Depuis 20 ans, les problèmes du secteur de l'agriculture persistent. Alors que la sécurité alimentaire est devenue une préoccupation majeure, Kavi Santchurn, président de l'Agricultural Development Marketing Association (ADMA) - une association qui regroupait autrefois plus d'une centaine de membres mais dont le nombre ne cesse de diminuer -, constate que les défis restent inchangés.
Vers qui les planteurs peuvent-ils désormais se tourner pour faire entendre leurs cris du coeur ? Avec l'arrivée d'un nouveau gouvernement, Kavi Santchurn espère que les attentes des planteurs ne seront pas, une fois de plus, déçues, que leur voix sera enfin écoutée et que des mesures concrètes seront prises pour relancer l'agriculture à Maurice.
La cherté des travailleurs étrangers
Alors que le secteur agricole fait face à de nombreux obstacles, l'un des défis les plus accablants, selon Kavi Santchurn, réside dans la cherté des travailleurs étrangers. Alors que les planteurs peinent à recruter de la main-d'oeuvre locale, ils sont contraints de se tourner vers des travailleurs étrangers. Ces derniers, bien qu'indispensables pour la survie du secteur, représentent une charge financière énorme pour les planteurs locaux.
C'est le cas de Kavi Santchurn, qui a dû faire face à des coûts considérables pour l'hébergement et les formalités administratives liées à l'embauche de travailleurs malgaches. «Tout l'argent des planteurs va vers les travailleurs étrangers», déploret-il, tout en critiquant le fait que le gouvernement accorde une allocation de Rs 3 500 aux travailleurs étrangers pour compléter leur salaire à Rs 20 000.
Le président de l'ADMA explique que l'absence de travailleurs locaux est devenue une réalité. «Nous avons tiré la sonnette d'alarme lorsque nous n'avions pas de main-d'oeuvre locale. Par conséquent, nous avons dû nous tourner vers les travailleurs étrangers», dit-il. Selon lui, cette situation s'explique par deux facteurs.
Il avance que les jeunes, après avoir terminé leurs études secondaires, choisissent de chercher un avenir à l'étranger et que les travailleurs âgés abandonnent les champs en raison de la hausse des pensions. Ainsi, les planteurs se retrouvent dans l'obligation de recruter des travailleurs étrangers, principalement venus de Madagascar, du Népal et de l'Inde. «Peu importe leur pays d'origine, le problème reste le même», souligne-t-il.
Un coût exorbitant pour les planteurs
Citant son propre exemple, Kavi Santchurn explique avoir recruté huit travailleurs malgaches. Pour les loger, il a dû louer un bâtiment et débourser Rs 400 000 pour sa rénovation afin d'obtenir un Accommodation Permit. À cela s'ajoutent un loyer mensuel de Rs 10 000, ainsi que les charges d'électricité et d'eau. En plus de ces frais, il doit payer les Work Permits, valables trois ans, pour ses travailleurs et leurs billets d'avion, ainsi que les frais des agences de recrutement.
«L'année dernière, ils étaient venus avec un salaire de base de Rs 11 000. Mais ce montant a été revu à la hausse à quatre reprises par le gouvernement précédent. Aujourd'hui, je dois payer Rs 16 500 par personne», dit-il. Il précise que ce montant n'inclut pas les contributions obligatoires telles que la Contribution sociale généralisée (CSG) et le National Savings Fund (NSF), qui s'élèvent à Rs 1 400 par travailleur.
Cette année, Kavi Santchurn s'est également vu contraint de payer un 13e mois et un 14e mois à ces travailleurs étrangers. Une décision qu'il trouve injuste. «La promesse électorale du 14e mois concernait uniquement les Mauriciens, pas les travailleurs étrangers qui n'ont pas voté pour le gouvernement», dit-il. Il regrette aussi que les planteurs soient mis sur le même pied d'égalité que les grandes entreprises, qui ont davantage de capacités financières pour assumer ces charges. «On ne peut pas comparer les planteurs aux grosses entreprises», dit-il.
