Afrique: Ce que la France perd en fermant ses bases militaires au continent

interview

Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a annoncé, le 31 décembre 2024, la fermeture de toutes les bases militaires étrangères, dans son pays, en 2025. Le même jour, son homologue de Côte d'Ivoire annonçait la rétrocession de la base militaire d'Abidjan à l'armée de de son pays. Ces annonces surviennent après le départ annoncé du Tchad, du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Le chercheur Thierry Vircoulon explique les conséquences de ces décisions pour la France.

Quels sont les principaux atouts stratégiques que la France pourrait perdre en retirant ses troupes des pays africains ?

La présence militaire française en Afrique francophone remontant à l'indépendance, les atouts stratégiques de celle-ci ont varié depuis 65 ans. Dans cette longue durée, l'importance de cette présence a décliné : dès la fin du XXème siècle, des bases militaires françaises ont été fermées et les troupes prépositionnées ont considérablement diminué (de 20 000 hommes en 1970 à 6000 en 2022).

Les bases militaires ont constitué un atout stratégique d'abord pour sécuriser des régimes nouvellement indépendants et fragiles qui avaient besoin d'un parapluie sécuritaire au lendemain des indépendances, puis pour faire des opérations extérieures (Opex). Ces bases étaient les points d'appui logistiques qui rendaient possibles l'interventionnisme militaire français et les opérations d'évacuation des ressortissants français lors des crises.

Ainsi l'opération Sagittaire, qui a permis d'évacuer les ressortissants de plusieurs pays en avril 2023 au début de la guerre du Soudan, reposait sur les moyens de la base française de Djibouti. Sans ces points d'appui, la projection de forces devient beaucoup plus compliquée, voire impossible dans certaines circonstances. Par conséquent, la fermeture des bases implique la fin des grandes interventions comme Licorne (2002-2015) ou Barkhane (2014-2022).

Néanmoins, depuis quelques années, le bilan coût/avantage des bases a commencé à être questionné à Paris, celles-ci devenant un problème politico-stratégique. D'une part, en symbolisant l'ancien pacte sécuritaire postindépendance passé entre Paris et les dirigeants de certains pays, elles apparaissent comme un héritage néocolonial.

D'autre part, au plan stratégique, il ne sert pas à grand-chose d'avoir un dispositif militaire pré-positionné en Afrique, alors que les principales menaces contre la France viennent d'ailleurs (Europe de l'Est, Moyen-Orient). L'utilité stratégique des bases militaires françaises en Afrique a donc grandement diminué ces dernières années.

Quelles conséquences la fermeture des bases militaires françaises en Afrique pourrait-elle avoir sur l'influence politique et diplomatique de la France dans ses anciennes colonies ?

Dans la mesure où la fermeture des bases implique la fin des opérations extérieures, la France ne disposera plus de cette capacité d'influer - à tort ou à raison - sur certains conflits en Afrique. Cela réduit drastiquement son influence dans cette partie du monde car, d'une part, les conflits augmentant en Afrique, de plus en plus d'Etats africains sont en quête de pourvoyeurs de sécurité. D'autre part, prévenir, stabiliser ou tenter de résoudre des conflits nécessite de combiner la diplomatie et l'action militaire.

Même s'il faut distinguer les pays qui ont décidé de rompre l'accord de coopération militaire avec Paris (Tchad, Sénégal) et les pays qui se contentent de fermer les bases (Côte d'Ivoire), l'annonce de la fermeture des bases par les gouvernants africains et non par Paris symbolise le rejet de la politique française et donc sa perte d'influence dans les pays concernés.

Ce retrait pourrait-il réduire l'influence de la France sur la gestion des crises sécuritaires en Afrique, et par conséquent, nuire à sa position géopolitique mondiale ?

Dans le cadre de la tacite division du travail sécuritaire au sein des pays occidentaux, la France faisait figure de « gendarme de l'Afrique ». Il y a eu pas moins de 52 opérations militaires françaises en Afrique de 1964 à 2014 et, dans le cadre des interventions militaires européennes en Afrique au début de ce siècle, la France jouait le rôle de nation-cadre. Les autres partenaires occidentaux lui reconnaissaient une expertise dans la gestion des crises africaines et appuyaient ou suivaient simplement sa politique dans la plupart des cas.

Cela se traduisait par des responsabilités diplomatiques dans l'Union européenne et aux Nations Unies : la diplomatie française est bien représentée au sein de la direction Afrique du Service européen d'action extérieure, la plume pour les résolutions du Conseil de sécurité sur l'Afrique est confiée à la délégation française, le Département des opérations de maintien de la paix à l'Onu est dirigé par un diplomate français, etc.

Par conséquent, la fin de l'interventionnisme militaire français aura pour la diplomatie française des répercussions qui dépassent l'Afrique et se font déjà sentir à Bruxelles, Washington et New York. Au Niger, les Etats-Unis n'ont pas suivi la ligne dure de la France après le putsch qui a destitué le président Mohamed Bazoum en 2023 mais ils ont tenté de se concilier la junte. Sans succès.

Au Tchad, alors que Paris était très complaisant envers la succession dynastique de Déby père à Déby fils, Berlin a pris une position critique aboutissant à une crise diplomatique et à l'expulsion réciproque des ambassadeurs en 2023. En Italie, Georgia Meloni a publiquement critiqué la politique française en Afrique, créant des tensions entre Paris et Rome.

Comment la réduction de présence militaire affectera-t-elle la capacité de la France à protéger ses intérêts économiques, notamment dans les secteurs miniers et énergétiques ?

En 2023, l'Afrique ne représentait plus que 1,9 % du commerce extérieur de la France, 15 % de son approvisionnement en minerais stratégiques et 11,6 % de son approvisionnement en hydrocarbures. Par ailleurs, les deux premiers partenaires commerciaux de la France en Afrique subsaharienne sont le Nigeria et l'Afrique du Sud - deux anciennes colonies britanniques n'ayant jamais accueilli de présence militaire française sur leur sol.

Depuis le début du siècle, l'évolution des relations franco-africaines est marquée par une forte décorrélation de l'économique et du militaire. Non seulement la France a de moins en moins d'intérêts économiques en Afrique mais ses principaux intérêts ne sont pas situés dans des pays accueillant des bases françaises.

Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire pour l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales, membre du Groupe de Recherche sur l'Eugénisme et le Racisme, Université Paris Cité

AllAfrica publie environ 500 articles par jour provenant de plus de 110 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.