Nigeria: Qu'est-ce que «Lakurawa», ce groupe armé qui inquiète au nord-ouest du pays?

Dans le nord-ouest du Nigeria, en proie à la violence des gangs armés depuis des années, un groupe nommé « Lakurawa » intrigue et inquiète. Ses incursions dans le pays n'ont pourtant rien de nouveau. Mais sa résurgence alimente les tensions et les fantasmes dans cette zone transfrontalière.

Le nom « Lakurawa » a gagné en popularité ces derniers mois dans le nord-ouest du Nigeria. Début novembre 2024, le porte-parole de l'armée évoque les incursions d'un « nouveau groupe armé » dans les États frontaliers de Sokoto et de Kebbi. Le major général Edward Buba déclare que « des jihadistes sahéliens » ont « profité de l'arrêt temporaire de la coopération avec le Niger » après la prise de pouvoir des militaires à Niamey en juillet 2023, pour « mettre un pied au Nigeria ». Il donne même le nom de ce groupe, « Lakurawa », que l'armée nigériane promet de « démanteler » au plus vite.

Quelques jours plus tard, le 9 novembre, des hommes armés lancent une attaque contre le village de Mera, à une cinquantaine de kilomètres de la frontière nigérienne. L'assaut qui a fait 15 victimes est immédiatement attribué à « Lakurawa » par l'armée nigériane, qui continue de parler d'une « nouvelle menace ». Cette information commence pourtant à être sérieusement remise en cause.

Une milice d'autodéfense ancienne

« J'ai été choqué d'entendre que Lakurawa serait un nouveau groupe terroriste, alors que c'est totalement faux » a par exemple commenté un ancien directeur du renseignement nigérian sur la chaîne d'information Channels. « Leur présence au Nigeria remonte à plus d'une dizaine d'années, abonde Mukhtar Umar Bunza, le vice-chancelier de l'Université du Nord-Ouest, à Sokoto. Autrefois, ces éleveurs armés venus de toute la région étaient sollicités directement par les chefs traditionnels pour faire face aux attaques répétées des gangs. »

Dans les premiers temps, cette milice d'autodéfense arrivée du Niger est bien structurée. Puis, elle s'est morcelée, tout en poursuivant ses incursions épisodiques au Nigeria. Ces dernières années, ses actions sont devenues plus violentes : les hommes de « Lakurawa » rançonnent les villages ou prélèvent des taxes en échange de leur protection - allant même jusqu'à s'associer aux bandits locaux pour mener leurs activités criminelles.

« Ce qui les rend particulièrement dangereux à mon avis, c'est leur nature transnationale, estime le professeur Mukhtar Umar Bunza. Lakurawa regroupe des gens venus aussi bien du Nigeria, que du Niger, du Mali ou du Burkina Faso. Ils circulent très facilement entre le Niger et le Nigeria, et nous avons appris qu'ils se rendent même parfois au Bénin. » « Lakurawa » qui était autrefois « confiné près de la frontière » étend désormais son influence vers le sud de l'état de Sokoto, mais aussi vers l'est en direction de l'état de Kebbi et jusque dans la région de Zamfara.

Connexion avec les jihadistes

Même s'il est difficile de différencier les groupes armés qui pullulent dans cette zone, « Lakurawa » se distingue par ses connexions avec le salafisme jihadiste et sa volonté d'imposer un califat dans la région. « Tout tend à prouver que ce groupe n'est pas isolé. Il s'agirait en fait d'une émanation de l'État Islamique, et plus précisément de l'État Islamique au Sahel (EIS) » avance même James Barnett, chercheur à l'Hudson Institute. Il reste cependant mesuré sur l'importance de Lakurawa « dans une zone où les groupes armés non étatiques prolifèrent et où les bandits restent très majoritaires ».

La situation sur le terrain est complexe, voire difficilement lisible, y compris par l'armée nigériane. Le 25 décembre 2024, un bombardement de l'aviation a fait dix morts dans un village du district de Silame, dans l'État de Sokoto. Alors que la population dénonce une énième erreur de frappe contre des civils, l'armée nigériane affirme au contraire que les villageois tués « avaient des liens clairs avec le groupe Lakurawa ».

Une enquête du média indépendant HumAngle montre pourtant que des femmes et des enfants ont péri dans cette opération. Parfois, ce sont les membres des milices d'autodéfense qui sont pris pour des jihadistes et bombardés, alors qu'ils sont censés être le premier relai des militaires sur le terrain.

Soupçons mutuels

James Barnett met aussi en garde contre l'instrumentalisation du phénomène « Lakurawa » de part et d'autre de la frontière. « Il y a clairement un sous-texte politique alimenté par la dégradation des relations entre le Niger et le Nigeria, affirme le chercheur. Au vu de l'expansion des groupes jihadistes dans le Sahel ces dernières années, il y a une inquiétude grandissante au Nigeria que cela se déverse en quelque sorte de l'autre côté de la frontière. »

Mais au mois de décembre, le ton est sérieusement monté entre le Niger et le Nigeria, accusé de « déstabilisation » par son voisin, et notamment de laisser prospérer certains groupes terroristes sur son territoire, avec le soutien de puissances étrangères. Le Niger a notamment dénoncé le sabotage à répétition du pipeline qui transporte son pétrole vers le Bénin par des hommes armés venus du Nigeria. Des accusations rejetées par Abuja, qui considère une fois encore que ces attaques sont l'oeuvre « du groupe terroriste Lakurawa. »

James Barnett voit dans ces accusations un signe de « la paranoïa » de la junte à Niamey, qui peine à faire confiance au Nigeria. « Les militaires nigériens restent sceptiques, vu le rôle que le Nigeria a joué au sein de la Cédéao après le coup d'État », souligne-t-il. Ce climat de suspicion mutuel fragilise aussi la coopération régionale en matière de lutte contre le terrorisme, alors que l'armée nigériane « peine déjà à contenir les violences des gangs dans le Nord-Ouest ».

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