Ile Maurice: Mahend Gungapersad - «J'ai à coeur la réussite de chaque enfant de la République»

interview

Après des études universitaires en langue et littérature anglaise, il a enseigné au MGI tout en poursuivant des études de pédagogie et de gestion éducative qui l'ont mené jusqu'à un doctorat. Il a été le premier recteur du Rabindranath Tagore Secondary School de 2003 à 2014 et chargé de cours au MIE et au Middlesex University. À la veille de sa première rentrée, ce pédagogue passionné a partagé avec «l'express» ce qu'il veut accomplir pour qu'aucun enfant mauricien ne soit considéré comme un échec et laissé sur le pavé.

Vous êtes l'un des ministres les plus médiatisés. Depuis votre entrée en fonctions, vous avez communiqué tous azimuts avec les partenaires de l'éducation. Comment vous sentez-vous dans le costume de ministre après avoir longtemps porté celui de pédagogue ?

En 2014, j'ai quitté mon poste de recteur pour mon baptême de feu en politique au no 7 mais malheureusement je n'ai pas été élu. En 2019, j'ai été élu en 2e position au no 6 et le leader du PTr m'a confié le dossier de l'éducation. Pendant les cinq dernières années, j'ai piloté notre projet d'éducation au Parlement et à l'extérieur. Après ma réélection au no 6, en novembre dernier, le Dr Navin Ramgoolam m'a réitéré sa confiance et je lui suis très reconnaissant de m'avoir confié la gestion du ministère de l'Éducation et des Ressources humaines. En fait, je n'ai pas vraiment changer de costume car j'aurai la chance de mettre en pratique toutes mes connaissances et mon expérience.

La médiatisation vient du fait qu'on était à la veille de la nouvelle année scolaire qu'il fallait préparer en amont et surtout changer le fameux Extended Program qui concerne tant d'enfants. Il me fallait pour cela écouter tous les partenaires de l'éducation.

Quelle est donc votre vision globale de l'éducation et quels changements majeurs comptez-vous apporter ?

Pour résumer, ma vision d'un système éducatif, c'est qu'il doit avoir un visage humain, une approche humaine. Qu'avonsnous vu pendant ces 10 dernières années ? On a mis beaucoup, beaucoup de nos enfants à l'écart, on les a laissés sur le pavé, selon des critères qui ne sont pas toujours acceptables. On n'a qu'à voir les dégâts causés par l'Extended Program.

Nous y reviendrons mais parlez-nous d'un changement phare qui irait du préprimaire, au primaire et au secondaire ?

Un changement majeur across the board sera l'accent que je voudrais mettre sur l'acquisition basique de la literacy et numeracy. C'est inacceptable qu'un enfant quitte le primaire sans savoir lire, écrire et compter. Pour y arriver, il faut commencer dès le préprimaire. Nous allons travailler en amont pour voir ce qu'il faut faire pour donner le goût de la lecture à nos enfants, comment les encadrer pour qu'ils puissent maîtriser la numeracy. S'il faut changer le mode d'enseignement, il faudra le faire. Voilà pourquoi il est important de revoir le système actuel.

Vous avez mentionné une «Student Progress Card». Quel est l'objectif et quand sera-telle introduite ?

C'est un nouveau concept et il faudra voir comment le mettre en oeuvre. En fait, quand un enfant entre en pré-primaire, on ouvrirait un dossier avec tout ce qui le concerne - son identité, sa famille, sa santé, son parcours d'apprentissage, son comportement général, sa ponctualité, les problèmes qu'il peut avoir. Ce dossier serait transmis à son école primaire, qui disposerait donc d'une base de données sur l'enfant. Idem quand il passe au secondaire. Cela assurera un suivi académique, pédagogique, de son comportement général, mais en même temps de sa santé physique et mentale, s'il a des learning difficulties or disabilities et contribuera au bien-être de l'enfant.

