Afrique: Comment la R&D permet d'endiguer l'insécurité alimentaire

22 Janvier 2025

Une récente étude a porté sur l'impact du financement de la recherche-développement (R&D) en agriculture sur la sécurité alimentaire en Afrique.

Pour ses auteurs, l'aspect le plus important de l'étude qui pourrait bénéficier sur le long terme à l'Afrique subsaharienne est l'impact considérable qu'ont les équivalents temps plein (ETP) des chercheurs en agriculture sur la sécurité alimentaire.

Comme l'explique Kamal Tasi'u Abdullahi, auteur principal de cette étude, ces travaux soulignent le fait que, même si les dépenses en R&D sont cruciales, une implication directe des chercheurs dans l'innovation agricole semble avoir un impact plus immédiat et plus considérable sur la sécurité alimentaire.

"L'étude met en avant la nécessité d'avoir des stratégies d'investissements coordonnées dans les différents pays, grands comme petits, pour optimiser l'attribution des ressources et réaliser des économies d'échelle. Ce qui pourrait, à terme, améliorer la sécurité alimentaire dans la région"Kamal Tasi'u Abdullahi, université d'Istanbul, Turquie

Ce qui, de son point de vue, implique que le fait de développer les compétences, par exemple en formant des chercheurs en agriculture et en finançant leurs travaux, pourrait avoir des bénéfices importants sur le long terme pour l'Afrique sub-saharienne.

« L'étude met en avant la nécessité d'avoir des stratégies d'investissements coordonnées dans les différents pays, grands comme petits, pour optimiser l'attribution des ressources et réaliser des économies d'échelle. Ce qui pourrait, à terme, améliorer la sécurité alimentaire dans la région », souligne le chercheur.

Ce travail de recherche s'est concentré sur 24 pays d'Afrique sub-saharienne entre les années 2000 et 2016, pour étudier comment les investissements dans les innovations agricoles affectent la sécurité alimentaire. A en croire l'auteur de l'étude, cette période a été choisie en fonction de la disponibilité des données pour les pays sélectionnés.

Selon Abdulazeez Hudu Wudulu, du département d'Economie agricole et d'agro-industrie de l'université fédérale de Dutse, dans l'Etat de Jigawa, au Nigeria, qui n'a pas participé à l'étude, l'Afrique fait face à des problèmes multiformes, dont la plupart relèvent de l'agriculture.

Pour lui, le continent doit disposer d'un plan de développement solide et réaliste, avec des investissements massifs dans la recherche et le développement, pour relever le défi de l'insécurité alimentaire qui s'aggrave depuis l'effondrement de la chaîne d'approvisionnement au niveau mondial à cause de la Covid-19.

A terme, dit-il, les investissements de l'Afrique dans l'agriculture pourraient attirer les jeunes entrepreneurs du continent, sa population étant de plus en plus jeune. « On estime que plus de 70 % des Africains ont moins de 30 ans, et que plus de 19 % d'entre eux ont entre 15 et 23 ans. Cela représente une opportunité de croissance et d'innovation, mais seulement si nous sommes prêts », affirme le chercheur.

Afrique centrale

Ladite étude révèle par ailleurs que les investissements sont plus efficaces en Afrique de l'Est, en Afrique australe et en Afrique de l'Ouest, alors qu'ils aggravent le problème de l'insécurité alimentaire en Afrique centrale.

« Ce qui nous a surpris le plus, concernant l'Afrique subsaharienne, c'est que, contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'innovation agricole peut augmenter l'insécurité alimentaire dans certaines régions. C'est le cas en Afrique centrale », déclare Kamal Tasi'u Abdullahi, par ailleurs enseignant à la faculté d'Economie à l'université d'Istanbul (Turquie).

« Cette conclusion inattendue montre qu'en dépit des investissements, la région rencontre toujours des difficultés importantes en raison d'une attribution inefficace des ressources, de la petite taille des pays, et d'infrastructures inadéquates. », poursuit-il.

« Elle montre aussi que les investissements agricoles à eux seuls ne sont pas suffisants et qu'il faut une approche plus stratégique qui prenne en compte les capacités institutionnelles, le contexte local, et la gouvernance », ajoute le chercheur.

