La lutte contre la drogue était l'une des promesses phares de l'Alliance du changement lors de la campagne électorale. Dans son message de fin d'année, le Premier ministre, Navin Ramgoolam, avait annoncé que la National Agency for the Treatment and Rehabilitation of Susbtance Abusers (NATReSA), fermée en 2016, serait remise sur pied. Si la décision a été bien accueillie, ceux qui connaissent le terrain estiment qu'il faut que l'instance soit adaptée aux réalités actuelles sur le terrain.
De la promesse à la réalité
Le manifeste électoral était clair. Un select committee parlementaire devait être institué pour travailler en collaboration avec les autorités, médecins et forces vives afin d'établir un master plan et prendre les mesures qui s'imposent face à ce fléau. En attendant ce plan, il devait y avoir une Drug Enforcement Agency qui réunirait les différents organismes publics concernés pour traiter le problème. Cette unité allait mettre fin à l'Anti-Drug and Smuggling Unit, comme préconisé dans le rapport Lam Shang Leen, et le démantèlement de la Special Striking Team allait suivre.
Sollicité, Sam Lauthan, travailleur social qui accompagne les toxicomanes et leurs familles et qui a été l'un des deux assesseurs de l'exjuge Paul Lam Shang Leen, rappelle que lorsqu'il était ministre de la Sécurité sociale, il s'occupait aussi des prisons et qu'il avait fait voter une loi pour que des travaux communautaires soient imposés aux first offenders au lieu de peines d'emprisonnement. «J'avais dit que la prison était l'université du crime.»
L'idée était de réveiller la sensibilité des usagers de drogue, car selon l'une des définitions utilisées par l'expert, les drogues troublent l'esprit, brouillent la vision et durcissent le coeur. «C'est pour cela que dans bien des cas, les usagers de drogues ne voient pas les peines causées à leurs proches. Les travaux communautaires, dans les maisons de retraite ou dans les endroits où il y a des personnes en situation de handicap, par exemple, aideraient à les sensibiliser à nouveau», estime-t-il.
Cependant, le travail ne sera pas simple. Selon Sam Lauthan, il faudra tout d'abord avoir des statistiques précises. «Par exemple, dans les prisons, il faut savoir combien de personnes viennent de familles explosées, combien en sont à leur premier délit, entre autres. On ne peut pas avoir de plan d'action sans statistiques de base.»
La réactivation de la défunte NATReSA s'inscrit dans la lignée de ce qui est dit dans le manifeste électoral. Selon les promesses, le master plan contre la drogue tiendra compte de la nécessité de faciliter la réhabilitation des toxicomanes et leur réinsertion dans la société. Il est aussi prévu qu'un centre de recherche et de forma- tion soit mis en place pour accompagner les familles qui font face à des problèmes liés à la toxicomanie.
Une nouvelle NATReSA
Sollicitée, Sheila Bappoo, ancienne ministre de la Sécurité sociale, sous qui la NATReSA opérait avant d'être transférée au ministère de la Santé, accueille la nouvelle très favorablement. «C'était une instance qui s'occupait de la prévention, de la réhabilitation, de l'éducation et de l'autonomisation. Son rôle était très important», explique-t-elle. La décision de fermer cette agence, selon elle, a contribué à la situation actuelle, où la drogue affecte toute l'île et toutes les classes sociales. «Au lieu de fermer, il aurait fallu renforcer la NATReSA et augmenter son budget. Cela aurait évité les dégâts sociaux», réitère-t-elle.
Mais face à la situation actuelle, précise l'ancienne ministre, il faut que le fonctionnement de cette agence soit revu. «Il faudra tout reprendre à zéro et faire un état des lieux de la situation pour comprendre l'ampleur du problème», dit-elle. Certes, le fonctionnement de base comme la prévention, l'éducation, l'information et la réhabilitation doit rester, mais il faut garder en tête que la situation a évolué dans le mauvais sens et il faudra que l'agence couvre tout cela. Mais il faut aussi revoir les lois et donner à l'agence le budget approprié.
D'ailleurs, dans le manifeste électoral, il est précisé que le cadre légal relatif au trafic, à la consommation et au traitement des toxicomanes sera revu et que de nouvelles dispositions tiendront en compte le traitement différencié nécessaire entre trafiquants et consommateurs.
Ally Lazer, travailleur social depuis des décennies, abonde dans le même sens. «Vu l'ampleur du problème, je suis pour cette décision, mais il faut une refonte totale du projet. Il faudrait la présence d'une instance gouvernementale dans chaque région du pays», indiquet-il.
De plus, il estime que les employés doivent être des personnes qui connaissent le problème et la situation, y compris la drogue synthétique, car dans le passé, il y avait des nominés politiques qui avaient gangrené l'instance. «Il y avait même un ministre qui avait dit qu'il n'y avait pas de décès lié à la drogue synthétique à Maurice. La NATReSA faisait souvent appel à nous pour animer des causeries dans les écoles car les travailleurs de l'agence ne savaient pas le faire», dit-il.
Quant à José Ah-Choon, travailleur social et ancien membre du conseil d'administration de la NATReSA, il accueille aussi la mesure à bras ouverts. «Je connais un cas où la maman ne veut pas que son enfant vole pour se droguer. Pour éviter cela, elle a commencé par lui donner Rs 50. Aujourd'hui, c'est Rs 1 000 que cet usager a besoin pour sa dose», dit-il pour illustrer comment le problème est familial. Pour lui, lorsque l'agence fonctionnera à nouveau, une des urgences sera de revoir non seulement les lois mais aussi les différents programmes comme l'échange des seringues et la méthadone, entre autres.