Les entreprises de construction se battent pour leur survie alors que l'ensemble du secteur risque de freiner sa modernisation et sa contribution à l'économie nationale. Une action urgente et concertée est nécessaire pour préserver les emplois et l'avenir de l'un des plus grands employeurs du pays.
Le secteur de la construction traverse une période sans précédent. Alors que d'autres industries montrent une résilience relative, les chiffres, révisés à la baisse, publiés le 10 décembre 2024 dans le State of the Economy, indiquent une baisse alarmante de -16,1 % pour 2023 et -13,8 % pour 2024 (par rapport aux chiffres de Statistics Mauritius publiés en septembre 2024), un contraste saisissant avec des secteurs comme les technologies de l'information et de la communication (TIC), qui enregistrent seulement -2 % pour 2023 et -2,2 % pour 2024.
Cette situation est le résultat cumulé des conséquences de la pandémie de Covid-19, des conflits géopolitiques et de leurs impacts sur l'importation de produits (incluant fret, taux de change, etc.) et sur le coût de la construction ainsi qu'une inflation salariale sans précédent, freinant constamment le développement et la croissance de ce secteur. Il représente le deuxième pilier économique de Maurice et a contribué à hauteur de 6,6 % au PIB en 2023, selon Statistics Mauritius.
Dans son rapport Labour Force, Employment and Unemployment de septembre 2024, il est indiqué que le secteur emploie 45 650 travailleurs (soit 8,2 % de la population active) directement. Il est également estimé que le secteur génère un nombre d'emplois indirects équivalent, voire supérieur, notamment dans le secteur informel, la sous-traitance et le transport. Cette industrie est unique en ce sens qu'elle dépend fortement de la main-d'oeuvre et des sous-traitants.
Les entreprises opèrent avec des marges de bénéfices relativement faibles (2-5 % de marge nette) et sont très sensibles aux augmentations des coûts. L'industrie se caractérise également par une concurrence intense et des besoins élevés en capitaux. La majorité des contrats de construction (publics et privés) à Maurice sont à prix fixe et ne prévoient pas d'ajustements pour les augmentations de coûts indépendants de la volonté des entrepreneurs (par exemple, la PPO Circular no 1 de 2020 établit que les contrats publics d'une durée inférieure à un an sont généralement à prix fixe). En conséquence, les entrepreneurs doivent assumer la majeure partie des risques des projets.
La composante salariale représente environ 25 % du coût total d'un projet de construction. Toute augmentation du coût de la main-d'oeuvre impacte directement et significativement le coût global de la construction. Ces augmentations entraînent également des hausses supplémentaires dans les calculs des primes, allocations, cotisations sociales (CSG, etc.), toutes basées sur les salaires. Il en va de même pour la main-d'oeuvre qualifiée importée, qui est plus coûteuse et dont dépendent fortement de nombreuses entreprises.
Augmentations salariales
Le mois de janvier 2024 a connu une augmentation significative du coût des salaires (de l'ordre de 10 %) par rapport à la hausse habituelle de 3-5 % attendue chaque année en raison de l'augmentation du coût de la vie. Cette hausse s'explique par l'introduction du minimum wage (augmentation de Rs 3 425) et d'une compensation salariale plus élevée que d'habitude (entre Rs 1 500 et Rs 2 000).
En juillet 2024, une nouvelle augmentation des salaires a été observée en raison des ajustements à la relativité salariale (minimum de Rs 2 925), légiférée en septembre 2024, mais appliquée rétroactivement à juillet 2024. Cet exercice a concerné non seulement les travailleurs manuels, mais également tous les employés percevant un salaire inférieur à Rs 50 000, amplifiant ainsi son impact.
Au total, une augmentation moyenne de 27 % a été enregistrée entre décembre 2023 et décembre 2024 sur le coût de la main-d'oeuvre. À titre d'exemple, pour une entreprise réalisant un chiffre d'affaires de Rs 500 millions, cela représente une hausse de sa masse salariale de l'ordre de Rs 32 millions annuellement (environ Rs 2,5 millions par mois), sans possibilité de récupération pour les contrats à prix fixe, ce qui est substantiel et pas soutenable.
