Il a grandi dans un «karo kann», du côté de Réunion à Floréal, en face d'une usine sucrière convertie en usine textile dans les années 80. A été scolarisé au Lycée La Bourdonnais à Forest-Side. Ryan Noordally, aux origines métissées marquées par l'esclavage et l'engagisme, a occupé la scène de TEDx La Rochelle, en France, il y a une semaine. En 17 minutes, le Mauricien a prêté, au public et au monde - via une diffusion sur YouTube -, un de ses regards à travers les yeux du «Frontier Soldier», qu'il a été et qui a servi la France et le Royaume-Uni, soit les deux pays qui ont colonisé le sien.
Un Mauricien sur la scène TEDx La Rochelle pour faire voir le monde à travers les yeux du «frontier soldier» qu'il a été, c'est comme sortir l'artillerie lourde pour celui qui est né et a grandi dans un petit point perdu au milieu de l'océan Indien ?
L'artillerie lourde (Rire), elle est de bonne guerre. Je ne sais pas comment la participation à un TEDx est perçue mais pour moi, ce n'était ni un but, ni un marqueur de succès, c'est surtout une formidable opportunité qui m'a été offerte par l'équipe de bénévoles du TEDx La Rochelle, et ma récompense, ce sont les amis que je me suis fait avec les gens extraordinaires avec lesquels j'ai partagé la scène.
Comment celui qui a une maîtrise en histoire d'une université française, qui a été journaliste dans son pays, enseignant de collège au Mozambique, légionnaire en France et militaire au sein des forces armées britanniques, en est-il arrivé là ?
Vous y répondez en détaillant mon parcours qui est plus chaotique qu'autre chose. Mais, pour paraphraser Édouard Baer, je dirais que c'est avant tout des rencontres, des gens qui m'ont fait confiance et m'ont donné ma chance. Je pense à Vincent Montocchio de Circus qui m'a donné la possibilité de vivre de ma plume à une époque par exemple. Mais le déclic est venu d'un de mes supérieurs, le major Bell, qui m'a encouragé à aller sur Twitter (X aujourd'hui, NdlR) avant que ça ne devienne un organe de propagande nazie et à parler tactique, stratégie et affaires internationales.
De là il y a eu l'équipe de The Wavell Room, le meilleur forum britannique de réflexion sur les questions de défense, qui m'a demandé de participer à la Land Warfare Conference du Royal United Services Institute en 2019 pour parler d'éthique militaire devant un parterre de très hauts gradés de 29 pays différents, puis d'écrire des articles pour eux. Cela a attiré du coup l'attention de l'équipe du Collimateur, le meilleur podcast de défense francophone sur lequel je suis intervenu assez régulièrement sur des sujets aussi divers que mes articles, mon parcours et souvent, souvent, de cinéma. Et cela a attiré l'attention de Thierry Lepesant de l'équipe du TEDx de La Rochelle et son épatante et adorable équipe de bénévoles.
Quelles sont les retombées de votre «talk» ?
Je n'ai pas vraiment de moyens de mesurer les retombées, et c'est un peu tôt pour celles qui me concernent. Le but d'un TEDx c'est d'offrir aux auditeurs de nouvelles perspectives et de leur donner l'occasion d'en changer. J'ai eu des gens qui sont venus me voir à la sortie pour me dire que mon «talk» avait bousculé certaines certitudes et cela me va. On verra ce qu'il advient de la vidéo sur YouTube, si elle trouve son public. Je ne me fais aucune illusion à mon sujet quant aux retombées positives, cela ne m'apporte rien, ni pécuniairement, ni professionnellement, au contraire. Je viens, par mon discours, de peindre une belle cible sur mon dos pour tous les xénophobes, les racistes, les intolérants, et Dieu sait qu'ils ont le vent en poupe en ce moment.
Vous n'oubliez pas vos racines. Parlez-nous de votre famille mixte.
Ma famille, c'est le monde. Doublement. Parce que ma famille, à elle toute seule, c'est l'histoire de l'océan Indien, ses marchands, ses colons, ses esclaves, ses coolies, c'est la mondialisation par la créolisation d'Édouard Glissant en marche. Et puis, le monde est ma famille. J'ai placé ma vie entre les mains de gamins de Birmingham ou des vallées des Brecon Beacons à peine sortis de l'enfance, avec des parcours à l'opposé du mien, des inconnus, et ils m'ont fait la même confiance à moi. Mais pour répondre au coeur de la question, de tout ce que j'ai accompli, tout ce à quoi j'ai survécu, je l'ai fait parce que j'avais la certitude d'être aimé. D'avoir, quelque part, toujours, quelqu'un qui priait pour moi.
Pourquoi avoir choisi l'expatriation ?
J'ai saisi des opportunités, j'ai couru après des chimères qui n'habitent pas nos parages, voilà ce qui m'a tenu éloigné. Maintenant, j'ai des raisons familiales même si Maurice vit en moi comme un manque lancinant. Mais cette nostalgie est de plus en plus illusoire, le pays change tellement vite que ce n'est plus celui de mon enfance, en bien ou en mal peu importe (et probablement un peu des deux en fait). Mon pays n'est plus. Celui qui est, m'attire, et j'ai de très bons amis qui sont rentrés d'Europe pour la qualité de vie mais mes obligations et ma carrière me retiennent sous des cieux gris et inhospitaliers pour l'instant.
Vous avez aussi fait parler de vous après le triste épisode du Wakashio. Pourquoi les autorités auraient-elles dû ou devraient-elles être attentives à vos propositions de solutions «réalistes» face aux causes structurelles de la faillite systémique de l'appareil de sécurité mauricien ?
Je vais mettre un bémol. Les autorités n'ont jamais eu vent de mes idées. J'ai eu beau jeu de juger une situation a posteriori, avec le recul. Je ne pense pas que mon analyse perde de sa pertinence pour autant mais le problème est trop profond pour que les exemples de solutions possibles, et non ces solutions telles quelles, soient appliquées. À commencer par un problème de culture dans la gestion des infrastructures. On ne gère pas le risque à Maurice, on attend les catastrophes pour réagir, pour tout. C'est un signe de bonne santé démocratique car les politiciens ont peur de la vindicte populaire. Mais ça veut dire que chaque leçon se paye cher, en biodiversité voire vies humaines, et c'est un coût qui pourrait être évité.
Maintenant, quels sont vos projets ?
Aucun. Je viens de retourner à la vie civile, j'apprends à vivre pour autre chose que mon métier de soldat qui était un sacerdoce exigeant. Je me recentre sur moi, ma famille proche et mes amis. J'ai quelques autres participations au podcast Le Collimateur de prévues, et j'encourage quiconque s'intéresse à la sécurité internationale et à l'histoire militaire de s'y abonner. Peut-être quelques articles pour des publications spécialisées, lorsque j'en aurai le temps.