Venons maintenant aux résultats du PSAC ? Comment aborderez-vous le taux d'échec ?

Les candidats éligibles au resit ont suivi un crash course de deux semaines et 33 % de ces enfants ont pu être repêchés. Ma logique est que si on avait donné à ces enfants un soutien similaire pendant toute l'année ou dans les années précédentes, on aurait pu avoir sauvé davantage d'enfants de l'échec.

Qu'en est-il des écoles ZEP où les taux de réussite vont de 10% à 80 % avec une moyenne de 40 % à 50% ?

Il faudra revisiter toutes les écoles qui ont une mauvaise performance. Voir pourquoi les enfants de ces écoles n'ont pas les résultats escomptés. Faut-il changer la méthode de teaching and learning ? Je suis prêt à revoir le medium of instruction. Si ces enfants peuvent être accompagnés dans la langue maternelle, il faudra le faire. Il faudra aussi identifier dans quelles matières ces enfants ont des problèmes. Les mathématiques ? Les langues ? Font-ils mieux en kreol morisien (KM) ? Il faut chercher une solution pédagogique à leurs problèmes. Pour cela, il faut étudier l'école, le type d'enfants et d'où ils viennent. Ce qu'on a fait ou pas fait pour les aider. Je compte dans le jours qui viennent envoyer une équipe de professionnels dans ces régions spécifiques pour tâter le terrain, pour savoir ce qu'il faut faire pour identifier les problèmes et ensuite trouver des solutions qui seront dans l'intérêt de ces enfants.

Il y a des plaintes et, surtout celle de M. Tengur, sur l'attribution des collèges après le PSAC ?

Justement mardi, en compagnie du ministre des TIC, Avinash Ramtohul, et de techniciens de mon ministère, j'ai rencontré à mon bureau le responsable du MES. Nous lui avons posé toutes les questions pertinentes sans langue de bois et il nous a donné des réponses, dont le ministre des TIC et moimême avons été satisfaits. On s'attendait à des zones d'ombre, mais il n'y en a pas. Des responsables de mon ministère vont bientôt rencontrer M. Tengur. Il a posé les bonnes questions et il faut qu'il reçoive les bonnes réponses pour dissiper ses doutes. Il les aura.

Toujours par rapport au PSAC, des enseignants se sont plaints du manque de cohérence des multiples programmes pour les recalés du PSAC ces dix dernières années. Le «Foundation Programme in Literacy, Numeracy and Skills» que vous introduisez répondra-t-il aux appréhensions de ces enseignants ?

Ces enseignants qui évoquaient le manque de cohérence ont bien raison. Justement, ils ont suivi pendant trois jours la semaine dernière une formation au nouveau programme. Une équipe part demain pour Rodrigues pour toucher les enseignants là-bas. D'après mes informations, les appréhensions de ces enseignants ont été dissipées et ils voient dans ce nouveau programme ce qu'ils voulaient dès le départ. Ils avaient toujours demandé un programme qui ne soit pas trop académique, qui ne soit pas compétitif et sélectif et qui ne mène pas ces enfants vers un nouvel échec. Ils sont maintenant convaincus que ces enfants vont trouver un salut car le programme sera adapté à leurs besoins.

Ce programme met l'accent sur trois axes: 1. La maîtrise de la basic literacy and numeracy ainsi que des basic skills en ICT ; 2. Les life skills - les valeurs, les principes, la capacité de s'occuper de soi-même et de gérer ses émotions; et 3. Les vocational skills - une formation qui les prépare au monde du travail. En 1e année, ils seront à l'école ; en 2e année, ils iront un jour au MITD et en 3e année, ils iront deux jours au MITD ou dans un milieu de travail.

Y aura-t-il un examen à la fin de leur parcours ?

