Retour à la case départ. Avec la non-conclusion du «deal» renégocié entre Maurice et le Royaume-Uni pour la souveraineté mauricienne sur les Chagos, y compris Diego Garcia, la nouvelle bataille sera désormais celle contre le bon vouloir de Donald Trump, qui sera investi comme le 47e président des États-Unis, demain.
Nonobstant les obstacles du jour, nul ne peut dissocier la victoire de Maurice face au Royaume-Uni devant la Cour internationale de justice (CIJ) et l'Assemblée générale des Nations unies, pour la souveraineté des Chagos, de l'équipe menée par le King's Counsel Philippe Sands. L'éminent juriste, dans ces mêmes colonnes, moins d'un mois après l'avis consultatif de la CIJ favorable à Maurice, en février 2019, s'était dit «un optimiste réaliste», sur le dossier Chagos.
Que ce soit à la Cour internationale de justice, au Tribunal du droit de la mer, ou à l'assemblée générale de l'Onu, «ils ont tous ordonné que les Chagos reviennent à Maurice. Il n'y a plus de doute sur cette question. C'est le moment de reconnaître que le colonialisme, c'est fini».
On savait que Philippe Sands, né à Londres le 17 octobre 1960 d'un père dentiste et d'une mère gérante d'une petite librairie qui vendait des livres pour enfants, avait la double nationalité francobritannique. Ce que très peu savaient, c'est que le King's Counsel spécialisé dans la défense des droits humains, professeur de droit à l'University College de Londres, producteur à France Culture et écrivain, est aussi Mauricien.
L'express a sollicité Philippe Sands pour en savoir davantage sur sa citoyenneté mauricienne, mercredi, jour où le Premier ministre Navin Ramgoolam réunissait un conseil des ministres spécial pour faire le point sur les renégociations de trois points clés de l'accord sur les Chagos - dont la durée du bail de Diego Garcia et le loyer de la base militaire américaine qui devrait être indexé sur l'inflation.
La conclusion de l'accord qui devait être à l'ordre du jour, mercredi, n'avait pas encore capoté, lorsque Philippe Sands nous a répliqué ceci : «Je préfère attendre la conclusion de l'accord pour en parler. Dès que c'est fait, oui pour une interview approfondie», nous avait répondu l'avocat.
Mais l'affaire devait évoluer à vitesse grand V avec le 10 Downing Street annonçant le même après-midi lors d'un briefing avec la presse que l'accord sur les Chagos devra être examiné par Donald Trump avant sa finalisation. «Nous n'accepterons qu'un accord qui soit dans le meilleur intérêt du Royaume-Uni et protège notre sécurité nationale. Il est évidemment légitime que la nouvelle administration américaine ait l'occasion d'examiner et de discuter de cette question une fois en fonction», a déclaré le porte-parole du Premier ministre britannique Sir Keir Starmer.
Le même jour, The Telegraph, dans un article critique à l'égard de Philippe Sands, intitulé The lawyer friend of Starmer at the centre of Chagos deal, révèle que le King's Counsel, a obtenu la nationalité mauricienne ainsi qu'un passeport diplomatique durant la pandémie du Covid19 en 2020, pour échapper à une quarantaine de 14 jours alors qu'une audience se tenait à Hambourg.
«Mr Sands said he was granted Mauritian nationality during the Covid pandemic in 2020 when he was handed citizenship and a diplomatic passport in order to avoid 14-day quarantine rules when a hearing was held in Hamburg. He said his diplomatic passport was returned to the Mauritian ambassador at the end of the hearing", peut-on lire dans l'article de The Telegraph.
Rappelons aussi que Philippe Sands a été élevé au rang de Grand Commander of the Star and Key of the Indian Ocean (GCSK), la plus haute distinction mauricienne, en mars 2021, par le gouvernement de Pravind Jugnauth, pour son rôle déterminant dans la défense des intérêts de Maurice sur la scène internationale, concernant les Chagos.
Cependant, il faut souligner que c'est sous le gouvernement de Navin Ramgoolam en 2010 que Philippe Sands a été sollicité pour diriger l'équipe juridique de Maurice dans son combat pour la souveraineté des Chagos, territoire disputé avec le Royaume-Uni et qui abrite l'importante base militaire américaine, sur la plus grande île, Diego Garcia.
