Un homme seul ne gouverne pas. Pas même un Premier ministre forgé dans l'adversité et rodé à l'exercice du pouvoir comme Navin Ramgoolam. Gouverner exige un équilibre subtil entre autorité et concertation, entre solitude décisionnelle et reliance stratégique. Derrière la façade d'un leadership incontesté, se déploie un réseau complexe de confidents, de discrets, d'experts, de technocrates, de conseillers, d'alliés et d'adversaires politiques. Ces rouages, invisibles au profane, sont pourtant la véritable mécanique du pouvoir. Qui sont ces personnes qui entourent Navin Ramgoolam ? Pourquoi leur présence est-elle cruciale dans l'architecture de la galaxie Ramgoolam version 2024- 2025...Quelques éléments de réponse alors que l'équipe se met en place graduellement.
Navin Ramgoolam ne bâtit pas un empire, mais une organisation pensée dans ses moindres détails. Depuis le 13 novembre, après sa prestation de serment comme Premier ministre (pour la troisième fois de sa carrière), il installe progressivement une architecture humaine où chaque rouage a une place spécifique et chaque fonction sa raison d'être. Ses collaborateurs, soigneusement sélectionnés, ne sont ni interchangeables ni improvisés. Ils incarnent la confiance, l'expertise et la loyauté. Les trois principes qui dictent les nominations faites jusqu'ici.
Au coeur du système, au Prime Minister's Office (PMO), opère un triumvirat administratif, où l'expérience côtoie la jeunesse : Suresh Seebaluck, ancien secrétaire au cabinet, Doreen Fong Weng-Poorun, haute cadre chevronnée, et Sandrine Valère, jeune figure ascendante, de même que Martine Young Kim Fat. Ce quatuor, à la fois gardiens de la mémoire institutionnelle et catalyseurs d'innovation, structure la mécanique gouvernementale. Ils veillent sur l'appareil d'État, orchestrent la mise en oeuvre des politiques et assurent une veille stratégique permanente.
Les dossiers complexes, tel celui du litige sur les Chagos, sont confiés à des spécialistes qui analysent et synthétisent les informations essentielles. Les rapports des techniciens nourrissent les réflexions de Ramgoolam et d'un cercle élargi de politiques, juristes et diplomates, dont font partie Paul Bérenger, Dhiren Dabee, Gavin Glover et Milan Meetarbhan. Ensemble, ils peaufinent des stratégies élaborées au fil de discussions où chaque détail compte.
Cette synergie technocratique, loin d'être un simple exercice de gestion, confère à l'action politique une épaisseur et une précision que seule une délégation maîtrisée peut offrir. Ramgoolam se positionne en chef d'orchestre, harmonisant savoirs et volontés pour reconquérir pleinement les Chagos. En jeu : des dizaines de milliards de roupies en réparation, réhabilitation et loyer annuel pour Diego Garcia (en tenant compte que l'archipel est occupé depuis 1965 et de l'inflation galopante une fois l'accord signé).
Les Gardiens de l'Intime
Un leader ne peut tout voir, tout entendre ni tout savoir. Il lui faut des sentinelles, capables d'anticiper les tempêtes et de décoder les signaux faibles. Pour Ramgoolam, ces gardiens sont à la fois des protecteurs et des miroirs. Dans le passé, certains de sa garde rapprochée se sont retournés contre lui alors que le pouvoir glissaient entre les mains de Ramgoolam.
Après avoir envisagé, dans un premier temps dès la mi-novembre 2024, de placer le plus haut gradé de la police comme CP par intérim, dans le sillage du départ expéditif du tonitruant Anil Kumar Dip, qui voulait en débattre avec le DPP, Ramgoolam s'est vite ravisé. Il avait expliqué, en novembre dernier, à l'express, qu'«il y a trop d'unités rivales au sein de la police. On ne sait plus à qui faire confiance. Pourtant, il nous faut avancer et trouver quelqu'un avec qui on peut travailler, dans la confiance et avec rigueur. On a pensé à Rampersad Sooroojbally, l'ex-Deputy Commissionner of Police.»
- Quelle a été sa réaction, lui avait-on demandé.
