A la suite des propos tenus par le Président français, Emmanuel Macron, relatifs au départ des forces françaises en Afrique, l'analyste politique, militant panafricain, Imhotep Lian woué Bayala donne sa lecture sur cette actualité qui a suscité des réactions sur le continent.
Comment vous avez apprécié l'intervention du Président français Emmanuel Macron sur la coopération militaire de la France avec l'Afrique, au cours de sa rencontre avec les ambassadeurs ?
Je pense que cette sortie est hasardeuse. Elle est triste pour l'image de la France. Je pense que la France ne mérite pas ce visage, d'avoir un porte-parole de « l'indignité ». La France est un Etat suffisamment respectable pour avoir un président suffisamment responsable, mature, conscient des enjeux qui la lient à l'Afrique et au reste du monde. Je voudrais tout simplement présenter mes encouragements au peuple français qui lutte présentement contre l'indignité, l'illégitimité et est confronté à des milliers de problèmes que Macron fuit pour plutôt faire une sorte de dérision et s'occuper des problèmes d'autrui qui ne relèvent pas de sa responsabilité.
Ce n'est pas à lui, Macron unilatéralement, d'apprécier une coopération avec un pays dans ce cadre où il s'adressait aux diplomates français. Mais, tout compte fait, on sait que Macron est l'héritier fidèle de l'arrogance française. Il est l'héritier fidèle de tous ces présidents français qui se sont succédé et qui ont été incapables de mettre à jour le logiciel colonial français de sorte à établir avec les ex-colonies des rapports de civilisés. Je pense qu'une telle attitude enlève à la France sa crédibilité d'Etat civilisé.
Un prétendu civilisateur ne parle pas ainsi. Car, un civilisateur est aimant, élégant, respectueux et responsable. Parler de cette façon vient confirmer et valider ce désir intense porté par des générations d'Africains qui ne veulent plus demeurer dans une relation où ils sont piétinés et méprisées. Et, Macron vient conforter ceux qui hésitaient à tourner radicalement le dos à cette France. Il est le porteparole, de par sa condescendance, son paternalisme, son propos nourri de mépris. J'avoue que personne ne voudrait coopérer avec une telle République.
C'est pour cela que cette coopération militaire française est aujourd'hui désavouée. C'est la somme de ces échecs, l'incapacité de ces leaders, jusqu'à Macron, à lire les dynamiques sociopolitiques et à être capables de réadapter le logiciel de coopération militaire avec les pays africains.
Pour Emmanuel Macron, le départ des troupes françaises de l'Afrique est lié à des besoins de réorganisation voulue et non des départs forcés comme le font croire certains dirigeants africains. Quel commentaire faites-vous ?
C'est un propos désincarné complètement, car Emmanuel Macron est dépassé par les évènements. Il ne peut pas dire que le sort de personne sans domicile fixe, qu'est celui de l'armée française, est lié à une volonté de réorganisation.
Mais, elle était où cette volonté n'eut été la détermination de cette jeunesse africaine qui a su dire non à une forme de recolonisation savamment pensée et dont les fruits et les résultats de la coopération militaire étaient pendant longtemps, soient des complicités avérées, soient des actes délibérés d'atteinte à la souveraineté d'Etat, comme le cas de la Côte d'Ivoire en 2010, quand l'armée ivoirienne a tiré à bout portant sur un peuple. Je ne pense pas que sa réputation et le regard que les Africains portent sur elle est toujours le même. Ce n'est pas une armée qui sauve mais une armée qui donne la mort.
Quand on éventre le palais du Président Laurent Gbagbo avec l'opération Licorne, est ce que cela n'a pas nourri chez les Africains une sorte d'éveil de conscience spectaculaire à vitesse grand V qui les amène à comprendre toute la nuisance de la présence de l'armée, sinon ce groupe de mercenaires français qui ont participé à des oeuvres de déstabilisation avérées comme en Lybie, ou de génocide comme au Rwanda et encore. En 2020, le ministre de la Défense burkinabè, Cherif Sy, adressait une note d'interpellation à l'attaché militaire de l'ambassade de
France pour intimer l'ordre de ne plus jamais survoler les positions avancées de l'armée burkinabè, parce qu'à chaque fois, qu'il y avait ce type de mouvements, de façon étonnante, nos positions étaient toujours attaquées. Je pense que l'ensemble de ces faits ont alimenté une prise de conscience de survie. Cette prise de conscience a emmené un sentiment de frustration et de mise en position de légitime défense qui a poussé les Africains a contesté.
