Dans cet entretien sur les questions internationales, le Dr Octave Dioba Mickomba, Docteur en science politique, revient sur la légitimité de la colère de plusieurs élites africaines après les propos du président français, Emmanuel Macron sur ce qu'il a appelé « l'ingratitude des chefs d'Etat africains. Il évoque également les perspectives d'un retour de la voix du Gabon sur la scène internationale.
Gabonews : Docteur Dioba, Pourquoi les propos du président français tenus devant les ambassadeurs français font tant de bruit et suscitent des réactions violentes en Afrique ?
Dans ses fondements et ses principes, la diplomatie ne s'accommode pas du mépris et de l'arrogance. En estimant devant les ambassadeurs français, le 06 janvier dernier, que les chefs d'Etat africains avaient oublié de dire merci à la France, les propos du président français ont été maladroits et politiquement incorrectes dans un discours de politique internationale.
Ces propos qui frisent le mépris ne pouvaient que susciter des réactions d'indignation de la part des élites africaines, en particulier ses homologues chefs d'Etat. Dans le contexte actuel des convulsions géopolitiques en Afrique dite francophone, les mots, les gestes et les actes que les partenaires internationaux posent sont scrutés au millimètre près.
Ne s'agit-il pas d'une stratégie de communication orientée vers ses compatriotes ?
Si c'est une stratégie de communication politique, elle a été maladroite ! Nous sommes ici dans le champ des relations internationales et de la diplomatie où le code langagier est policé et le discours politiquement correct. C'est vrai qu'il s'est adressé aux Français et à l'opinion européenne, en tentant d'obstruer la débâcle de la politique française en Afrique, pour leur faire savoir qu'il maîtrise la situation du départ des militaires français, alors que la réalité est toute autre.
Non seulement, ses propos étaient erronés, si l'on s'en tient au timing de la déclaration tchadienne de rupture de l'accord de défense, mais son discours a brillé par une arrogance. D'où la virulence des réactions des élites africaines. De toutes les façons, cette sortie du président français a gêné plus d'une personne, y compris du côté français. Ce sont des situations qui pourraient renforcer de plus en plus le rejet de la France politique en Afrique et radicaliser les pays francophones. La France doit sortir de l'utopie paternaliste pour comprendre que les pays africains sont entrain de se réinventer dans un monde de plus en plus multipolaire.
Pourtant les militaires français ont bel et bien soutenu certaines armées africaines...
Les réalités géopolitiques et géostratégiques sont très complexes. Il ne faut pas se limiter à ce qui est visible et aux discours prononcés. Les militaires français ne sont pas en Afrique pour votre bien être ou pour les beaux yeux des Africains. Plusieurs déploiements des forces occidentales en Afrique le sont, ou l'ont été, par le fait des Occidentaux pour leurs propres intérêts. Vous pouvez retenir que, malgré quelques actions civilo-militaires souvent menées, le 6è BIMA n'est pas à Libreville pour protéger les Gabonais, mais pour les besoins géopolitiques de Paris.
Pourquoi vous le dites ?
C'est peut-être un peu brutal de le dire ainsi, mais c'est celle-là la réalité, quel que soit le paradigme mobilisé. Souvenez-vous des turbulences électorales du début des années 1990 au Gabon. De quel côté étaient les forces françaises stationnées au Gabon ?
Les militaires français étaient déployés dans les zones d'habitation des ressortissants français et des Européens, au niveau des plateformes pétrolières et des biens de Elf Gabon, pendant que des Gabonais se faisaient massacrer... A partir de ces exemples, et bien d'autres que vous pouvez retrouver partout en Afrique, vous comprenez que le rôle de la France militaire en Afrique, c'est d'abord pour protéger et défendre les intérêts français.
Sur tout un autre plan, si vous fouillez bien dans la plupart des conflits qui ont déstabilisé certains pays en Afrique, vous trouverez des pays européens comme acteurs invisibles. Le cas de Libye, et l'assassinat du Guide de la Grande Jamahiriya, peut être un indicateur de grandeur mesure.
Parlons un peu de la diplomatie gabonaise, n'est-elle pas en recul ?
Vous avez raison en grande partie. Le constat que tout observateur objectif et tout connaisseur de la politique internationale gabonaise peut faire est qu'il y'a eu une fragilisation, sinon un sérieux recul de la diplomatie gabonaise, au lendemain de la mort du président Omar Bongo Ondimba. Avec la destruction du Palais des congrès de la Cité de la Démocratie par son successeur, le pays n'avait même plus de salle digne de ce nom pour accueillir les grandes rencontres internationales.
La voix du Gabon était devenue presqu'inaudible, alors que le leadership diplomatique de notre pays dans la sous-région était sans conteste. N'oublions pas que le Gabon a toujours été une plaque tournante des grands rendez-vous internationaux dont le sommet des chefs d'Etat l'Organisation de l'unité africaine (ancêtre de l'Union africaine) en 1977.
L'engagement du Gabon en faveur des efforts de construction et de consolidation de la paix en Afrique de manière générale est sans égal dans la sous-région.
Pensez-vous que la diplomatie gabonaise peut se relancer avec les autorités actuelles ?
Bien sûr ! Le Gabon est entrain de reprendre sa place dans le leadership diplomatique régional. Le président de la Transition l'a d'ailleurs dit devant les ambassadeurs et les représentants des organisations internationales accrédités au Gabon, le 09 janvier dernier. La voix du Gabon doit résonner à nouveau et pour le long terme sur la scène internationale.
Mais nous sommes en transition...
C'est vrai que nous vivons actuellement une période transitionnelle qui a son agenda et un chronogramme bien définis, portés essentiellement sur la politique intérieure... Mais, on peut constater qu'au lendemain de l'avènement du CTRI, le Général Oligui Nguema a engagé un certain nombre d'actions visant à relancer l'action extérieure du Gabon, suivant une approche globale, sans faire dans le bruit de ce que l'on appelle la diplomatie du mégaphone. De plus, les principales personnalités qui accompagnent actuellement le chef de l'Etat dans la conduite de cette action extérieure sont des diplomates et des internationalistes de très haut niveau.
Le ballet des chefs d'Etat ou leurs émissaires, ainsi que de nombreuses hautes personnalités, ces derniers temps à Libreville, participent incontestablement de cette dynamique de relance de notre pays sur la scène internationale.
Aussi, avec la (re)construction du Palais des congrès et du grand centre multifonctionnel de la Cité de la Démocratie, le Gabon peut fièrement afficher ses ambitions d'accueillir d'ici peu, les grands évènements d'envergure internationale pour que résonne à nouveau sa voix et de façon plus forte.