L'histoire de la construction nationale du Mozambique est loin d'être achevée. Le pays continue de chercher une identité nationale cohérente, des institutions solides et des bases économiques capables d'unifier ses différentes couches. Ces éléments sont essentiels pour promouvoir l'harmonie sociale et la stabilité politique.
Le processus de construction nationale trouve ses racines dans les dernières décennies de la domination coloniale portugaise, dans les années 1960. À cette époque, il a été porté principalement par les mouvements de résistance et de luttes anticoloniales. L'émergence de groupes nationalistes visait à unifier les divers groupes ethniques et à renverser les pouvoirs coloniaux. La lutte pour l'indépendance a favorisé l'émergence d'un sentiment d'identité commune.
Mais après l'indépendance en 1975, de nouveaux défis liés à la construction de la nation sont apparus. Le conflit entre le parti Frelimo, qui a triomphé dans la lutte de libération nationale contre le Portugal, et l'opposition armée, Renamo, a entraîné un long processus de déstabilisation. Il a fragmenté une unité nationale déjà fragile. À cela s'ajoutent les défis liés à l'établissement d'un État socialiste.
Mes recherches actuelles portent sur la manière dont la construction d'une nation est représentée dans la littérature de fiction. La littérature peut apporter une perspective nuancée sur les dimensions culturelles et sociales du processus de construction d'une nation. Un éclairage parfois négligé par les analyses strictement historiques ou politiques.
J'ai examiné les oeuvres de fiction publiées après l'indépendance, couvrant la période de 1992 à 2022. Mes recherches portent sur un aspect moins exploré de la littérature mozambicaine : le rôle de la mobilité, c'est-à-dire la façon dont les gens se déplacent. Cela englobe l'utilisation des transports publics, les voyages et les migrations.
La mobilité peut révéler comment les individus et les communautés se déplacent à travers les paysages sociaux, économiques et culturels. Elle peut fournir des indications sur l'accessibilité des ressources ou l'impact des infrastructures sur l'intégration sociale. Par ailleurs, le mouvement revêt souvent une dimension symbolique dans la littérature, représentant des transitions ou des défis sociétaux plus vastes. Il peut symboliser la liberté, la lutte ou le progrès dans les récits de construction nationale.
Mes recherches portent sur un thème central de ces ouvrages : le passage du Mozambique du socialisme au capitalisme néolibéral. Elles mettent en évidence la tension entre les idéaux d'égalité et les réalités de l'inégalité, de la lutte économique et de l'éclatement des communautés.
Elles mettent également en lumière la lutte permanente pour définir l'identité du Mozambique, façonnée par des cultures diverses, l'histoire coloniale, le socialisme et la mondialisation.
Voyages réels et symboliques
J'ai sélectionné quatre romans critiques écrits par des Mozambicains. Ils reflètent les réalités changeantes de ce pays d'Afrique australe au cours des décennies qui ont suivi l'indépendance.
Ces oeuvres sont Terra Sonâmbula (Terre somnambule) (1992) et O Outro Pé da Sereia (L'autre pied de la sirène) de Mia Couto publié en 2006 ; O Comboio de Sal e Açúcar (1999), (Le Train de sel et de sucre) du Brésilien-Mozambicain Licínio Azeved; et Museu da Revolução (Le Musée de la révolution) de João Paulo Borges Coelho publié en 2022.
Dans chacun de ces romans, les transports publics jouent un rôle central. Ils structurent le récit et incarnent les dynamiques complexes de construction de la nation.
Par exemple, dans Terra somnambula, Couto dépeint un bus incendié pendant la guerre civile de 1976 à 1992. Ce bus devient le refuge de deux personnages, symbolisant à la fois l'effondrement du projet de modernisation de l'État et la lutte pour trouver un semblant de stabilité au coeur du chaos.
Le projet de modernisation du Mozambique visait à industrialiser rapidement le pays et à l'unifier sous l'égide d'un État centralisé. Mais ces efforts ont été sapés par des forces extérieures. Par exemple, les régimes politiques blancs d'Afrique du Sud et de Rhodésie (actuel Zimbabwe) et la guerre civile dévastatrice qui a duré 16 ans ont paralysé les infrastructures, déplacé les communautés et aggravé l'instabilité économique et sociale.
De nombreux symboles de progrès, tels que les bus, les routes et les écoles, ont été abandonnés ou réaffectés, illustrant les défis du Mozambique dans la réalisation de ses objectifs après l'indépendance.
Terra somnàmbula décrit la trajectoire postcoloniale du Mozambique comme étant marquée par la fragmentation et la résilience. Il montre comment les gens ordinaires se sont adaptés et ont résisté au chaos de la guerre.
O Comboio de Sal e Açúcar d'Azevedo se concentre sur un train militaire qui transporte des civils et des soldats pendant la guerre civile. Le voyage est précaire, marqué par des arrêts et des réparations fréquents. Cela reflète la fragmentation et l'identité brisée de la nation. Le livre met également en lumière la résilience humaine face à l'adversité et les difficultés à réaliser le projet socialiste.
Museu da Revolução de Coelho présente une voiture Toyota Hiace, symbole de la mobilité contemporaine. Elle incarne la dépendance du Mozambique à l'égard du capitalisme mondial.
En retraçant le périple d'une voiture depuis le Japon jusqu'au Mozambique, Coelho met en lumière les forces internationales qui ont façonné les structures économiques et sociales du pays. Il explore l'intégration du Mozambique dans les circuits du capitalisme mondial et ses relations internationales.
Dans tous les livres, les véhicules représentent le mouvement ou le passage du temps. Ils incarnent également les obstacles et les contradictions de la trajectoire post-indépendance du Mozambique.
D'après ma lecture des romans, le parcours du Mozambique après l'indépendance est marqué par deux problèmes principaux :
L'entrée accélérée dans l'économie néolibérale : le pays a rapidement adopté un système axé sur les marchés libres, la privatisation et la réduction du contrôle de l'État. Cela a engendré des défis économiques et sociaux.
L'effacement de la mémoire historique : le passé du pays a été perdu ou négligé. Ce qui rend plus difficile l'apprentissage à partir de telles expériences ou leur mise en valeur.
Je soutiens également que ces romans mettent en évidence les systèmes injustes et les déséquilibres de pouvoir dans le processus d'intégration du Mozambique à l'économie capitaliste mondiale.
Système capitaliste mondial
Cette recherche apporte une nouvelle perspective à la littérature mozambicaine. Au Mozambique, la mobilité représente un besoin pratique et un symbole des progrès politiques et économiques inégaux.
Les symboles - comme le bus brûlé, le bateau échoué et le train lent - reflètent les luttes du pays avec le colonialisme, la guerre civile et la mondialisation. Ils sont reflétés dans la société par les inégalités et les habitudes de consommation.
La fiction saisit les défis du processus de construction d'une nation dans un contexte historique et mondial complexe. Elle reflète ces luttes et façonne notre compréhension des questions politiques, sociales et économiques du Mozambique.
Jessica Falconi, Assistant Researcher, Centre for African and Development Studies, Universidade de Lisboa