Philippe Sands raconte dans des entretiens, qu'il était en vacances en France avec son frère et faisait du ski lorsqu'il a reçu cet appel du bureau du Premier ministre en 2010.
«Est-ce que vous êtes prêt à nous assister dans la récupération de nos îles du gouvernement britannique», lui avait demandé le Premier ministre Navin Ramgoolam.
À cette époque, les Britanniques avaient l'intention de créer une zone marine protégée autour des Chagos, perçue comme une manoeuvre pour empêcher le retour des Chagossiens, forcés à l'exil, sur leurs terres ancestrales.
Ensuite, après les élections générales de 2014 et 2019, remportées respectivement par sir Anerood Jugnauth et son fils Pravind Jugnauth, Philippe Sands a été maintenu dans ses fonctions de conseiller juridique principal sur le dossier Chagos. Aux côtés de sir Anerood, il a porté le dossier devant la CIJ et devant l'assemblée générale des Nations unies. En février 2019, la CIJ a rendu un avis consultatif favorable à Maurice, estimant complètement illégal ce que le Royaume-Uni a fait en 1965 et que la décolonisation de l'île n'avait pas été menée à bien en raison de la séparation de l'archipel des Chagos avant l'indépendance.
En 2015, Philippe Sands a alors agi en tant que conseil pour Maurice dans cette affaire jugée illégale, devant la Cour permanente d'arbitrage.
En 2019, il a aussi représenté Maurice devant le tribunal arbitral constitué en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dans le différend concernant la délimitation de la frontière maritime entre Maurice et les Maldives dans l'océan Indien.
Après l'avis consultatif de la CIJ, Philippe Sands a eu l'opportunité de se rendre dans l'archipel des Chagos. En février 2022, il faisait partie d'une délégation de privilégiés à entreprendre une expédition historique dans l'archipel des Chagos, pour la première fois sans les Britanniques. Le navire affrété pour cette mission était le MV Bleu De Nîmes, un ancien navire militaire converti en yacht d'expédition. La délégation comprenait des membres du gouvernement mauricien, des scientifiques, des journalistes, ainsi que des Chagossiens, dont Olivier Bancoult, leader du Groupe Réfugiés Chagos.
Lors de cette expédition, le 14 février 2022, le drapeau mauricien a été hissé sur l'atoll de Peros Banhos, symbole fort de la souveraineté mauricienne sur l'archipel. La délégation a également mené des études scientifiques pour la délimitation des frontières maritimes entre Maurice et les Maldives, en vue de renforcer les revendications territoriales de Maurice.
Par contre, si Philippe Sands bénéficie du soutien des membres du Groupe Réfugiés Chagos mené par Olivier Bancoult, le juriste ne fait pas l'unanimité au sein de la communauté chagossienne installée au Royaume-Uni.
Le KC suscite aussi des critiques de certains médias britanniques, qui remettent en question son rôle et son influence sur le dossier Chagos. Ils lui reprochent sa proximité avec le Premier ministre britannique :
Philippe Sands et sir Keir Starmer ont été collègues au sein de Matrix Chambers et partagent des convictions similaires en matière de droits humains. Les deux hommes, tous deux éminents juristes, partagent une amitié de longue date.
Face à ces critiques, Philippe Sands a maintenu que son engagement envers Maurice est fondé sur des principes juridiques solides et une conviction profonde en la justice internationale. Il souligne que son rôle est de défendre les droits de ses clients conformément au droit international, indépendamment des considérations politiques internes du Royaume-Uni.
Au-delà de ses engagements juridiques, Philippe Sands est également un auteur prolifique. Son ouvrage Retour à Lemberg (2016) a connu un succès mondial.
En 2022, Philippe Sands a publié The Last Colony: A Tale of Exile, Justice and Britain's Colonial Legacy. Un ouvrage consacré à l'histoire des Chagossiens et à leur lutte pour la justice, dont celles bouleversantes et décisives de Liseby Elysé, 21 ans, enceinte de son premier enfant, déportée de Peros Bahnos, avec une seule malle, - qui ont résonné durant l'audience à la CIJ à La Haye, en septembre 2018.