Ile Maurice: Senior Advisers et hauts fonctionnaires - Coexistence pacifique ou guerre des clans ?

Doreen Fong Weng-Poorun au PMO, Jaya Veerapen à la Santé, Michael Glover aux Sports, Gilbert Gnany aux Finances, Vijay Makhan au bureau du VPM. Dans les méandres de la bureaucratie mauricienne, une tendance semble s'imposer : le retour en force des Senior Advisers au sein des ministères. Ces conseillers, souvent nommés par affinité politique ou pour leurs compétences techniques, sont censés apporter une expertise et un soutien stratégique aux ministres qui leur font confiance. Mais que valent ces conseillers lorsqu'ils sont confrontés à une administration cloisonnée, jalouse de ses prérogatives ? Enquête au cœur d'un système où les hauts fonctionnaires, véritables gardiens de l'appareil d'État, voient dans ces nouveaux venus une menace à leur autorité et à leur confort.

Une fonction stratégique... en théorie

Le rôle des Senior Advisers est présenté par les politiciens qui arrivent au pouvoir pour changer la donne comme une réponse à l'immobilisme administratif. Ces experts doivent épauler les ministres dans la définition et l'exécution de politiques publiques ambitieuses. Leur mission : accélérer les réformes, coordonner les dossiers transversaux et proposer des solutions innovantes.

*«Nous sommes là pour accompagner, pas pour remplacer. Le ministre a besoin d'une vision claire et d'un conseil informé pour naviguer dans la complexité administrative», explique un Senior Adviser sous couvert d'anonymat.

En théorie, ces conseillers sont les moteurs d'une gouvernance moderne, rompant avec le rythme parfois léthargique des ministères. En pratique, leur impact est souvent limité par une culture bureaucratique profondément enracinée.

La résistance des hauts fonctionnaires

«Les conseillers, on les tolère, mais on ne les respecte pas», confie un cadre supérieur à l'hôtel du gouvernement. «Ils n'ont aucun pouvoir exécutif et ne peuvent donner d'ordres. Tout doit passer par nous. En plus ils bloquent nos chances de promotion.»

Cette déclaration illustre la méfiance, voire l'hostilité, des hauts fonctionnaires envers les Senior Advisers. Dans les couloirs feutrés de l'administration, ces derniers sont perçus comme des intrus, des figures imposées par les ministres pour contourner la bureaucratie. «Leur présence est une remise en question implicite de notre travail. Pourquoi le ministre aurait-il besoin d'un conseiller si l'administration faisait bien son travail ?» ironise un autre haut fonctionnaire.

Les hauts fonctionnaires défendent farouchement leur terrain. Ils maîtrisent les rouages complexes de l'administration et savent ralentir un dossier en invoquant des «procédures» ou des «consultations nécessaires». Face à ces tactiques, les conseillers, privés de leviers opérationnels, se heurtent souvent à un mur.

Cette cohabitation forcée donne lieu à une guerre d'influence, parfois sourde, parfois ouverte. «Les hauts fonctionnaires forment une sorte de corporation, une caste intouchable. Ils protègent leurs privilèges et leurs méthodes, quitte à bloquer toute innovation», déplore un ancien conseiller d'un ministère clé.

À cela s'ajoute un choc des cultures. Les Senior Advisers, souvent issus du secteur privé ou des cercles académiques, apportent une approche axée sur les résultats et l'efficacité. Mais ils ne connaissent pas les rouages administratifs.

En face, les hauts fonctionnaires valorisent la conformité aux règles et la stabilité des processus. Cette divergence d'approches engendre des frictions.

Un exemple marquant : un conseiller ayant proposé une refonte numérique d'un service public s'est vu opposer une fin de non-recevoir par les fonctionnaires concernés. «Ils ont brandi l'argument du manque de budget, mais en réalité, c'était une question de contrôle. Ils redoutent tout ce qui pourrait perturber leur zone de confort», raconte un conseiller de l'ancien régime qui admet que les choses n'ont pas progressé comme il pensait en raison des coups de frein de certains.

L'introduction des Senior Advisers ajoute une couche supplémentaire à une bureaucratie déjà complexe. Si certains conseillers parviennent à naviguer habilement entre le politique et l'administratif, d'autres se retrouvent isolés, réduits à produire des rapports qui finissent dans des tiroirs. «On nous demande des analyses et des recommandations, mais celles-ci sont souvent ignorées parce que le ministre ne veut pas se mettre à dos ses fonctionnaires», explique un Senior Adviser frustré après trois semaines en poste.

Pourtant, cette stratification bureaucratique n'est pas sans avantages pour les hauts fonctionnaires. Elle leur permet de diluer les responsabilités en cas d'échec. «Si un projet échoue, on dira que c'est à cause des conseillers. Mais si ça réussit, le mérite reviendra à l'administration», observe un fonctionnaire sceptique.

Pour éviter que les Senior Advisers ne deviennent des figures décoratives, plusieurs experts plaident pour une réforme en profondeur. «Il faut clarifier les rôles et les responsabilités. Les conseillers doivent avoir un accès direct aux moyens de mise en oeuvre et des objectifs mesurables», suggère un Senior Chief Executive qui, après deux contrats de trois ans, profite enfin de sa retraite après presque un demi-siècle dans la fonction publique.

Certains appellent également à une refonte de la formation des hauts fonctionnaires. «Ils doivent comprendre que leur rôle n'est pas de préserver le statu quo, mais de servir l'intérêt général en collaborant avec tous les acteurs, y compris les conseillers», insiste un ancien secrétaire permanent.

Malgré les tensions, des exemples de collaboration fructueuse existent. Dans certains ministères, les Senior Advisers et les hauts fonctionnaires ont su établir une relation de confiance, fondée sur le respect mutuel et une vision commune. «Tout dépend du ministre. S'il soutient son conseiller et impose une coopération, les fonctionnaires n'ont pas d'autre choix que de jouer le jeu», note un observateur.

L'avenir des Senior Advisers repose donc sur une question centrale : le gouvernement est-il prêt à réformer un système où les intérêts corporatistes l'emportent souvent sur l'intérêt public ? Sans une volonté politique forte, ces conseillers risquent de rester des spectateurs impuissants dans une machine administrative qu'ils étaient censés dynamiser.

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