Justement, il n'y aura pas d'examen. S'il n'y a pas d'examen, nos enfants ne vont pas échouer. À la fin du cursus, ils obtiendront un certificat qui sera validé par le MES, MIE, MQA et MITD. Ce certificat va démontrer leurs compétences et non ce qu'ils ne savent pas faire. Il va aussi leur ouvrir les portes du MITD pour une formation plus pointue.

Comment ferez-vous pour gérer la «rat race» qui débute dès le primaire ?

Ma philosophie est un système éducatif à visage humain. L'école ne sera plus ce lieu où l'on ne met l'accent que sur le côté académique, la compétition, la rat race. On commencera par la réintroduction de la lecture à l'école, le sport. Ce matin je discutais avec le ministre de Sports de réintégrer le sport dans le curriculum. Je voudrais aussi y intégrer le théâtre, la musique, la danse, le travail social, l'agriculture. L'école ne doit plus être ce lieu où l'on va seulement pour les matières d'examen. Elle doit devenir un lieu où les talents de chaque enfant sont mis en valeur.

Quand j'ai rencontré Mgr Durhône récemment, il a dit qu'il était contre l'automatic promotion au primaire. Je suis du même avis. Si un enfant de Grade 4 n'a pas maîtrisé les concepts de base, je pense qu'il faudrait qu'il redouble pour rattraper son retard.

J'aurai voulu revoir graduellement le système d'évaluation. Il y a beaucoup trop d'examens. Mais il ne faut pas aussi trop se presser. On ne peut pas changer de programme à mi-chemin sans consulter les enseignants, les parents, etc. il faudra éventuellement aérer le curriculum pour permettre aux enfants de respirer et d'avoir accès à d'autres créneaux moins académiques. Je ne veux pas prendre de décisions hâtives. Les assises d'avril seront l'occasion de faire le point sur toutes ces questions et de rectifier le tir. Même pour le nouveau programme, on verra ce qui marche et ne marche pas, ce qu'il faut améliorer. Je serai toujours à l'écoute des différents secteurs.

Comptez-vous rendre leur autonomie aux collèges privés qui ont été brimés ces dernières années ? Y aura-t-il une parité en budget et moyens avec les collèges publics ?

Je ne comprends pas pourquoi l'ex-directeur de la PSEA et l'exministre de l'Éducation se sont bagarrés avec les managers des écoles privées, pourquoi on a fait suffoquer ces écoles en les privant de ressources financières. J'ai trouvé ce blocage irrationnel. C'est pour cela qu'avant la fin de l'année financière, j'ai débloqué la somme de Rs 150 millions, qui était leur dû, qui avait été votée dans le budget. Bien sûr que ces écoles auront leur autonomie. Elles ont chacune leur spécificité. Elles sont des partenaires et sans leur soutien on ne peut pas fonctionner.

J'ai déjà rencontré Mgr Durhône et les responsables de la SeDEC et je rencontre tous les managers vendredi dans le cadre de la rentrée. Je mise beaucoup sur la cordialité de nos relations car j'ai à coeur la réussite de chaque enfant de la République.

Le kreol mor isien (KM) sera-t-il introduit en Grade 12 cette année ?

Je suis tout à fait en faveur de l'introduction du KM en Grade 12. Mais on m'a laissé entendre qu'il y a encore quelques problèmes à aplanir. Je vais pousser pour que cela se fasse aussitôt que possible car je voudrais que cela se réalise sous mon mandat.

L'indiscipline à l'école est un gros souci. Comment comptez-vous gérer cela ?

Je compte venir avec un programme d'anti-bullying qui va de pair avec l'indiscipline. Je vois cela dans le sens large du terme. Quand je parle de bullying, je ne pense pas qu'aux élèves entre eux. On voit cela même chez des profs dans leur manière de traiter les élèves ; dans la façon dont des élèves traitent leurs profs en classe sur les réseaux sociaux...