Le président de l'ADMA avance que le travailleur mauricien ne bénéficie pas des mêmes avantages que le travailleur étranger. «Lorsque le travailleur mauricien rentre chez lui, il doit se débrouiller seul pour payer ce dont il a besoin», dit-il. Il regrette que cette situation ait créé deux catégories de travailleurs. «Au lieu de donner autant d'argent aux travailleurs étrangers, cet argent aurait pu être investi pour soutenir les Mauriciens», fait-il ressortir. Selon lui, cette politique a conduit à une inégalité flagrante, où les travailleurs étrangers jouissent de meilleures conditions de vie que leurs homologues mauriciens.
Vers une diminution des travailleurs
Face à une situation devenue intenable pour les planteurs, Kavi Santchurn estime qu'il serait préférable de réduire, voire d'abandonner, l'agriculture. Au sein de l'ADMA, environ une cinquantaine de travailleurs étrangers sont actuellement employés. Cependant, il souligne que les planteurs n'ont d'autre choix que de recourir à cette main-d'oeuvre étrangère. Il est convaincu que la situation pourrait s'améliorer avec des changements législatifs. «Nous ne pouvons pas continuer ainsi», dit-il.
Destruction de légumes
Kavi Santchurn déplore les difficultés rencontrées par les planteurs, illustrées par les prix de vente des légumes. L'année dernière, le prix de la carotte vendue à l'encan était de seulement Rs 5. Pourtant, le coût de la main-d'oeuvre et des intrants a augmenté, sans que cela soit répercuté sur le prix de vente. «Nous avons dû détruire des arpents de carottes car la récolte coûtait plus cher que leur destruction», regrette-t-il.
En 2024, il a également dû abandonner trois arpents de betteraves, faute de demande. Pour couvrir leurs coûts, Kavi Santchurn explique que les planteurs doivent produire davantage et vendre en quantité. Cependant, cette surproduction ne trouve pas preneur, car les Mauriciens consomment moins de légumes qu'auparavant. Selon lui, une psychose aurait été créée autour des pesticides et aurait poussé les consommateurs à privilégier les fast-foods.
Il observe également une augmentation des légumes surgelés dans les commerces, alors que les terres mauriciennes sont suffisantes pour subvenir aux besoins locaux. Il assure que les champs des planteurs sont régulièrement évalués et que les pesticides utilisés respectent les normes. «Les pesticides sont appliqués pour une raison précise. Aucun planteur ne souhaite en abuser», dit-il.
Par ailleurs, un rapport du ministère de la Santé, intitulé Mauritius Nutrition Survey 2022 et publié en 2023, met en lumière les enjeux de santé publique liés aux maladies non transmissibles (MNT) à Maurice. Les enquêtes successives menées entre 1987 et 2021 révèlent une prévalence croissante de facteurs de risque, tels que le surpoids, l'obésité et les habitudes de vie sédentaires.
Le rapport souligne également la fréquence du syndrome métabolique, une combinaison de risques cardiovasculaires qui inclut l'obésité abdominale, une intolérance au glucose, des triglycérides élevés, une baisse du cholestérol HDL, une pression artérielle élevée et une résistance à l'insuline. Ces facteurs de risque sont en grande partie responsables de l'aggravation des MNT à Maurice.
Révision des conditions de travail des travailleurs étrangers
Kavi Santchurn soutient que les planteurs ne cherchent pas à obtenir de l'argent du gouvernement. «Je lance un appel au ministre de l'Agriculture pour qu'il nous écoute. Nous avons la capacité; il nous faut uniquement l'encadrement approprié», dit-il. Il insiste sur le fait que la priorité devrait être de revoir les conditions de travail des travailleurs étrangers, un élément clé pour permettre aux planteurs de relancer le secteur agricole. Il déplore que certains syndicalistes, qui militent en faveur des travailleurs étrangers, ne comprennent pas la réalité à laquelle sont confrontés les planteurs.