Seul Emmanuel Macron qui est dans l'illusion de monarque de France ne voit pas la réalité d'une jeunesse africaine qui ne veut plus sous-traiter sa sécurité mais plutôt l'assumer. Cette jeunesse africaine ne veut plus déléguer la sécurité de son territoire et de ses ressources à un groupe de mercenaires. Pour conclure, je veux insister sur le fait que ce n'est pas la France qui a renégocié sa présence, mais elle a été contrainte de constater un beau matin une annonce venant de Ouagadougou pour demander le départ de l'opération Sabre, la fin de l'opération Barkhane, la sommation de déguerpir du Niger sans qu'elle n'ait été consultée par nos leaders. Elle est obligée de se réorganiser avec des pays plus convenables.
Que pensez-vous des propos du président français qui estime que les présidents africains sont ingrats ?
Interrogeons la mémoire parce qu'Emmanuel Macron semble souffrir d'une amnésie. Je convoque la mémoire parce que dans les relations entre l'Afrique et la France, on doit se poser la question de savoir qui doit des remerciements à l'autre. Est-ce à l'Afrique de remercier l'oppresseur ou est-ce à la France de présenter ses excuses à l'Afrique dans un acte de repentance morale et sincère.
Est-ce qu'il serait juste pour nous les Burkinabè de dire merci à la France dont les mains sont tachées de sang dans le crime d'octobre 1987 ? Même si nous souffrons d'amnésie collective, il y aura des citoyens burkinabè pour nous rappeler que nous ne pouvons pas dire merci à la France. Parce que nous avons constaté que l'ensemble de cette présence nous a plutôt nui, plus qu'elle a fait du bien.
La dette morale, la dette de sang que la France est incapable de payer, devrait plutôt nous amener à nous plaindre de la France pour ne nous avoir pas dit merci de l'avoir sauvée, in extremis, des hordes de nazis. La France était sous occupation allemande de 1940 à 1944. N'eût été le courage des Africains, venus du coeur du continent, la France serait en train de parler Allemand. Nous avons permis à la France de demeurer un Etat et d'avoir un président, même s'il est ingrat, nous le comprenons.
C'est certainement une suite d'illogisme , mais nous espérons un jour que la France aura un leader à la hauteur des nouveaux enjeux du monde, d'une coopération civilisée et responsable. Pour notre part, nous attendons que la France nous dise merci pour tout ce que nous avons fait de façon légale, officielle et officieuse pour elle, jusqu'à ce que leur élection bénéficie de djembé money. La France devrait plutôt remercier l'Afrique.
Le président nigérien accusait le Nigeria et le Bénin de vouloir déstabiliser son pays, à partir des bases militaires françaises. Peut-on dire que la sortie de Macron confirme ces allégations ?
Aujourd'hui, l'AES mène un combat qui est le couronnement de la volonté divine. Ce n'est plus nous qui nous battons pour avoir des preuves de ce que nous affirmons. C'est plutôt celui qui est accusé qui ne fait que valider, confirmer nos assertions. Lorsque le Président Tiani faisait cette déclaration, tout le monde lui est tombé dessus, y compris le Nigeria et le Bénin qui sont concernés. Sauf que la France étant spécialiste de l'ingratitude morale et politique, elle l'annonce sans concerter le Nigeria et le Bénin qui sont ses nouveaux alliés dans la réflexion de sa présence, à l'effet de déstabiliser ou de mercenariat.
Ce sont des généraux français qui ont dit sur des plateaux que leur départ permettra d'avoir une forme de présence moins visible, mais qui aura la même dangerosité que celle que nous venons de décrire. Macron nous l'a dit, avec le Nigeria et le Bénin qui également niaient, je pense que les militaires béninois doivent convoquer Patrice Talon pour comprendre si les affirmations de Macron sont vérifiées. Nous sommes à l'aise parce que ce n'est pas nous qui accusons sans preuves et sans fondements, mais c'est celui qui est accusé qui vient justifier les faits que nous mettons sur la table.
Quel avenir pour la France en Afrique, selon vous ?
Si nous prenons cette trajectoire sur laquelle la France est, elle ira de mal en pis. Et, je dirai que c'est une Afrique qui va s'élaborer sans la France. Et comme disait Thomas Sankara, il appartient à la France de comprendre, tous les signaux lui ont été donnés pour lui dire de rééquilibrer son rapport au reste du monde, faire en sorte d'être une nation enviable. Ne comprenant pas l'Afrique et ne désirant pas comprendre les cris pour la souveraineté et l'indépendance des pays africains, je dirais que nous partons vers un avenir africain sans la France. Il lui appartient de choisir. Est-ce qu'elle pourra tenir la survie et les exigences de sa population sans une coopération avec l'Afrique ? C'est à elle de se poser cette question et l'Afrique sera là pour discuter avec elle sur les conditions fixées auxquelles elle devra se soumettre car ne disposant pas de ressources.