En mars, le coup d'envoi sera donné de l'intervention de l'Agence française de développement (AFD) dans le secteur eau à Rodrigues. Une étude préparatoire sera lancée pour mettre en place un nouveau programme d'investissement dans ce secteur.
Une seule fausse note majeure entrave les possibilités pour Rodrigues de maintenir le tempo qui a marqué sa maturité tant sur les plans politique et économique. Sur le plan politique, elle a obtenu en 2001 le statut d'île autonome avec l'institution de l'Assemblée régionale de Rodrigues (ARR). Sur le plan économique, le tourisme est en pleine ébullition avec une hausse de 41 112 arrivées entre 2022 (83 619) et 2023 (124 731), les visiteurs venant surtout de la Réunion et de la France, sans compter de nombreux Mauriciens.
Quelle est donc cette fausse note ? Il s'agit d'un épineux problème de production, d'assainissement et de distribution d'eau. Une situation qui persiste en dépit des efforts considérables déployés par la Rodrigues Public Utilities Corporation (RPUC) par le biais d'un vaste plan de dessalement d'eau de mer et l'implication de la population dans la récupération et la conservation d'eau pluviale. Toutefois, 2025 sera marquée par un ensemble d'initiatives visant à doter Rodrigues d'un système de production, d'assainissement et de distribution d'eau qui corresponde au statut qu'elle veut afficher aux yeux du monde.
À l'origine de ce vaste projet, deux partenaires. D'une part, la RPUC, entité privée créée le 18 juin 2021 et appartenant à l'ARR, dont la mission consiste à mettre en place une formule pour améliorer le système de production, stockage, traitement et distribution à chaque résident. L'autre partenaire est l'AFD française, qui apportera l'aide financière et technique pour combattre la pauvreté et favoriser l'émergence d'un modèle de développement durable. Rodrigues fait désormais partie des quelque 4 200 projets de l'AFD dans les Outre-mer et environ 150 pays du monde. L'AFD a ainsi prévu un apport de 30 millions d'euros (Rs 1,5 milliard) soit 10 millions d'euros par an sur trois ans pour aider Rodrigues à disposer d'un système de production, stockage, assainissement et distribution digne de ce nom.
Les principaux instruments techniques
Sur le plan technique, l'AFD a fait entrer en scène à Rodrigues un ensemble d'instruments techniques qui peuvent aider Rodrigues à gérer son problème d'eau. Parmi ces instruments d'intervention, figurent : le Fonds d'expertise technique et d'échanges d'expériences (FEXTE) qui assure le financement de programmes de coopération technique et d'études de projets dans les pays en développement; le Fonds d'études et d'aide au secteur privé, (FASEP) qui permet à l'AFD de débourser des subventions ou avances remboursables pour la mise en place d'études de faisabilité ; la BRL Ingénierie (BLRi), spécialisée dans l'aménagement et la gestion des ressources en eaux ;
la Société d'études techniques et économiques (SETEC), un groupe de consultants et d'ingénieurs français ; la Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) pour son approche innovatrice en gestion de ressources en eau surtout dans les régions avec une pluviométrie déficitaire et irrégulière ; le Bureau de recherches géologiques et minières, (BRGM) de l'AFD pour la gestion des ressources et des risques du sol et du sous-sol en lien avec les objectifs de développement durable. Sa mission au coût de 1,3 million euros vise à acquérir des connaissances et données hydrogéologiques grâce à la géophysique aéroportée, une technologie d'imagerie non invasive. Le coût des recherches de ressources d'eaux souterraines sera à la charge de l'ARR ; et Adapt Action mise sur pied en 2017 pour permettre aux bénéficiaires d'accéder plus facilement à la finance climatique internationale.