Impact du 14e mois de bonus
Contrairement au bonus statutaire du 13e mois, le paiement d'un 14e mois de bonus n'a pas été budgétisé pour l'exercice financier 2024, ce qui a eu un impact direct sur les profits et pertes des entreprises de construction. On estime qu'environ Rs 1,5 milliard ont été nécessaires pour payer ce 14e mois, calculé sur le salaire de base pour l'ensemble de l'industrie.
C'est la première fois que le secteur de la construction fait face à des augmentations salariales atteignant 35 % en une seule année, en incluant le 14e mois de salaire. Cette prime exceptionnelle représente une charge salariale additionnelle importante, notamment pour les entreprises employant une large main-d'oeuvre.
De plus, il y a un effet multiplicateur entraînant des augmentations de prix des matériaux de construction, des équipements, du transport et de la logistique, ce qui affectera lourdement tous les contrats en cours en 2024 et 2025 à prix fixe. Cette situation forcera les entreprises à réduire ou retarder les investissements essentiels dans le renouvellement d'équipements obsolètes et l'adoption de technologies avancées. Ce manque de modernisation pourrait gravement nuire à la productivité, compromettre la qualité et freiner la croissance de l'ensemble de l'industrie.
Les projets de construction impliquent souvent des paiements retardés en raison de calendriers complexes ou de dépendance aux approbations des clients. La nécessité de payer les salaires de décembre, le bonus statutaire du 13e mois et un 14e mois supplémentaire en amont a créé des défis de liquidité à court terme pour de nombreuses entreprises, compliquant la gestion des coûts opérationnels, comme l'achat de matériaux ou l'entretien des équipements.
Il y a également des répercussions sur les sous-traitants et les fournisseurs, sur lesquels de nombreuses entreprises de construction comptent. Les coûts accrus à chaque niveau de la chaîne d'approvisionnement viennent encore gonfler les coûts globaux des projets.
Entreprises en difficulté financière
Cette situation a mis à l'épreuve la solidité financière de nombreuses entreprises de construction, mettant des emplois en danger. Comme l'a souligné un représentant du secteur, «les entreprises se trouvent dans une situation où les charges salariales exceptionnelles, cumulées aux contrats à prix fixe, étouffent leur trésorerie. Sans mesures de soutien immédiates, beaucoup d'entre elles risquent de fermer leurs portes, compromettant des milliers d'emplois».
Pad & Co a connu des difficultés de trésorerie et des pertes financières pendant plusieurs années avant de fermer ses portes. Super Construction a opté pour une administration volontaire pour des raisons similaires. Des entreprises de référence comme Building & Civil Engineering Co. Ltd, avec des décennies d'expérience, ont sombré en 2022, laissant derrière elles plusieurs sans-emploi.
Cela montre à quel point la situation est grave pour les acteurs du secteur aujourd'hui. Ces entreprises étaient bien établies et employaient une main-d'oeuvre importante. Le secteur de la construction fait actuellement face à des défis majeurs et nécessite une attention et un soutien financier urgents pour assurer sa survie, la durabilité des entreprises mauriciennes et la préservation des emplois.
La position de la BACECA
La Building and Civil Engineering Contractors' Association (BACECA) a attiré l'attention des ministères concernés sur les défis auxquels font face les entreprises de construction, en soulignant l'impact significatif des augmentations salariales en 2024 et du paiement du 14e mois. Elle a formulé diverses propositions aux ministères pour atténuer les conséquences financières sans précédent. Parmi les mesures proposées :
· Subventions : offrir une aide financière directe aux entreprises.
· Crédits fiscaux temporaires : réduire les taxes ou cotisations pour les employeurs du secteur de la construction.
· Révision des contrats à prix fixe : introduire des clauses d'ajustement pour permettre la prise en compte des augmentations exceptionnelles.
La BACECA comprend et respecte pleinement l'importance d'honorer l'engagement du 14e mois et la signification de cette mesure. Toutefois, elle estime qu'il est nécessaire que cette mesure soit financièrement viable pour les entreprises de construction. Elle a confiance que le nouveau gouvernement travaille sérieusement pour renverser les tendances économiques défavorables et redynamiser la croissance sectorielle afin de sauver et transformer notre économie.
Le secteur de la construction peut jouer un rôle central dans cette démarche. La BACECA est prête à engager un dialogue ouvert et à collaborer avec les parties prenantes pour développer des solutions durables assurant la santé à long terme du secteur de la construction à Maurice.