Nairobi — Les autorités devraient mener une enquête efficace et obliger les responsables à rendre des comptes
Les autorités camerounaises devraient immédiatement mener une enquête efficace, indépendante et transparente sur un décès survenu lors d'une garde à vue le 17 janvier 2025, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les responsables de la mort et de la torture présumée d'Abdoul Wahabou Ndandjouma, âgé de 36 ans, devraient être tenus de rendre des comptes.
Abdoul Wahabou Ndandjouma a été arrêté avec un autre homme, Mohaman Toukour Nana, le 17 janvier et emmené dans un poste de police de la ville de N'Gaoundéré, dans la région d'Adamawa dans le nord du pays. Mohaman Toukour Nana, qui a été libéré le même jour sans inculpation, a déclaré à Human Rights Watch que la police les avait interrogés dans des pièces séparées, mais qu'il pouvait entendre Abdoul Wahabou Ndandjouma hurler de douleur. Le 18 janvier, le gouverneur de la région d'Adamawa a informé la famille d'Abdoul Wahabou Ndandjouma que ce dernier était décédé, et que son corps se trouvait à l'hôpital régional de N'Gaoundéré.
« La mort odieuse et insensée d'Abdoul Wahabou Ndandjouma n'est que le cas le plus récent d'abus systématiques commis par les forces de sécurité camerounaises », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l'Afrique à Human Rights Watch. « Les autorités devraient immédiatement ouvrir une enquête efficace sur sa mort, garantissant à la fois l'indépendance et la transparence, ainsi que sur d'autres cas de torture et de décès en détention que le gouvernement a ignorés à répétition. »
Un avocat représentant la famille d'Abdoul Wahabou Ndandjouma a déclaré qu'il allait déposer une plainte auprès de la police à Yaoundé, la capitale du pays.
Les proches d'Abdoul Wahabou Ndandjouma ont déclaré à Human Rights Watch que quatre officiers en civil l'avaient arrêté dans son magasin, sans mandat, puis s'étaient rendus à son domicile, où ils avaient également arrêté Mohaman Toukour Nana.
« Ils sont venus avec Ndandjouma, qui était menotté, et ont fouillé toute la maison », a déclaré Mohaman Toukour Nana. « Ils ont dit que nous étions des trafiquants de drogue mais n'ont trouvé aucune preuve de cela dans la maison. Ils nous ont ensuite emmenés au bureau de la police judiciaire dans un camion de police. » Il a reconnu l'une des personnes qui les avait arrêtés comme étant Angoua Engouulou, un officier de police.
Il a aussi déclaré qu'au cours de son interrogatoire, il pouvait entendre Abdoul Wahabou Ndandjouma hurlant de douleur et suppliant les policiers de l'emmener à l'hôpital. Il a ajouté que vers 16 heures, un « commissaire de police est arrivé et s'est vivement disputé avec les policiers dans la pièce d'à côté, leur demandant d'immédiatement emmener Ndandjouma à l'hôpital ».
Le père de d'Abdoul Wahabou Ndandjouma a déclaré à Human Rights Watch que le matin du 18 janvier, Kildadi Taguieke Boukar, le gouverneur de la région d'Adamawa, l'a appelé et lui a demandé de récupérer le corps de son fils à l'hôpital régional de N'Gaoundéré. « J'ai d'abord refusé, je lui ai dit que mon fils avait été arrêté arbitrairement et que nous demandions une enquête pour faire la lumière sur les circonstances de sa mort », a-t-il déclaré. « Mon fils était en très bonne santé avant son arrestation. Nous voulons qu'une autopsie soit pratiquée et nous demandons que justice soit rendue. »
La famille et l'avocat d'Abdoul Wahabou Ndandjouma ont déclaré qu'une autopsie a été pratiquée sur son corps à l'hôpital régional entre le 20 et le 24 janvier. « La famille ne connaît pas encore les résultats de l'autopsie », a déclaré l'avocat.