Rénovation
Laeticia Habchi, directrice du bureau de l'AFD à Maurice, explique la décision de l'AFD de s'impliquer dans le secteur eau à Rodrigues. «À certains moments, il faut dire stop aux études et encourager la mise en oeuvre des projets. C'est ce que l'AFD fait en soutenant pleinement la RPUC. Je dois la féliciter ainsi que l'ARR pour la prise en main de la problématique de l'eau depuis deux ans. D'importants progrès ont été effectués depuis les assises de l'eau tenues en février de 2023.» Pour elle, tout développement majeur dans le secteur eau ne peut se faire sans bousculer le présent. «La clé de voûte d'un retour à l'eau pour tous est la rénovation de l'existant, le démarrage effectif de nouveaux projets d'investissement pour que l'accès à l'eau devienne une réalité que ce soit par la construction de réservoirs, le remplacement des tuyaux actuels, la production d'eau mais aussi par des solutions qui résultent de l'expérience acquise par ces hommes qui vivaient proches de la nature. Une attitude qui devrait permettre un retour à des pratiques de ces anciennes générations de Rodrigues qui connaissaient la récupération et la conservation des eaux pluviales, l'entretien des rivières ou encore l'aménagement de puits là où il y a une abondance d'eaux souterraines», ajoute-t-elle.
Le programme d'investissement
Les choses sérieuses vont démarrer en mars prochain avec la mise en route d'une étude préparatoire pour la mise en place d'un nouveau programme d'investissement dans le secteur eau à Rodrigues. Les principaux objectifs s'articulent en quatre axes. Le premier consiste à rechercher l'amélioration du système de production et de distribution de l'eau potable dans l'île. Le deuxième veut faire en sorte que l'accès à l'assainissement et l'amélioration du traitement des eaux usées devienne une réalité. Le troisième devrait permettre aux résidents rodriguais de disposer d'un système innovateur de gestion des eaux pluviales et des précipitations intenses et prolongées susceptibles de provoquer des inondations. La quatrième phase de cette étude devrait permettre de repérer le potentiel réel de l'île en ressources en eau. Le montant prévu pour ce projet d'études est de 500 000 euros (Rs 24,6 millions). La contribution financière de l'ARR à sa réalisation s'élève à 10 % de la somme consentie par l'AFD.
Le rôle du déboisement
Faut-il attribuer au seul phénomène du changement climatique la pénurie d'eau à Rodrigues ? Les aînés se souviennent encore de ces vallées dont les versants abritaient de véritables forêts tropicales alimentant les rivières de l'eau que leur biodiversité permettait de retenir. Il faut fouiller dans la mémoire populaire pour retrouver ces eaux qui coulent des points élevés vers les terres situées sur les terrains plats comme c'était le cas pour des eaux en provenance de la montagne de Quatre-Vents transitant par plusieurs réservoirs en passant par le village de Mangues avant de se jeter dans la mer sur la côte nord de l'île.
Autre exemple, la forêt de Malartic du chemin qui relie le village de Petit-Gabriel à celui de Mont-Lubin, où les rayons du soleil avaient du mal à percer l'armure des feuilles de jamrosades réputés pour leurs fruits très sucrés . L'eau coulait avec une abondance déconcertante dans la rivière qui passe non loin de l'église de St-Gabriel en passant par la Vannie avant de se laisser entraîner vers les chutes qui donnent sur la côte d'Anse-Baleine. Avec l'acharnement des hommes contre toute une famille d'arbres endémiques des Mascareignes, les Bois d'olive, Bois puant ou encore les acacias géants se sont retirés sur la pointe des pieds.
Rodrigues a toujours été victime d'un déboisement systématique tant pour satisfaire ses besoins en termes de bois à feu ou pour la construction de maisonnettes dont l'ossature était faite à partir du bois des forêts. C'est ainsi que graduellement Rodrigues a été amputée et dépouillée de ses nombreuses forêts dont le rôle a été considérable pour le maintien d'un système naturel de production d'eau et pour assurer l'existence d'un modèle de développement durable.