Ile Maurice: «Les ambassades mauriciennes doivent approfondir leur connaissance du port pour créer des opportunités»

interview

L'économie bleue a été présentée ces dernières années comme un potentiel pilier économique. Concrètement, quelles sont les mesures qui doivent être prises par le nouveau gouvernement afin d'exploiter pleinement ce potentiel ?

Le développement de l'économie bleue a officiellement commencé en avril 2012. Ce processus a été suivi par un discours du Budget en novembre 2013 et une feuille de route a été élaborée, fixant des objectifs pour l'avenir. Parmi les étapes marquantes de cette démarche, on peut citer la création du ministère de l'Économie bleue en 2014, l'établissement du Conseil national de l'océan (NOC) en 2015, ainsi que l'adoption de la déclaration de l'Association de la région de l'océan Indien sur l'économie bleue.

L'objectif à long terme pour 2025 était d'augmenter la contribution de l'économie bleue au Produit intérieur brut (PIB) national à 20 %. Cependant, malgré ces ambitions élevées, la part du secteur est passée de 10,8 % en 2013 à 9,8 % en 2023, montrant ainsi une diminution qui reflète la lente progression des secteurs clés censés stimuler cette croissance. Cette baisse met en lumière l'inefficacité des efforts entrepris et l'incapacité à transformer les plans en résultats concrets. L'existence de plusieurs conseils, groupes de travail et plans n'a pas permis de générer des résultats tangibles.

Au cours de mon parcours au ministère de l'Économie bleue, des ressources marines, de la pêche et du transport maritime, particulièrement dans le département du transport maritime, j'ai eu l'opportunité d'échanger avec des experts du secteur portuaire. Ces échanges m'ont convaincu qu'il est impératif de concentrer nos efforts sur trois axes fondamentaux : le ravitaillement en carburant (bunkering), le développement des infrastructures portuaires et le transbordement. Ces trois segments sont les bases sur lesquelles nous devons d'abord bâtir, avant de nous lancer dans le développement d'autres segments de l'économie bleue.

Ainsi, nous pourrons non seulement accroître notre attractivité en tant que plateforme logistique et de ravitaillement, mais aussi créer de nouveaux emplois et attirer des investissements étrangers. Ce n'est qu'une fois ces fondations solides établies que nous pourrons envisager de développer davantage les autres facettes de notre économie bleue, telles que la pêche durable, l'aquaculture en mer et la gestion des ressources maritimes.

Comment Maurice peut-elle exploiter son potentiel stratégique dans l'océan Indien pour devenir un acteur clé du secteur maritime en développant ses infrastructures portuaires ?

D'après le rapport Policy for the Blue Economy in Mauritius, publié en décembre 2023, environ 35 000 navires naviguent près de Maurice chaque année. Cette activité maritime comprend une grande variété de navires, tels que des porte-conteneurs, des pétroliers, des vraquiers et d'autres types de navires commerciaux. Grâce à cette forte affluence maritime, on dispose d'un potentiel considérable pour se développer.

Ambitieusement, notre objectif initial devrait être d'accueillir 50 000 navires accostant notre port dans un premier temps. Bien sûr, ce cap ambitieux nécessiterait des investissements conséquents dans la modernisation des infrastructures, le développement de services de ravitaillement en carburant et le renforcement des capacités de transbordement.

Bien que les pays du Golfe et Singapour soient géographiquement plus proches, il semble réaliste de penser qu'ils seront peu enclins à nous soutenir en raison de la concurrence que cela représente dans l'océan Indien. Donc, pour attirer les investissements nécessaires au développement du secteur maritime, on devrait se tourner vers les grands acteurs mondiaux du secteur portuaire, les big dogs, qui dominent cette industrie. Des pays comme la Chine, le Japon et la Corée du Sud sont des leaders dans le domaine des infrastructures portuaires et du bunkering, possédant des technologies avancées et une expertise logistique de pointe.

En juillet 2019, le Cabinet a approuvé la signature d'un protocole d'accord (MoU) avec le Groupe portuaire Ningbo-Zhoushan en Chine. Durant mon mandat de trois ans comme représentant de l'EDB et conseiller économique en Chine, j'ai ouvert des discussions avec le groupe pour concrétiser cet accord après le Covid-19. Cependant, pour des raisons inconnues, l'accord n'a jamais été signé, malgré l'intention de la partie chinoise d'envoyer une délégation en mars 2024. Ce type de partenariat, axé sur le développement des infrastructures portuaires, devrait être répliqué et adapté avec d'autres grandes villes portuaires d'Asie de l'Est, telles que Yokohama au Japon et Busan en Corée du Sud.