- «Vous seriez étonnés mais il ne voulait pas du poste. On a eu à le convaincre....» Aujourd'hui, Sooroojebally, sous contrat, déconstruit la police version Dip/Jagai pour en construire une force nouvelle. Et pour relancer les enquêtes criminelles restées en veilleuse ou mises sous silence au CCID, à l'ICAC ou à la FCC (organisme jadis dirigé par Navin Beekarry qui aurait été mise sur pied pour s'occuper de Ramgoolam et de ses coffresforts), l'ex ASP Daniel Monvoisin refait surface. Les priorités des Casernes centrales : l'affaire Yerrigadoo/Bet365, Angus Road, l'affaire St-Louis, l'affaire Kistnen, entre autres.
Fidèles politiques
Le cabinet de Navin Ramgoolam a été choisi pour satisfaire d'abord les travaillistes, ensuite les trois alliés : le MMM, les Nouveaux Démocrates et Rezistans ek Alternativ. Sur le front bench : deux PTr (Ramgoolam et Shakeel Mohamed comme numéro trois) et deux MMM (Bérenger et Bhagwan). Au cabinet : il y a 15 ministres PTr si on inclut Gavin Glover, l'Attorney General qui a choisi de quitter momentanément son étude qu'on dit très lucrative pour épauler son ex-client, Navin Ramgoolam, afin de rendre la justice «plus accessible» aux Mauriciens. «Je veux mettre à la disposition du pays les compétences acquises pendant 40 ans au barreau. (...) À la veille de mes 63 ans, c'est le moment de passer quelques années au bureau de l'Attorney General.» Parmi les priorités du Chief Legal Adviser du cabinet de Navin Ramgoolam : plusieurs lois qui doivent être modifiées, d'autres introduites...On en saura plus dans le discours programme que prononcera le président de la République, Dharam Gokhool, le vendredi 24 janvier.
Le sort de Paul Bérenger intrigue pratiquement tout le monde au sein de l'alliance de gouvernementale : il n'a pas de portefeuille, n'est pas ministre-mentor mais vient d'avoir un Senior Adviser en la personne de Vijay Makhan, ancien diplomate, qui devra faire attention à ne pas marcher sur les platesbandes du nouveau ministre des Affaires etrangères, Ritish Ramful, et celles de son junior minister Rajen Narsinghen...
Figures historiques
Le cercle rapproché de Navin Ramgoolam inclut des figures historiques, des compagnons de lutte et des stratèges de l'ombre. Rama Sithanen a été nommé à la Banque centrale pour relancer le combat contre l'inflation et faire remonter la roupie (qui maintient pour l'heure sa glissade face au dollar). Il préside aussi l'organisme de régulation des services financiers, secteur dans lequel Sithanen, l'un des pères de l'offshore, avait des intérêts directs et indirects jusqu'à tout récemment. L'ex-économiste de la MCB, Gilbert Gnany, considéré comme un proche de Sithanen, est catapulté au PMO comme Chief Economist, qui aura la lourde tâche d'interagir avec le FMI, la Banque mondiale et les agences de notation comme Moody's, tout en restaurant la crédibilité des chiffres macroéconomiques et économiques, dont, en priorité, ceux du Bureau central des statistiques.
Des figures de l'ombre comme le communicant et ex-journaliste, Alain Gordon-Gentil, ont été postés, comme jadis Dan Callikan, pour veiller à l'image personnelle du PM, qui a été refaite depuis sa défaite de 2014.
Proposée par les Mauves, contestée à un moment par certains, Shirin Aumeeruddy-Cziffra incarne des symboles d'unité et de mémoire, surtout au sein d'un Parlement où le nombre de femmes reste loin de la parité. D'autres, tel Ashok Subron, apportent un regard critique et alternatif. Leur présence rassure, mais leur parole bouscule aussi.
Un groupe de confidents jouent un rôle discret. Ramgoolam les consulte au téléphone de manière régulière et soutenue. D'une part, ils protègent Ramgoolam des pièges de la bulle politique et des déformations de la réalité. D'autre part, ils testent, ajustent et diffusent les lignes stratégiques dans l'opinion publique. Ces personnes se font souvent inviter sur les plateaux de radio pour défendre le gouvernement et acculer l'ancien régime (les chaînes de la MBC pourraient désormais les accueillir). Ils s'agitent, entre-temps, sur la toile et déversent leur bile sur les adversaires jusqu'à ce qu'ils obtiennent une récompense pour services rendus à la cause. Certains ont déjà été casés dans des compagnies d'État, corps parapublics ou organismes de régulation, voire sur le board de la MBC, qui accueille, sous la présidence fraternelle d'Amaresh Ramlugan, de nouveaux espoirs pour réinventer la seule station de radiotélévision de Maurice.