Mais il y a une chose dont on ne parle pas: le bullying au sein des familles, le body-shaming, la façon dont on traite ceux qui réussissent et ceux qui ne réussissent pas et d'autres formes de harcèlement. Vous imaginez que dans des fêtes familiales, des cousines /cousines sont ensemble et il y a un oncle/ une tante qui arrive et commence à comparer les enfants. Il faut sensibiliser la population à cette forme de violence contre les enfants. On n'en parle pas. Mais moi je le ferai car il faut que ça s'arrête quelque part.

Vous voulez bannir le portable en classe ? Ne craignez-vous pas une levée de boucliers ?

Il y a plusieurs aspects au problème du portable. Sa mauvaise utilisation peut avoir des effets néfastes sur les enfants. Je vais continuer à expliquer tout en demandant le soutien de parents. Ce que je sais, c'est que j'ai été applaudi dans des fonctions et lieux publics tant pas des parents que des jeunes. Cela se fait déjà dans certains établissements où les portables sont récupérés le matin par le class captain, qui les dépose au bureau et ils sont rendus 10 minutes avant la fin des classes. S'il y a un besoin pédagogique pour une leçon, le professeur peut s'en charger. Je l'ai fait pendant des années en tant que recteur avec l'accord de la PTA et du student council. Les élèves sont eux-mêmes venus expliquer pourquoi la mesure était nécessaire. Le portable est un objet de distraction en classe.

L'autre problème est que les profs devront donner l'exemple. J'ai appris que certains profs étaient accrochés à leur portable pendant la classe au lieu de se concentrer sur les élèves. Cependant je n'ai pas l'intention de brusquer les choses. Je vais laisser le soin à chaque établissement de gérer sa situation dans le dialogue.On compte mettre sur pied un comité interministériel (qui comprendra la Santé, l'Égalité des Genres, les TIC et l'Éducation) sous la présidence du Deputy Prime minister pour justement se pencher sur l'utilisation du portable à l'école durant les heures de classes.

L'éducation est un vaste chantier à reconstruire. Un travail titanesque pour un seul homme. Sur qui vous reposez-vous ? Techniciens, conseillers ?

Je ne suis pas seul car dès le départ, j'ai convoqué tous les acteurs de l'éducation. J'ai choisi de ne pas prendre de special adviser. Car toutes ces personnes du terrain - que ce soit du SeDEC, du MIE, du MQA, du MITD - sont venues bénévolement offrir leurs services et connaissances. C'est grâce à elles qu'en moins de deux mois ce nouveau programme pour les recalés du PSAC, qui ne peuvent pas ou ne veulent pas repasser l'examen, a pu voir le jour.

Sur une note plus politique, comment gardez-vous le contact avec vos mandants devenus plus exigeants avec les promesses du changement ?

Ce n'est pas évident pour l'instant car l'éducation est une fulltime responsiblility. Tôt le matin des gens viennent vous voir. Le téléphone sonne sans arrêt - jusqu'à 200 appels par jour sans compter les messages, WhatsApp, etc. Mais je dois remercier mes deux colistiers, les honorables Beejan et Etwareea, qui ont pris la responsabilité de gérer les problèmes de la circonscription, ce qui me permet de me consacrer davantage aux soucis de mon ministère. Mais cela ne veut pas dire que je ne descends pas sur le terrain. À partir du 22 janvier, nous serons tous les mercredi au CAB pour recevoir nos mandants. Sinon l'après-midi, le soir, le week-end, nous sommes toujours disponibles pour nos mandants. Le plus gros problème étant l'éducation et ensuite celui de l'eau.

Et quel est l'impact sur votre famille?

J'ai deux fils adultes qui sont à l'étranger. L'aîné est un corporate lawyer et l'autre termine son Mastère dans le secteur financier. Mon épouse Sarita avait une école maternelle, que nous avons fermée quand le parti m'a confié le dossier éducation pour éviter tout conflit d'intérêt. Mais elle est mon soutien, mon roc, celle qui me permet d'être à 100 % dans ma fonction.

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