Depuis 1948, plus de 2 millions de soldats de la paix en uniforme ont servi dans plus de 70 missions de maintien de la paix de l'Organisation des Nations unies (ONU).
Ils proviennent de plus de 120 États membres de l'ONU. Mais quelques pays ont régulièrement fourni une part importante de leurs troupes. Ils ont également fait du maintien de la paix une priorité de leur politique étrangère et ont adapté leurs propres forces armées aux exigences de l'ONU. Ces États ont développé ce que nous appelons des « armées de maintien de la paix ».
Depuis la fin de la guerre froide, la grande majorité de ces soldats de la paix ont été déployés en Afrique, souvent par des pays africains. Aujourd'hui, 11 parmi les 20 pays qui contribuent le plus aux forces de maintien de la paix de l'ONU sont africains. Les États africains fournissent également des soldats pour les opérations autorisées par l'Union africaine et d'autres organisations régionales africaines.
Pourquoi ces pays fournissent-ils si régulièrement autant de troupes de maintien de la paix ? Comment y parviennent-ils de manière cohérente ? Quelles sont les conséquences pour les soldats, les organisations militaires et la pratique plus large du maintien de la paix ? Répondre à ces questions nécessite une analyse plus approfondie.
Dans notre récente recherche, nous avons analysé 70 pays fournisseurs de troupes. Nous avons examiné les schémas de déploiement des troupes dans les opérations de paix et les documents officiels relatifs à la sécurité.
Alors que les débats se poursuivent sur l'opportunité et la manière de déployer de nouvelles opérations de paix dans des endroits comme Haïti, le Soudan et Gaza, on devrait se pencher sur les États qui ont conçu leur armée pour accomplir des tâches de maintien de la paix. Il serait également utile de réfléchir aux implications que cela pourrait avoir pour le développement de futures opérations.
Qu'est-ce qu'une armée de maintien de la paix ?
Nous définissons une « armée de maintien de la paix » comme une armée qui a entrepris des réformes institutionnelles afin de remplir régulièrement les fonctions militaires de maintien de la paix à une échelle relativement importante par rapport à la taille de ses forces armées actives concernées.
Le maintien de la paix internationale doit être l'une de ses principales priorités.
Notre définition repose sur quatre éléments : la fonction, l'adaptation, l'échelle et l'importance.
Premièrement, une armée de maintien de la paix doit être capable de remplir les fonctions militaires requises pour le maintien de la paix contemporain.
Deuxièmement, une armée traditionnelle se doit d'être adaptée aux tâches de maintien de la paix. L'adaptation implique des réformes institutionnelles, notamment la conception de ses capacités, la structure des forces armées, de systèmes de formation ou de doctrines adaptés.
Troisièmement, une armée de maintien de la paix doit déployer régulièrement des contingents représentant au moins 5 % de ses forces armées actives.
Enfin, ces États placent les opérations de paix au premier plan de leur sécurité nationale et les rendent visibles dans leur politique intérieure et étrangère.
Notre article plus détaillé traite de plusieurs pays qui partagent ces caractéristiques, notamment le Burundi, le Rwanda, l'Uruguay et le Ghana.
Pourquoi les États développent-ils des armées de maintien de la paix ?
Les États développent des armées de maintien de la paix pour différentes raisons et à différents moments. Nous avons constaté que certains facteurs sont plus susceptibles de conduire le processus que d'autres.
Tout d'abord, la reconstruction des identités nationales et internationales pour acquérir un statut international et une légitimité nationale semble être un élément clé, comme observé dans divers pays comme le Canada, l'Irlande, le Ghana et l'Uruguay.
Deuxièmement, les États plus pauvres, comme le Rwanda et le Burundi, peuvent avoir des motivations économiques. Ils peuvent voir dans ces missions une opportunité de moderniser leur équipement militaire, développer leurs infrastructures et rémunérer leur personnel.
Troisièmement, les gouvernements autoritaires peuvent considérer la contribution à des missions de maintien de la paix comme une forme de stratégie de protection du régime et de protection contre les coups d'État. Pour ce faire, ils éloignent physiquement les forces de sécurité du pays et utilisent les avantages financiers pour renforcer leur loyauté.
Une fois cette dynamique établie, elle peut avoir plusieurs impacts sur les soldats, l'organisation militaire et le gouvernement.
En ce qui concerne les soldats, ces missions offrent des avantages financiers et des opportunités de formation sans les risques d'une mission de guerre. Ils bénéficient des avantages financiers, de formation et opérationnels liés au maintien de la paix, sans les risques accrus d'une mission de guerre. Mais certaines opérations de paix se déploient dans des zones de guerre active, ce qui peut s'avérer dangereux pour les soldats.
Pour l'État, la proportion relativement élevée de soldats affectés au maintien de la paix incite le gouvernement à adapter son armée aux exigences de l'organisation qui autorise la mission de maintien de la paix. Cela permet de maintenir l'image d'une armée stable et professionnelle. Des études récentes ont montré que les perceptions internationales d'une armée efficace sont plus importantes que les relations démocratiques entre civils et militaires.
Trois implications politiques des armées de maintien de la paix
En ce qui concerne les pratiques de maintien de la paix au sens large, trois implications politiques se dégagent.
Premièrement, les États dotés d'armées de maintien de la paix sont incités à prolonger la durée des opérations de paix. Une fois leurs soldats déployés, ces gouvernements peuvent acquérir un pouvoir de négociation. Ils peuvent exprimer leur réticence à retirer leurs troupes ou menacer de le faire si certaines demandes ne sont pas satisfaites. Toutefois, leur influence sur la durée des missions reste limitée, car ces pays ne sont généralement pas des puissances majeures.
Deuxièmement, comme la plupart des armées de maintien de la paix se trouvent dans des États pauvres et (semi-)autocratiques, elles manquent généralement de ressources financières et matérielles pour se développer et se moderniser. Par conséquent, elles auront probablement besoin de l'aide de partenaires extérieurs. Ce qui peut retarder la création d'institutions de maintien de la paix durables au niveau local. Dans de telles situations, les programmes externes de formation et de renforcement des capacités en matière de maintien de la paix resteront importants.
Enfin, si davantage d'armées de maintien de la paix sont créées dans des États (semi-)autocratiques, elles risquent d'avoir une tolérance plus élévée envers les pertes humaines. De plus, ces États subissent moins de pression publique pour la transparence et la responsabilité que les pays démocratiques contributeurs.
Ces armées (semi-)autocratiques pourraient donc se charger de missions plus dangereuses. Avec le temps, cela pourrait définir de nouvelles normes pour le maintien de la paix de l'ONU en termes d'évaluation des risques et de débats sur la sûreté et la sécurité des soldats de la paix.
Nina Wilén, Associate Professor, Lund University
Paul D. Williams, Professor of International Affairs, George Washington University