Madagascar: Méfiance des citoyens - La Justice reconnaît ses errances

Par la voix du premier président par intérim de la Cour suprême, la Justice reconnaît l'existence d'une crise de confiance entre les citoyens et elle. Le magistrat admet que la corruption pratiquée par certains juges et membres du personnel judiciaire en est la cause.

Un mea culpa. C'est ainsi que résonne le discours prononcé par Yves Hugues Rajoelina, premier président par intérim de la Cour suprême, lors de l'audience solennelle marquant la rentrée judiciaire pour l'exercice 2025, hier, à la Cour suprême à Anosy.

Dans son allocution de clôture de la cérémonie judiciaire, le numéro Un par intérim de la Cour suprême reconnaît l'existence d'une crise de confiance entre la Justice et les citoyens. «Avant, les Malgaches avaient une confiance totale en la Justice. Elle la considérait comme le chantre de la vérité et de la justice. Celle vers qui se tournent les faibles et les vulnérables. Le dernier espoir des opprimés. Malheureusement, depuis quelques années, cette confiance a diminué», déclare-t-il dans une tirade passionnée.

Yves Hugues Rajoelina indique que cette méfiance grandissante vis-à-vis de la Justice est surtout palpable chez les citoyens les plus vulnérables. Selon lui, «on peut dire que les raisons de ce changement de comportement, de cette méfiance de la population sont les actes illégaux, comme la corruption perpétrée par certains membres du système judiciaire». Sans donner de noms, le premier président par intérim de la Cour suprême met à l'index «certains magistrats et des membres du personnel judiciaire (...)».

Mis à part le ministère de la Justice, qui est une entité gouvernementale, la Cour suprême est l'organe suprême du système judiciaire. Son premier président est ainsi au sommet de la hiérarchie judiciaire. Le fait qu'il reconnaisse publiquement les errances de la Justice pourrait indiquer que l'heure est grave et qu'il est urgent d'y remédier.

Yves Hugues Rajoelina déplore «qu'il soit ancré dans les esprits des citoyens que, sans corruption, les démarches au niveau des tribunaux n'arriveront pas à terme». Il renchérit que certains justiciables parties à une affaire n'hésitent plus à brandir le fait qu'ils auraient les surfaces financières nécessaires pour gagner au tribunal, afin «d'intimider» leurs vis-à-vis. «Que ce soit avéré ou non, c'est une situation malheureuse et gênante qui impacte la confiance envers la Justice», regrette le numéro Un par intérim de la Cour suprême.

Sanctions

À s'en tenir au discours du premier président par intérim de la Cour suprême, la reconquête de la confiance des citoyens est une mission à laquelle le système judiciaire devra s'atteler en urgence. «Mais comment rétablir la confiance de la population envers la Justice ?», s'interroge Yves Hugues Rajoelina, en indiquant qu'il s'agit d'un défi collectif. Outre les magistrats, le personnel du système judiciaire, l'État, les justiciables ont aussi une part de responsabilité dans ce défi en commun, à l'entendre.

Le patron par intérim de la Cour suprême parle «d'un nécessaire changement de comportement», comme une solution à la crise de confiance envers la Justice. L'idée est de briser la culture de la corruption qui gangrène le système judiciaire. Seulement, comme Yves Hugues Rajoelina le reconnaît dans son discours, il y a des magistrats et des membres du personnel judiciaire qui s'adonnent à la corruption.

C'est l'existence de ces personnes perméables à la corruption, qui amènent les citoyens qui estiment en avoir les moyens ou qui pensent ne pas avoir le choix à user de la corruption pour avoir gain de cause devant les tribunaux. L'idée d'un changement de comportement reste, par ailleurs, abstraite. Le premier président par intérim de la Cour suprême avance, néanmoins, des actions concrètes qui seraient déjà mises en oeuvre, pour lutter contre la corruption au sein de la Justice.

«La partialité dans l'application de la loi est intolérable. Pour rétablir la confiance envers la Justice, ceux qui sont impliqués dans des faits de corruption, qu'il s'agisse de magistrats ou de membres du personnel judiciaire, seront sanctionnés sévèrement. Suivant les consignes du ministre de la Justice, la loi sera appliquée sans regard de statut», soutient Yves Hugues Rajoelina. Il parle aussi de lutte contre «l'interventionnisme», dans les affaires en justice.

En octobre, Benjamin Alexis Rakotomandimby, ministre de la Justice, a pris une décision de suspension de fonction, assortie de suspension de solde, contre quatre substituts du procureur près le Tribunal de première instance (TPI) d'Antananarivo. La décision s'est heurtée à une levée de bouclier de la part du Syndicat des magistrats de Madagascar (SMM).

Selon les indiscrétions, affirmant une intransigeance contre les déviances à l'éthique et aux normes régissant la Justice et la magistrature, le garde des sceaux n'a pas plié face à la pression syndicale. En parallèle, la réaction du SMM s'est aussi heurtée à de vives réprimandes de l'opinion publique sur les réseaux sociaux. Il est certain que toute intention d'en finir avec la corruption au sein de la Justice et, plus largement, de l'ensemble de l'administration publique, aura le soutien de la population. Alors, il est plus que temps d'agir. Acta non verba.

AllAfrica publie environ 500 articles par jour provenant de plus de 110 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.