Aussi Kamal Tasi'u Abdullahi prescrit-t-il une réforme des politiques et l'attribution de budgets suffisants pour financer la recherche-développement dans la région ; ainsi que la réduction de la dépendance vis-à-vis des donateurs, par exemple en travaillant avec les banques de développement de la région et avec des investisseurs potentiels de la diaspora.

Pour ce dernier, la promotion des partenariats public privé est un autre aspect crucial de la recherche-développement en agriculture dans la région. Parallèlement, les allègements fiscaux et des subventions peuvent aussi attirer les investisseurs...

Abdulazeez Hudu Wudulu recommande quant à lui une volonté sincère et une amélioration du système éducatif qui ne doit plus reposer sur la théorie mais sur le côté pratique et la recherche. Il croit aussi que la solution pourrait se trouver dans le renforcement des collaborations aux niveaux régional, national et international en matière de R&D.

Analyse du cycle de vie

Éric Lambin, géographe et chercheur spécialisé dans l'environnement à université catholique de Louvain (Belgique) et à Stanford University (Etats-Unis), évoque la prise en considération d'un des éléments clés qu'est « l'analyse du cycle de vie » (ACV).

Celle-ci permet d'évaluer les impacts environnementaux des produits ou des procédés, du début à la fin de leur vie. Par exemple, en recherche-développement, l'ACV aide les chercheurs à identifier les possibilités d'améliorer l'efficacité environnementale, réduire l'utilisation des ressources et minimiser le gaspillage.

« Les roses importées du Kenya en hiver ont une empreinte énergétique moins importante que si elles avaient été cultivées sous serre, en hiver, en Europe. Il en va tout autrement pour les haricots. Les haricots verts importés du Kenya ont en fait une empreinte énergétique plus importante que les mêmes haricots cultivés sous serre. Tout dépend des quantités consommées, de la quantité d'eau requise, de l'énergie nécessaire (transport, machines, etc.). C'est pourquoi ce concept d'ACV est si important », illustre Eric Lambin qui s'appuie sur des études.

Chez Farmer Lifeline Technologies à Nairobi (Kenya), on semble avoir compris l'intérêt de cette approche. Cette organisation utilise l'intelligence artificielle pour améliorer la sécurité alimentaire et la résilience climatique dans des communautés agricoles isolées, notamment à travers la détection précoce des ravageurs et des maladies.

Esther Wanjiru, une des responsables de cette organisation, explique à SciDev.Net qu'en adoptant l'approche ACV, Farmer Lifeline Technologies veille à ce que la technologie soit durable, en termes d'impact environnemental (par exemple en utilisant l'énergie solaire) et de viabilité économique sur le long terme.

Augmenter les rendements

Elle ajoute qu'en optimisant l'utilisation des ressources et en minimisant le gaspillage, on peut aider les agriculteurs non seulement à augmenter les rendements, mais aussi à protéger les écosystèmes liés à la production agricole.

« La plupart des petits agriculteurs, qui constituent une grande partie de la main d'oeuvre agricole en Afrique sub-saharienne, n'ont pas accès au capital nécessaire pour adopter de nouvelles technologies. Les innovations peuvent potentiellement améliorer la productivité et la rentabilité, mais les coûts initiaux peuvent constituer un frein pour certains agriculteurs », remarque Esther Wanjiru.

Idem du côté de Synnefa qui fournit des serres intelligentes pour aider les agriculteurs en Afrique à multiplier leur revenu par deux sur des parcelles plus petites en optimisant l'irrigation et en augmentant la résilience climatique.

Taita Ngetich, son directeur général, remarque que les pays riches ont fait beaucoup de progrès en matière d'OGM et de biotechnologie et ont été à même de raccourcir les saisons et d'avoir de meilleurs rendements. Cependant, ajoute-t-il, l'Afrique sub-saharienne a toujours du retard dans ce domaine, et ses cultures nécessitent généralement une période plus longue, de la plantation à la récolte.

Seulement, « la conception des produits est lente et progressive, confesse-t-il dans un entretien avec SciDev.Net. En effet, les micro- et macroenvironnements s'ajustent et évoluent pour créer les conditions nécessaires pour que la technologie puisse porter ses fruits. Par exemple, il a fallu 10 ans pour que la connectivité mobile en zone rurale au Kenya passe de 10 % à 60 % aujourd'hui, ce qui a permis à la téléphonie mobile de pénétrer plus avant dans les villages ».

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