La diplomatie économique est donc importante...

Les ambassadeurs mauriciens et les conseillers économiques et commerciaux qui seront affectés aux cinq pays suivants (Arabie saoudite, Chine, Inde, Japon, et Malai- sie) devraient être aussi invités à participer à une visite guidée de la Mauritius Ports Authority (MPA) et suivre un programme de familiarisation structuré sur les activités actuelles du port et les projets futurs. Étant donné l'importance stratégique de Port-Louis dans la région, il est crucial que les ambassades mauriciennes à l'étranger approfondissent leur compréhension des activités portuaires pour mieux promouvoir le port comme une opportunité clé.

Dans le cadre de la Maritime Week Africa prévue en mars 2025, il est impératif de mobiliser les ambassades étrangères présentes à Maurice pour qu'elles invitent leurs entreprises opérant dans ce secteur à participer à cet événement d'envergure. En fournissant des informations claires et détaillées sur les opportunités qu'offre le port de Port-Louis, ces initiatives pourraient attirer des investissements stratégiques.

Quid de la capacité pour le transbordement ?

Le transbordement représente une opportunité importante pour nous, notamment face au potentiel grandissant de l'industrie automobile en Afrique. Le continent, avec une population de plus de 1,3 milliard d'habitants, devrait doubler d'ici 2050, tout en ayant l'un des taux de motorisation les plus faibles au monde. Cette croissance démographique, combinée à l'augmentation des revenus et au soutien accru des gouvernements, fait de l'Afrique une «nouvelle frontière» pour la vente d'automobiles.

Les trois géants de l'automobile à savoir le Japon, la Chine et la Corée du Sud, ont déjà identifié le potentiel de ce marché depuis 2016. En 2024, les «top 3» exportateurs d'automobile vers l'Afrique étaient le Japon, la Chine et la Corée du Sud. Si les véhicules d'occasion japonais dominent encore les importations, la classe moyenne africaine, en pleine expansion, se tourne désormais davantage vers les véhicules neufs ou électriques en provenance de Chine et de la Corée du Sud. Dans l'immense océan de la logistique internationale, le transport RORO (Roll-on/ Roll-off) s'impose comme un acteur clé. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec ce terme, «RORO» désigne une méthode spécifiquement conçue pour le transport de cargaisons roulantes, telles que des voitures, des camions et des équipements lourds.

Pour tirer parti de cette dynamique, on peut jouer un rôle en se positionnant comme le port de transbordement RORO idéal pour le «top 4» des exportateurs visant le marché africain.En soutenant le développement du transbordement RORO à Maurice, la Chine, la Corée du Sud et le Japon auraient tout à gagner. En effet, ils bénéficieraient d'une méthode plus efficace et rentable pour acheminer leurs véhicules vers l'Afrique, réduisant ainsi les coûts logistiques et les délais de livraison, tout en consolidant leurs exportations vers un marché en pleine expansion et en soutenant la transition énergétique en Afrique.

Quel est votre avis sur le rôle des technologies émergentes dans la transformation du transport maritime ?

On peut s'inspirer des exemples de succès en Chine, au Japon et en Corée du Sud, comme les ports de Busan, Shanghai, Ningbo-Zhoushan et Yokohama, pour accélérer cette transformation. Des systèmes déjà adoptés dans ces pays, offrent des capacités avancées telles que la visibilité en temps réel, l'automatisation des flux logistiques et des analyses prédictives basées sur l'intelligence artificielle. Ces technologies transforment la gestion des navires et des cargaisons en simplifiant et en accélérant le dédouanement des marchandises, tout en améliorant l'efficacité opérationnelle.

Le port de Busan, par exemple, utilise des solutions automatisées telles que les grues autonomes et les entrepôts robotisés, ce qui réduit considérablement les temps d'attente et optimise l'utilisation des espaces portuaires. En Chine, les ports de Shanghai et Ningbo-Zhoushan ont intégré des technologies basées sur la blockchain pour sécuriser et accélérer les processus de documentation, tout en utilisant des plateformes d'analyse de données avancées pour optimiser les flux de marchandises. Le Japon, avec le port de Yokohama, se concentre sur l'utilisation de l'IoT (Internet des objets) pour surveiller les cargaisons et les équipements en temps réel, tout en adoptant des systèmes de gestion énergétique pour réduire les émissions de carbone et promouvoir la durabilité. Le port de Yokohama est également à l'avant-garde de l'intégration de l'intelligence artificielle dans la gestion des flux logistiques et l'optimisation des opérations portuaires.

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