À l'approche des vacances scolaires, de nombreux parents oscillent entre deux sentiments: d'un côté le soulagement d'être débarrassé des difficultés autour des devoirs à la maison, des négociations sur l'heure du coucher et des lamentations sur les boîtes à repas perdues ; de l'autre, l'appréhension face à l'inévitable avalanche de « pourquoi » et de « mais » lancés par leurs infatigables petits enquêteurs. Pour couper court aux arguments parfois illogiques et aux débats sans fin, ils ne tardent souvent pas à jouer l'ultime carte maîtresse des parents, la fameuse : « parce que je l'ai dit ».
En tant que parent, je peux comprendre. Mais je suis aussi un philosophe moral avec près de vingt ans d'expérience dans l'enseignement. Dans les cours de philosophie, les étudiants qui remettent en question des idées - et parfois, ce faisant, contestent l'autorité - sont félicités. Pourquoi n'en est-il pas de même pour les enfants ? Un enfant qui remet en question ses parents est-il « insolent » ? Ou bien exerce-t-il ses facultés mentales nécessaires à son développement intellectuel et à sa compréhension du monde ?
Le travail d'un philosophe moral consiste à s'attaquer aux idées sur le bien et le mal, le bon et le mauvais, en cherchant à répondre à la question ultime : « Comment devrions-nous vivre ? ». Bien que nous utilisions une série de stratégies pour aborder ces questions éthiques fondamentales, l'un des outils les plus importants à notre disposition est la pensée critique.
L'esprit critique est la capacité d'analyser et d'évaluer des informations et des arguments de manière claire, rationnelle et objective. Face à des informations, l'esprit critique nous pousse à nous demander: pourquoi cette personne dit-elle cela ? Quel pourrait être son objectif ? Existe-t-il une autre explication possible ?
Je ne veux pas dire que l'objectif est d'élever des enfants qui argumentent. Au contraire, comme l'explique le philosophe, penseur stratégique et auteur Peter Facione, il s'agit d'élever des esprits curieux, capables d'interpréter, d'analyser, d'évaluer et de déduire des informations. En d'autres termes, les parents devraient élever leurs enfants pour qu'ils deviennent des penseurs curieux et critiques qui remettent tout en question, même si cela implique qu'ils nous remettent en question nous aussi.
Comment les parents peuvent-ils enseigner l'esprit critique à la maison ? Voici mes cinq meilleurs conseils :
1. Poser des questions ouvertes et encourager les enfants à faire de même.
2. Donner aux enfants l'occasion de prendre des décisions et de résoudre des problèmes plutôt que de le faire à leur place.
3. Discuter du raisonnement qui sous-tend les règles et les décisions que vous prenez pour eux.
4. Encourager les enfants à considérer des points de vue autres que le leur.
5. Montrer l'exemple en pratiquant la pensée critique à haute voix lorsque vous faites face à un problème.
Penser notre pensée
La pensée critique nécessite une métacognition : réfléchir à notre manière de penser.
Réfléchir à nos propres opinions nous permet de reconnaître qu'elles doivent également être examinées et évaluées. Si nous choisissons d'être végétariens, par exemple, est-ce parce que nous tenons à réduire les dommages causés aux animaux, à l'environnement ou aux deux, ou parce que c'est à la mode d'être végétarien ? Une fois que nous avons déterminé les raisons qui nous poussent à faire quelque chose, nous pouvons évaluer si ces raisons sont « bonnes » ou non.
L'esprit critique consiste également à évaluer les raisons des autres. Cela exige que nous soyons ouverts aux points de vue des autres - y compris ceux de nos enfants - plutôt que d'être aveuglés par nos propres préjugés. En même temps, être un penseur critique, c'est prendre au sérieux le fait que tout le monde « a un agenda » (qui n'est pas forcément explicite) et que nous ne devrions donc pas tout prendre pour argent comptant. Nous pouvons apprendre à nos enfants à faire preuve d'esprit critique en les amenant à examiner la qualité des preuves présentées à l'appui d'une position.
