Après un peu plus de deux mois à l'hôtel du gouvernement, le rideau est-il tombé subrepticement sur la période de grâce, dont jouit l'Alliance du changement depuis son écrasante victoire du 11 novembre 2024 ? À écouter les internautes sur les réseaux sociaux et les «phone talks» ou encore à lire les commentaires dans la presse écrite, il y a une attente mal dissimulée chez une frange importante de la population.
Celle-là même qui, faisant partie de ces 67 % de l'électorat ayant massivement plébiscité Navin Ramgoolam à la tête du pays, s'interroge maintenant sur ces promesses électorales, voire ces mesures phares vendues pendant la campagne électorale pour être mises en chantier dans la première semaine du pouvoir et qui se font cruellement attendre aujourd'hui.
Il est compréhensible qu'un manifeste électoral, étalé sur cinq ans, ne peut être exécuté en deux mois. En même temps, on peut comprendre l'impatience de ces défavorisés de la société, qui étaient sensibles aux narratifs des dirigeants de l'opposition d'alors, aujourd'hui aux commandes du pays, que leur caddy serait rempli, une fois la roupie stabilisée, voire appréciée, que les prix de produits de base seraient réduits avec l'élimination de la TVA, que les prix de l'essence et du diesel subiraient une baisse plus conséquente que celle de Rs 5 intervenue symboliquement après les élections, entre autres.
Or, pour le moment, ils ne voient rien venir. Certes, il faut relativiser et ajouter dans l'équation que le nouveau gouvernement a hérité d'une situation économique désastreuse, à en croire The State of the Economy préparé par le ministère des Finances. Il y a eu notamment une dilapidation des caisses de l'État, couplée à des statistiques faussées, manipulées et maquillées impactant sur le PIB, le déficit budgétaire et le ratio de la dette entre autres ; ce, alors même que les squelettes sortent toujours des placards de l'ex-ministre des Finances et que Moody's pourrait tôt ou tard abaisser la note du pays.
Dans sa première interview dans la presse dominicale, Navin Ramgoolam monte au créneau pour calmer les esprits, apporter des éléments de réponse sur certaines actions et démarches qui ont pu soulever la colère populaire et indiquer certaines pistes en attendant le discours présidentiel de vendredi, où l'Alliance du changement définira les grands axes de son programme gouvernemental. S'il dit comprendre l'impatience des Mauriciens, il fait appel à leur bon sens, rappelant que le pays est «dans une situation très difficile et que nous aurons à prendre des décisions drastiques». Et même les milliards provenant du Chagos deal, quoique conséquents, ne suffiront pas, selon le Premier ministre, à régler la situation économique difficile du pays.
Évidemment, on l'aura compris, c'est surtout dans le choix de certains nominés au sein de la haute hiérarchie de la fonction publique et dans certaines sociétés et d'institutions d'État que la déception est plus grande, même parmi les plus fervents partisans de cette alliance gouvernementale. On peut comprendre qu'un Premier ministre, hors du circuit pendant une décennie, souhaite faire confiance à son ancienne équipe, sachant que certains services sont toujours noyautés par des personnes qui jurent toujours fidélité à l'ancien régime. Faut-il pour autant que ces revenants sont armés de nouveaux outils pour appréhender la complexité de leurs tâches avec l'avènement de nouvelles technologies.
Fils du sol
En même temps, il ne faut pas que les brillants fils du sol, qui peuvent faire la fierté de grandes sociétés multinationales, se retrouvent toujours sur la touche dans leur propre pays, incapables d'aspirer à des postes de responsabilité, tant dans le public que le privé, préférant ainsi faire carrière à l'étranger. Entre-temps, on ne sait pas par quelles forces occultes certains, qui auraient dû depuis longtemps quitter la scène, sont catapultés dans des conseils d'administration, estimant qu'ils peuvent encore contribuer à redresser des sociétés gangrenées par la mauvaise gouvernance du passé.
Mais il y a aussi ceux qui croient à leur impunité alors qu'ils ont abusé la démocratie, ont été impliqués dans le «cover-up» de crimes financiers et qui ont vampirisé l'économie. L'attente est grande pour qu'ils soient trainés en cour et sévèrement punis. Pour le moment, le Premier ministre ne veut pas brusquer les étapes. Il compte le faire dans les règles et la légalité. Mais une chose est sûre, dit-il, ceux qui ont fauté devront rendre des comptes.
À un moment où Ramgoolam fils s'active à installer son administration, un autre dans le pays de l'Oncle Sam se prépare à constituer son équipe pour «Make America Great Again» (MAGA). Le retour de Donald Trump aux affaires aux États-Unis entraînera l'installation d'une politique commerciale avec une hausse des tarifs douaniers de 10 % à 20 % sur toutes les importations et 60 % sur celles venant de la Chine. Il renoue aussi avec une Amérique hyperpuissante dotée d'une population en croissance, des gains de productivité du travail sur la base d'une économie florissante et la domination des secteurs clés, comme l'énergie, la technologie de l'espace, la finance et bien sûr la suprématie militaire.
Face à l'ouverture d'une nouvelle ère placée sous le signe de la rivalité des puissances, avec la Chine plongée dans une déflation, la Russie qui paie le prix de son invasion en Ukraine et l'Europe complètement isolée dans cette nouvelle donne, Donald Trump veut régner en maître du monde.
Dès lors, on comprend que Maurice, petite île dans l'océan Indien, n'a pas une grande marge de manoeuvre pour faire bouger ses pions. L'Attorney General, Gavin Glover, a raison de souligner que Maurice est maintenant tributaire des discussions à engager entre le nouveau locataire de la Maison Blanche et le Premier ministre britannique, sir Keir Starmer. Dans la foulée, Navin Ramgoolam pousse la réflexion plus loin : en soutenant cet accord, Donald Trump sécurise la base américaine à Diego Garcia. Imprévisible comme il est, Donald Trump l'entendra-t-il de cette manière ?
Tout comme le sort du traité de l'AGOA qui arrive à expiration en septembre prochain. Les autorités mauriciennes pourront elles engager un nouveau lobbying et arracher une nouvelle extension, permettant aux opérateurs du textile-habillement d'exporter sans droits de douane et de quota aux États-Unis ?
Les prochains jours risquent d'être décisifs pour le nouveau gouvernement avec les premières épreuves diplomatiques, alors que le tandem Ramgoolam/Bérenger compte s'appuyer sur le discours programme pour redéfinir l'avenir économique et social du pays pour les prochains cinq ans