Human Rights Watch et d'autres organisations de défense des droits humains ont documenté dans le passé l'utilisation généralisée de la torture dans les centres de détention officiels et non officiels du Cameroun, ainsi que contre les opposants politiques, les journalistes et les activistes politiques.
Le Comité des Nations Unies contre la torture -constitué d'experts indépendants qui surveillent la mise en oeuvre de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants - a exprimé sa préoccupation en décembre 2024 concernant le « nombre élevé de décès, y compris de morts violentes, survenus dans les lieux de détention » au Cameroun, ainsi que « les allégations selon lesquelles la torture et le manque de soins de santé seraient des causes fréquentes de décès en détention ».
La mort d'Abdoul Wahabou Ndandjouma est survenue dans un contexte de répression gouvernementale croissante contre l'opposition et la dissidence depuis le milieu de l'année 2024 avant l'élection présidentielle qui aura lieu plus tard cette année.
En juin 2024, des gendarmes à N'Gaoundéré avaient arbitrairement arrêté à nouveau l'artiste Aboubacar Siddiki, connu sous le nom de Babadjo, pour avoir prétendument insulté un gouverneur. En juillet 2024, des membres des services de renseignement de la région du Littoral ont arrêté un activiste des réseaux sociaux, Junior Ngombe, pour ses vidéos TikTok prônant le changement démocratique, et les forces de sécurité ont fait disparaître de force et auraient torturé Ramon Cotta, un activiste des réseaux sociaux connu pour ses vidéos TikTok critiquant les autorités camerounaises.
En décembre 2024, les autorités ont appréhendé Yérima Djoubaïrou Tchéboa, un activiste politique et détracteur du gouvernement, dans une rue de N'Gaoundéré et l'ont fait disparaître de force. Le 21 janvier, le gouvernement a publié un document daté du 6 janvier indiquant que Yérima Djoubaïrou Tchéboa était en détention policière et qu'il était soupçonné d'avoir planifié d'incendier des isoloirs. C'était la première fois que sa famille et ses avocats voyaient ce document.
Les autorités camerounaises ont également récemment restreint le travail d'organisations qui surveillent les violations des droits humains, y compris en prison, et qui préviennent la torture. Le 5 décembre 2024, le ministre de l'Administration territoriale, Paul Atanga Nji, a émis un décret, sans notification préalable, qui suspend les activités d'un groupe de défense des droits humains de premier plan, le Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (REDHAC), pour une durée de trois mois. Cette décision était dépourvue d'une base légale, violait le droit à la liberté d'association en vertu de la législation camerounaise et du droit international relatif aux droits humains et portait préjudice aux victimes d'abus.
La mort d'Abdoul Wahabou Ndandjouma en garde à vue intervient deux ans après que Martinez Zogo et Jean Jacques Ola Bebe, deux journalistes, ont été retrouvés morts dans des circonstances mystérieuses.
En vertu du droit national et international relatif aux droits humains, les autorités camerounaises ont l'obligation de mener une enquête crédible, approfondie et indépendante et de rendre compte de tout décès survenu en détention. L'enquête doit permettre d'identifier toute personne responsable du décès, y compris en raison d'une négligence ou d'une action illégale, et d'engager des poursuites à leur encontre. L'absence d'enquête et de poursuites à l'encontre des responsables violerait les obligations du Cameroun de protéger le droit à la vie et de fournir un recours effectif.
« Le Cameroun a une culture d'impunité généralisée lorsqu'il s'agit d'abus commis par ses forces de sécurité », a déclaré Ilaria Allegrozzi. « L'échec d'une enquête efficace sur ce dernier cas, comme sur de nombreux autres cas d'abus graves, y compris la torture et la mort en détention, ne serait pas seulement un déni de justice pour Abdoul Wahabou Ndandjouma et sa famille, mais donnerait le feu vert aux forces de sécurité camerounaises pour la commission de tels abus. »