En d'autres termes, les parents et les éducateurs peuvent promouvoir l'esprit critique chez les enfants en les encourageant à poser des questions, à remettre en question les hypothèses et à explorer d'autres perspectives. L'esprit critique exige que nous n'acceptions pas passivement tout ce que nous lisons, entendons et voyons, mais que nous posions des questions, que nous évaluions et que nous émettions des jugements.
Voici à quoi cela pourrait ressembler dans la pratique.
Un exemple pratique
Supposons que votre enfant vous demande pourquoi il doit manger des légumes.
Vous pourriez répondre en disant : « C'est une bonne question. Qu'en penses-tu ? Pourquoi penses-tu que nous mangeons des légumes ? ». Cela encourage l'enfant à commencer à réfléchir lui-même à la question.
Il répond : « Parce que tu as dit que je devais le faire ».
Pour l'amener à réfléchir à d'autres raisons que l'autorité parentale qui pourraient être importantes, vous pouvez lui demander : « Est-ce la seule raison ? Pensons-y un peu plus. Connais-tu quelqu'un d'autre qui pense que nous devrions manger des légumes ? ».
Ensuite, pour l'encourager à explorer des alternatives, vous pouvez lui demander : « Que penses-tu qu'il se passerait si nous ne mangions jamais de légumes ? Et si nous ne mangions que des sucreries à la place ? ».
Il peut également être utile de faire des recherches avec votre enfant, afin de l'initier à la recherche de preuves et d'informations fiables. Vous pourriez suggérer que vous recherchiez tous les deux des informations sur les bienfaits des légumes pour notre corps.
Enfin, vous pouvez reposer la question initiale à votre enfant, en lui donnant l'occasion de synthétiser ce qu'il a appris et de tirer sa propre conclusion.
Tout au long du processus, vous guidez votre enfant pour qu'il s'interroge, réfléchisse et parvienne à une compréhension raisonnée, plutôt que de simplement accepter une déclaration à sa valeur nominale.
Autres ressources
Cela vous semble-t-il intimidant ? Rassurez-vous : ce n'est pas entièrement de votre responsabilité.
De nombreuses écoles intègrent des compétences en matière de pensée critique dans leurs programmes. D'excellents programmes ont été mis en oeuvre dans des écoles du monde entier. Un exemple est Philosophy for Childre (P4C) (La Philosophie pour les enfants), développé par l'éducateur et philosophe Matthew Lipman dans les années 1970. Cette approche utilise des discussions structurées sur des questions ouvertes et peut être utilisée pour développer la pensée critique chez les enfants dès l'âge de six ans.
J'apprécie également le travail du Consortium pour la pensée critique (TC2), une organisation canadienne qui fournit des ressources et un développement professionnel pour aider les éducateurs à intégrer la pensée critique dans leur enseignement. Le Projet Zéro est une autre bonne ressource. Ce groupe de recherche de la Harvard Graduate School of Education a développé plusieurs routines et cadres de réflexion, tels que la « pensée visible » et la « pensée artistique ».
Vous pouvez également demander à l'école de votre enfant d'introduire des compétences en matière de pensée critique dans son programme. Les écoles pourraient s'associer aux départements de philosophie des universités pour proposer des cours gratuits ou peu coûteux dans le cadre d'un engagement communautaire ou d'une initiative de responsabilité sociale.
En fin de compte, que les enfants soient exposés à ces compétences à la maison ou à l'école, l'essentiel est de créer un environnement où le questionnement, le raisonnement et l'exploration des idées sont encouragés et valorisés. L'objectif est de faire de la pensée critique un élément naturel de la façon dont nous interagissons avec nos enfants, afin qu'elle devienne un élément naturel de la façon dont ils interagissent avec le monde.
Heidi Matisonn, Senior Lecturer in Bioethics, The EthicsLab, Department of Medicine, Faculty of Health Sciences, University of Cape Town