D'autres prennent leur mal en patience et attendent un poste de conseiller, d'ambassadeur ou un fauteuil en cuir à Air Mauritius ou à la State Bank. Un petit groupe d'excités ou de fans déréglés, sur les réseaux sociaux, attendent un financement pour leur ONG, une reconnaissance pour leurs prises de position, une présidence, bref un rôle à jouer dans la gestion commune de la cité.
(À g.) : Suresh Seebaluck, ancien grand commis de l'État, marque son grand retour à l'Hôtel du gouvernement avec les honneurs. (À dr.) : Alain GordonGentil a été posté à la MBC, et pour l'heure, Rajah Ramdaursingh et Sanjay Bhuckory n'ont pas encore été casés. Le seront-ils ?)
Cependant, dans cette proximité se cache un risque. Trop d'influence peut brouiller la vision. Ramgoolam, lucide, veille à conserver l'équilibre entre écoute et autonomie. Gouverner, c'est aussi savoir dire non à ses plus proches, dont plusieurs se mettent volontairement en retrait car ils savent qu'ils ne doivent pas trop insister : Sarat Lallah à Mauritius Telecom sera-t-il aussi CEO ? Sherry Singh sera-til récompensé comme d'autres qui ont changé d'allégeance ? Même s'ils n'ont rien demandé, verra-t-on le retour d'autres seniors ? Manou Bheenick ? Rajah Ramdaursingh ? Sanjay Bhuckory ? Megh Pillay...
Alliés et Opportunistes
Le pouvoir séduit, attire, aimante. Ramgoolam le sait et l'accepte, et regarde les autres effectuer leur ballet de courbettes, des fois sous ses yeux amusés. Autour de lui gravitent des alliés sincères, mais aussi des opportunistes guidés par l'ambition pour leur parti, leur patrimoine personnel ou celui de leurs enfants. Il a choisi de placer certains près de lui (pour mieux les surveiller ?), d'autres un peu plus loin, mais il a un oeil sur tous, y compris sur les nouveaux junior ministers qui auront à faire leurs preuves tout en marchant selon la musique du chef et la discipline du... ministre des Finances qui a une marge de manoeuvre extrêmement limitée... en attendant le jackpot autour des Chagos, si tant que Donald Trump ne vienne pas tout chambouler comme il menace de le faire au Panama.
La stratégie de Ramgoolam repose sur une inclusion calculée. Anciens ministres, députés aguerris et jeunes talents doivent trouver leur place dans un dispositif qui équilibre diversité et changement.
Mais cette diversité est aussi un défi. Les alliances peuvent se transformer en rivalités. Les ambitions personnelles de ceux qui l'ont coulé dans le passé, que ce soit au niveau de l'aéroport ou au sein des institutions financières qui avaient permis l'expansion incontrôlée de la BAI de Dawood Rawat, menacent la cohésion. Ramgoolam doit ainsi jongler entre ouverture et discipline, imposant une autorité souple mais ferme.
Dans un monde incertain, gouverner, c'est prévoir. Ramgoolam cherche à mobiliser des compétences pointues pour naviguer dans la complexité de certains dossiers. Des avocats comme l'ami personnel de Navin Ramgoolam, Philippe Sands, deviennent alors les éclaireurs d'une politique pragmatique, ouverte sur le monde. Ces experts ne sont pas des élus, mais des garants de l'efficacité, reconnaît Ramgoolam. Ils rédigent des rapports, modélisent des scénarios et anticipent les crises. Leur rôle, cependant, n'est pas neutre. Ils concentrent un pouvoir discret mais réel. Ramgoolam sait utiliser leur expertise sans céder sur ses prérogatives. Il capte leur savoir sans se laisser enfermer dans leurs dogmes. Il écoute, mais tranche. Gouverner, c'est faire de la connaissance un outil, et non une contrainte, confie un ancien haut fonctionnaire qui travaillait au PMO au temps de Regis Yat Sin.
(L'ancien DPP et l'économiste Eric Ng pourraient être nommés prochainement, selon ceux qui sont dans le secret des dieux.)
Société civile : Résonance politique
Ramgoolam sait que l'État ne peut plus se contenter d'être une machine verticale. Il dialogue avec la société civile, capte ses attentes et anticipe ses colères afin de démontrer le changement en termes communicationnels. Chefs d'entreprise, directeurs de journaux, leaders syndicaux, quelques artistes et militants de causes diverses ont reçu ses cartes de voeux et deviennent des capteurs sociaux que Ramgoolam consulte de temps en temps, dépendant des dossiers et des actualités. Ils apportent des perspectives nouvelles et servent de relais vers des segments d'opinion souvent délaissés par les élites politiques ; cependant d'aucuns recherchent des faveurs que le PM repousse gentiment. Ce dialogue n'est jamais sans risque. Trop d'ouverture fragilise l'autorité. Trop de distance engendre la méfiance.
