animaux de compagnie des Américains à Springfield dans l'Ohio ? Ou de la poignée d'immigrants illégaux qui violaient et/ou tuaient des jeunes filles américaines et que les milieux conservateurs présentaient comme la menace d'une «invasion» considérable et terrifiante (*) ? La terreur gagne d'abord. On repêchera les libertés en temps et lieu...
Ainsi va l'histoire du monde (et des libertés) dans des cycles presque immuables...