Les tensions entre Paris et Alger continuent de croître depuis la volte face diplomatique de Paris sur le Sahara Occidental, l'arrestation de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, et le Goncourt attribué à Kamel Daoud pour son roman Houris. Un livre qui met en scène la décennie noire, cette période de guerre civile algérienne de 1992 à 2022 qualifiée de tragédie nationale par les Algériens, et qui a fait entre 100 000 et 200 000 morts, selon les estimations. Un sujet encore largement tabou mais régulièrement exploité par les écrivains des deux pays.
La mémoire de ce conflit est toujours sous l'étroit contrôle des autorités algériennes. Il existe en effet un article, l'article 46 de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, adoptée en 2005, qui prévoit de lourdes peines de prison et d'amendes pour quiconque utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, cette période de 1992 à 2002 de guerre civile algérienne qui a provoqué la mort d'environ 100 000 à 200 000 personnes.
Toutefois, le sujet n'est pas tabou. Dès les années 1990, les livres nourrissent un travail mémoriel qui se poursuit jusqu'à aujourd'hui. Par exemple, le deuxième roman d'Aziz Chouaki, l'Etoile d'Alger, Assia Djebar avec le blanc de l'Algérie, ou encore le Quatuor algérien de Yasmina Khadra pour évoquer les plus célèbres.
« Des perceptions de l'enfance »
À Alger, les éditions Barzakh publient 1994 d'Adlène Meddi, qui revient sur les guerres qui ont traversé et imprègnent encore le pays. C'est aussi chez Barzakh en Algérie et chez Gallimard en France que l'on retrouve Bientôt les vivants d'Amina Damerdji, prix transfuge du meilleur roman français 2024 et lauréat du prix de la littérature arabe des lycéens.
Un roman qui utilise tous les sens pour raconter les années de la guerre civile et explorer la décennie noire. Amina Damerdji avait 7 ans quand elle a quitté l'Algérie. Elle a puisé dans ses souvenirs pour écrire Bientôt les vivants.
« Le matériau à partir duquel j'ai écrit n'est pas un matériau historique, historiographique. Ce sont vraiment des perceptions de l'enfance, des odeurs, par exemple l'odeur de ciment. Puisque tout Alger a commencé à monter ses murs, nous aussi, les murs se sont mis à monter, les fenêtres ont commencé à avoir des barreaux. Les portraits se doublaient, les étincelles des ouvriers qui ajoutaient des portes... Tous ces souvenirs qui sont très fragmentaires, ce sont des souvenirs d'enfance. Je suis vraiment partie de ce matériau très concret », retrace-t-elle au micro de Juliette Rengeval.
« Ce centre équestre - qui est au coeur du livre - où monte Selma, le personnage principal, encore aujourd'hui, quand je suis retournée, quand j'étais dans l'écriture de 'Bientôt les vivants', ce centre équestre est toujours là. Les bâtiments sont délabrés et on voit le trou des balles, les tags des terroristes qui se sont réfugiés dans les box », raconte-t-elle.
Ce cadre m'a semblé à la fois très emblématique, très nostalgique de ce que c'était que perdre son pays, pour moi puisque j'ai dû partir, et pour beaucoup d'Algériens qui ont dû fuir. Mais aussi pour Selma, pour le personnage principal du roman : perdre ce qui était son paradis à elle.