C'est dans l'adversité que se révèle la vraie nature du pouvoir. Lorsque les crises frappent, Ramgoolam mobilise ses hauts fonctionnaires, son cabinet, aiguise ses stratégies et resserre ses cercles.
La prise de décision, comme pour le paiement du 14e mois, devient alors un acte de précision chirurgicale. Il consulte, délègue, mais tranche seul, sans Bérenger. Sa capacité à absorber les tensions tout en conservant une direction claire lui permet d'éviter les écueils du chaos comme lors du précédent 60-0 de 1995 quand le PTr et le MMM ont divorcé deux ans après leur triomphe.
Le pouvoir est un art d'équilibre. Ramgoolam l'a compris. Il sait que déléguer, ce n'est pas céder, mais maîtriser. Son réseau d'experts, de confidents et d'alliés, qui se met en place, constitue à la fois sa force et son défi.
Pourtant, gouverner après le troisième 60-0 de l'histoire récente de Maurice impose plus qu'un exercice de maîtrise. C'est un appel à la vigilance et à l'humilité, une invitation à inscrire cette victoire dans la durée. Car si l'histoire politique mauricienne enseigne une leçon, c'est que les triomphes absolus portent en eux les graines de leur propre effondrement.
En 1982, l'ambition personnelle et les querelles idéologiques ont fait voler en éclats une alliance née sous le signe du renouveau. En 1995, un projet de modernisation et de stabilité s'est heurté aux mêmes écueils. En 2025, l'histoire, une fois encore, tend un miroir. La question n'est plus celle de la victoire, mais de son sens.
Ce troisième 60-0 est un verdict écrasant. Mais il est aussi un cri silencieux d'un peuple qui refuse la stagnation et aspire à la reconstruction. Ce score historique désavoue le régime Jugnauth, mais il n'est pas un blanc-seing pour Ramgoolam. Il confère une responsabilité immense, celle de guérir un pays ébranlé dans ses fondations, divisé dans ses émotions et fragilisé dans ses institutions.
Pour réussir là où d'autres ont échoué, Ramgoolam et son gouvernement doivent transcender leurs divergences internes, maîtriser les ambitions personnelles, éviter les loups qui se drapent en moutons et privilégier les compétences sur la seule loyauté. Chaque décision devra porter l'empreinte de la transparence. Chaque nomination devra être justifiée non par des calculs politiques, mais par des critères de mérite et de compétence, comme préconisé lors de la campagne électorale.
L'histoire jugera ce troisième 60-0. Mais elle ne le fera pas à l'aune des slogans. Elle le fera sur la base des décisions prises, des nominations faites, des réformes engagées et des sacrifices consentis pour réduire le train de vie de l'État, afin que le peuple ne soit pas seul à se serrer la ceinture. Derrière un Premier ministre, plusieurs doivent jouer sur une même partition. Sinon implosion possible...
Dix ans après : Éviter les erreurs du passé
Le nouveau Navin Ramgoolam a retenu les leçons de 2014 et évite de répéter les erreurs du passé où certains flagorneurs lui faisaient croire que tout allait bien et que son alliance avec le MMM de Paul Bérenger était imbattable. Les amis intimes comme Rakesh Gooljaury et Nandanee Soornack - et leur affairisme d'État - avaient grandement contribué à la chute du régime Ramgoolam et à la victoire de l'Alliance Lepep. Il y avait aussi ceux qui faisaient partie d'une clique d'agents dans le Nord : Suryadeo Sungkur (bail sur la plage de Trouaux-Biches) Leckram Nundlall (Triolet Bus Service), et Jayraj Woochit qui détenait un bail à l'Îlot Gabriel. D'autres noms cités à l'époque de la chute de 2014 et des affaires dénoncées : l'avoué Pazhany Rangasamy, le député Kushal Lobine et l'ancien journaliste Harish Chundunsing, qui sont dans le giron du pouvoir, mais qui n'ont rien obtenu jusqu'ici. Dans le cercle intime de Navin Ramgoolam, l'on dit que ce dernier est adepte du dicton : le chat ne boit le lait chaud qu'une seule fois... et il a tendance à éviter même l'eau froide ensuite.